Baromètre soins de santé, la Belgique trop faible sur la sécurité des patients
La Belgique est réputée pour la qualité de ses soins de santé. Une étude pointe cependant le retard qu’elle accuse dans certains domaines par rapport aux pays voisins, notamment en matière de sécurité du patient et de la gestion financière.
Le Belge est satisfait de la manière dont il est soigné. C’est l’un des principaux enseignements d’un sondage mené en 2021 (en période de pandémie) par l’association belge des hôpitaux, Hospitals, auprès de 2.000 Belges. Nonante-trois pour cent des sondés ayant visité un hôpital au cours des deux années précédentes se disaient satisfaits et ce, quelle que soit la tranche d’âge ou la région d’habitation. La qualité des soins, en particulier, est largement admise: 86% des répondants lui attribuent une note d’au moins 6/10, 64% lui accordent un 8/10 ou plus. Les principaux critères de choix d’un l’hôpital plutôt qu’un autre sont l’accessibilité (facilité d’accès, proximité), la présence d’un spécialiste en particulier, l’habitude ou encore la réputation.
Une bonne accessibilité aux soins de santé, c’est aussi ce que pointe une étude comparative entre 100 pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique (EMEA). La Belgique s’y classe 35e, ce qui, à première vue, ne semble pas être un mauvais score mais qui la place toutefois loin derrière la France (4e), l’Allemagne (8e), l’Autriche (9e), l’Italie (16e), les Pays-Bas (17e), le Royaume-Uni (21e), le Luxembourg (24e) et l’Espagne (25e), et la rapproche des pays d’Europe centrale.
Pour établir ce «Baromètre de résilience des soins de santé», la société BD (Becton, Dickinson and Company), active dans les technologies médicales, s’est appuyée, entre autres, sur des données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME), de la Banque mondiale, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), ainsi que d’enquêtes multimarché auprès des professionnels de la santé. L’entreprise a également mené une série d’entretiens approfondis avec des leaders d’opinion dans le secteur des soins de santé en Belgique, comme les directions d’hôpitaux ou les mutualités. Le classement a été établi sur la base de 22 indicateurs tels que la couverture maladie universelle, les infections nosocomiales, le nombre de médecins et d’infirmières et leur disponibilité, la durée d’hospitalisation, les décès évitables ou encore les dépenses de santé.
Soins de santé: les forces et faiblesses du système belge
La Belgique obtient d’excellents résultats pour la couverture sanitaire universelle (l’accès aux soins de santé), de dépenses de santé et d’espérance de vie en bonne santé. Son personnel médical est, en outre, hautement qualifié.
La performance des hôpitaux est en revanche moins bonne dans un certain nombre de domaines clés. La sécurité des patients, par exemple, pour laquelle le baromètre met en lumière de grandes disparités entre les pays. En moyenne pour les 100 pays, plus d’un patient sur dix souffre d’un manque de sécurité pendant les soins, alors que près de la moitié des cas sont considérés comme évitables. Concernant le système belge, le rapport indique que, malgré une couverture santé universelle solide, des grosses lacunes en matière de sécurité des patients subsistent.
C’est surtout le taux d’infections associées aux soins (IAS) qui inquiète, puisqu’il concerne 9,2% des patients, alors que la moyenne européenne n’est que de 6,8%. Parmi ces infections, 14% sont liées à des plaies postopératoires.
Pour le Pr. Dirk De Ridder, directeur de la qualité et chef de la recherche politique des soins de santé à l’UZ Leuven, ces chiffres mettent en évidence l’urgence d’accroître la sensibilisation et d’adopter de meilleures pratiques. «Le benchmarking fonctionne comme un outil d’amélioration de la qualité à condition que ces résultats soient discutés dans les hôpitaux et d’autres forums avec les parties prenantes pertinentes. Il est en effet essentiel de mettre en place des stratégies efficaces ainsi que des mesures de surveillance et de prévention renforcées pour réduire les infections et protéger nos patients.»
