Baisse de libido, dépression, cancers… La face cachée de la pilule contraceptive
Ce moyen de contraception n’est pas sans effets indésirables, ni sans risques. Ils sont cependant loin de dépasser ses avantages et son efficacité.
C’est un petit comprimé qui fait beaucoup parler de lui, entre jeunes filles et jeunes femmes, qu’elles aient 17, 20 ou 35 ans: la pilule. Et pour cause: la norme contraceptive n’a guère changé et demeure relativement uniforme. Elles commencent leur vie sexuelle avec le préservatif, puis prennent la pilule lorsqu’elles entament une relation stable et se font poser un stérilet après avoir eu des enfants. On estime, d’après les données de l’institut de santé publique Sciensano, que plus de la moitié des femmes entre 16 et 55 ans recourent à la pilule contraceptive (un taux parmi les plus élevés d’Europe). La pilule reste aujourd’hui la première méthode de contraception. Cependant, son utilisation baisse petit à petit. Selon une étude menée par la mutualité Solidaris, en 2017, une femme sur deux déclare avoir changé de type de contraception, contre un tiers en 2010.
Le risque de dépression serait accru de 73% dans les deux premières années après le début de la contraception.
Ce recul est toutefois partiellement compensé par l’adoption d’autres moyens contraceptifs. Les femmes se sont ainsi portées vers le stérilet, l’anneau vaginal et l’implant. Mais dans ce constat, le point saillant est la hausse, parmi les freins contraceptifs, des effets secondaires (+ 24% par rapport 2010) et de la nocivité pour la santé (+ 16%).
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Prescrite pour prévenir un événement (une grossesse) qui n’est pas une maladie, à des femmes en bonne santé (en l’absence d’une pathologie, évidemment), la pilule n’en reste pas moins un «médicament, avec ce que cela comporte d’effets bénéfiques, mais aussi d’éventuels effets indésirables ou de risques». Ballonnements, douleurs aux seins et à la tête, troubles de l’humeur, nausées et saignements irréguliers font partir des désagréments les plus courants. Certains sont passagers et plutôt bénins. Par exemple, la mastodynie (tensions dans les seins), un effet indésirable fréquent, apparaît souvent au cours du premier cycle et disparaît généralement au deuxième, voire au troisième mois. Ou les nausées qui, elles aussi, se dissipent à court terme. Ou encore le mal de tête, qui se traite souvent en réduisant la dose d’œstrogènes ou en passant à un autre type de pilule – la microprogestative a un impact positif sur la migraine.
Indice de Pearl
Cet indice statistique est utilisé dans les essais cliniques pour mesurer l’efficacité des méthodes de contraception, «en théorie», c’est-à-dire utilisées de façon optimale. Dès lors, les autorités sanitaires calculent un taux d’efficacité qui tient compte des aléas de leur utilisation et de leur interaction avec d’autres médicaments. L’implant sous-cutané présente un taux d’«efficacité pratique» de 99,95%, le stérilet hormonal de 99,8%, le stérilet en cuivre de 99,2%, la pilule de 92%, le préservatif de 85%.
D’autres, pour l’heure, ne font pas l’objet d’un consensus. La pilule nuit-elle à la libido? Entraîne-t-elle un risque dépressif?
Selon une trentaine – donc peu – d’enquêtes publiées sur le sujet ces vingt dernières années, environ 15% des femmes sous contraception hormonale rapportent une baisse de leur désir. Les scientifiques, eux, s’opposent et les études qu’ils produisent sont contradictoires. En réalité, les mécanismes biologiques pouvant expliquer ce lien ne sont pas clairs. L’une des pistes résulterait de ce que la pilule réduit la fabrication de testostérone par les ovaires et augmente une protéine, la SHBG (sex hormone binding globulin), qui capte la testostérone et la rend inactive. Or, cette hormone masculine influe sur la libido et le désir sexuel. Une certitude qui, elle, fait consensus parmi les praticiens: il peut y avoir une baisse d’élan sexuel, mais elle dépend du type de pilule, de la patiente et adopte des degrés divers. Autrement dit, chaque patiente réagit différemment et ce manque de désir peut découler d’une combinaison de facteurs. Les scientifiques postulent l’existence d’un polymorphisme génétique qui expliquerait que certaines femmes sous pilule voient leur libido décroître et pas d’autres. Ils croient également aux effets non anatomiques, comme le stress, l’état de la relation, le fait d’avoir un partenaire régulier – un facteur de risque de baisse de libido tout aussi puissant, d’après les enquêtes.
Quel impact de la pilule contraceptive en matière de dépression?