«Pour bâtir un système de santé véritablement résilient, poursuit le Pr. De Ridder, la Belgique doit placer la sécurité des patients au cœur de ses priorités. En s’appuyant sur son bon accès aux soins et en se concentrant sur la recherche et l’innovation médicale, elle dispose du potentiel nécessaire pour relever ces défis et devenir un leader en matière de sécurité des patients.»
Selon Alexander Alonso, directeur général de BD Benelux, «il est possible de limiter le nombre d’erreurs de médication en améliorant le processus, de la prescription jusqu’à la médication: achat, gestion du stock, préparation… Ce qui permettrait également de diminuer la quantité de déchets et le gaspillage de médicaments.» Il suggère aussi de faire appel à l’intelligence artificielle pour décharger le personnel soignant de certaines tâches administratives ou organisationnelles et, de ce fait, limiter les risques d’erreurs médicales (en partie liées au surmenage). Moins d’erreurs signifierait en outre moins de frais injectés dans les procès intentés.
«Pour bâtir un système de santé véritablement résilient, la Belgique doit placer la sécurité des patients au cœur de ses priorités.»
Pr. Dirk De Ridder
Personnel soignant sous pression
Le taux élevé de burnout parmi le personnel soignant est l’une des autres principales failles que pointe le baromètre. En 2019, le ratio patients/infirmiers dans les hôpitaux belges s’élevait à 9,4, ce qui est inférieur au ratio recommandé de 8. De plus, la Belgique obtient de mauvais résultats en matière de bien-être mental des soignants. Surchargés, mis sous pression en permanence, le personnel médical ne parvient plus à trouver l’équilibre entre vies professionnelle et privée, ce qui conduit à une augmentation des cas de burnout.
«Le manque d’infirmières et de soignants est un problème mondial, mais en Belgique, il est aggravé par l’organisation et le financement des soins. Il faudrait plus d’efficience et une redistribution des missions et des fonctions, au travers de collaborations multiples entre et hors des hôpitaux», estime le Dr. Gilbert Bejjani.
Le vice-président de l’Absym pointe aussi le nombre trop élevé d’hospitalisations ou de réhospitalisations évitables et parfois des surconsommations ou des sous-consommations de soins inacceptables. «Nous devons revoir de manière radicale le modèle, l’organisation et le financement, sans quoi nous fonçons droit dans le mur. Il est temps de repenser notre approche en adoptant des innovations qui allègent la charge de travail des médecins et des infirmières tout en les rendant plus efficaces.» A noter que les pays voisins de la Belgique ne sont généralement pas mieux lotis en ce qui concerne la pénurie de personnel soignant. Selon les prédictions de l’OMS, l’Union européenne connaîtra d’ici à 2030 un déficit de 4,1 millions de professionnels de santé, avec 40% des médecins atteignant l’âge de la retraite dans près d’un tiers des pays.
La sécurité des patients, le manque de personnel et la mauvaise gestion financière (selon une récente analyse de Belfius, deux tiers des hôpitaux belges sont en déficit) sont autant de feux orange qui ne doivent surtout pas passer au rouge, estime Alexander Alonso. «Nous nous trouvons à un moment clé pour amorcer le changement. La réforme du système de soins de santé doit aussi se faire sur le plan financier. Le budget ne doit ni augmenter ni diminuer mais être réévalué différemment. C’est aussi en adoptant des innovations que nous pourrons augmenter la qualité des soins. Le problème est qu’en Belgique, il manque une vision à long terme. Les mesures prises dépendent trop des changements de gouvernement et le blocage institutionnel ralentit la prise de décision. Or, les patients, eux, sont toujours là.»
Dans un rapport paru en décembre 2024, l’Association belge des directeurs d’hôpitaux mettait déjà en garde contre une crise existentielle profonde du secteur des soins de santé, pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le Baromètre de résilience de BD. «Notre système, longtemps loué pour son accessibilité et sa qualité, ne peut plus faire face aux défis», alertait son président, Eric Christiaens.
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