Quant au risque dépressif, une étude suédoise, publiée en juin dernier dans la revue Epidemiology and Psychiatric Sciences, établit une corrélation entre la dépression et la prise de la pilule œstroprogestative (aussi appelée «pilule combinée»). Les chercheurs du département d’immunologie, de génétique et de pathologie de l’université d’Uppsala ont étudié les dossiers médicaux de près de 265 000 femmes britanniques, de la naissance à la ménopause, issues de la base de données UK Biobank. Ils observent deux choses: tout d’abord, 73% de risques supplémentaires de souffrir de symptômes dépressifs dans les deux premières années après le début de la contraception, par rapport aux femmes qui ne la prennent pas. Chez celles qui ont commencé à l’adolescence, l’incidence grimpe à 130%. Cette étude suédoise s’ajoute aux recherches antérieures ayant déjà soulevé un lien entre les contraceptifs hormonaux et la dépression. Des travaux danois, publiés en 2016 dans la revue Jama Psychiatry et portant sur plus d’un million de femmes de 15 à 34 ans, notaient que les femmes ayant recourt à la contraception hormonale étaient plus susceptibles de suivre un traitement par antidépresseurs et d’être diagnostiquées dépressives.
Les jeunes femmes seraient ainsi plus exposées. Les chercheurs attribuent cela aux changements hormonaux provoqués par la puberté, alors que leur cerveau n’a pas terminé sa maturation. A quoi peuvent se joindre un stress lié à la vie étudiante, la précarité, la consommation d’alcool et de drogues, etc.: un cocktail qui affecte davantage leur santé mentale. Bien entendu, cela ne concerne pas toutes les femmes. La contraception orale augmente un risque probablement présent chez des patientes déjà vulnérables. L’histoire familiale joue, elle aussi, sur cette incidence.
Troisième à l’échelle mondiale
Deux types de pilule
La pilule combinée ou œstroprogestative
Composée d’un progestatif et d’un œstrogène, deux composants hormonaux visant à bloquer l’ovulation et l’implantation de l’ovule, ce contraceptif, le plus prescrit, a évolué, passant par quatre «générations»: plus une «génération» est avancée dans le temps, plus la pilule sera faiblement dosée en hormones de synthèse.
La micropilule ou microprogestative
Il s’agit d’une pilule microdosée ne contenant qu’un progestatif de synthèse. Elle se prend à heures fixes sans interruption. Elle serait de plus en plus utilisée.
L’effet de la pilule est enfin, a priori, paradoxal. Le médicament présente des effets secondaires possibles plus graves, en particulier sur le plan vasculaire et veineux (phlébite, accidents vasculaires cérébraux, infarctus…), surtout chez les fumeuses. Le risque de thrombose est multiplié par trois chez une femme sous pilule combinée, soit, en chiffre, trois pour dix mille par an, contre un pour dix mille par an. Pour une femme sous pilule de 3e ou 4e génération, le risque s’élève à cinq pour dix mille par an. En comparaison, la grossesse multiplie ce risque par dix.
La contraception orale, y compris celle ne contenant qu’un progestatif, augmente également légèrement le risque du cancer du sein (par 1,2, un risque qui disparaît après cinq ans d’arrêt), du cancer du col de l’utérus (par 1,5, disparaissant après huit ans d’arrêt) et du cancer du foi (par 2,8). A l’inverse, la pilule combinée diminue durablement le risque d’atteinte d’autres organes. Ainsi, elle confère une importante protection contre le cancer de l’endomètre: cinq années d’utilisation réduisent le risque d’un quart et l’effet se prolonge pendant au moins trente ans après l’arrêt de la pilule. Cet effet protecteur se retrouve dans le cancer de l’ovaire. Une grande étude épidémiologique, menée aux Etats-Unis, montre qu’une contraception orale durant au moins dix ans fait baisser le risque de cancer de l’ovaire de 40% par rapport à l’absence de contraception orale.
Au regard de ces recherches, d’aucuns se demandent, légitimement, pourquoi les praticiens, conscients des effets indésirables, continuent de prescrire la pilule. C’est simple: à l’instar d’autres médicaments, ses risques d’effets secondaires sont inférieurs à ses bienfaits et à son efficacité. A l’échelle mondiale, la pilule est troisième, derrière la stérilisation (marginale en Belgique) et le stérilet.
Sans hormones
Actuellement, une équipe de chercheurs du KTH Royal Institute of Technology, en Suède, travaille sur le développement d’un gel contraceptif vaginal non hormonal qui épargnerait aux femmes les effets indésirables de la pilule. A la différence des spermicides – qui tuent les spermatozoïdes –, ce gel agirait en épaississant la glaire cervicale, sécrétion produite par les glandes du col de l’utérus et qui fait office de barrière entre le vagin et le col. Cette action empêcherait le passage des spermatozoïdes dans l’utérus. Le gel serait, en outre, applicable en quelques secondes, jusqu’à quelques heures en amont d’un rapport sexuel incluant une pénétration vaginale. Son effet diminue cependant au fil du temps, à mesure que la glaire cervicale est remplacée naturellement. Les tests précliniques, menés sur des brebis, vantent une efficacité de 98%, dont les résultats ont été publiés dans la revue Science Translational Medicine, le 30 novembre 2022. Reste à l’essayer sur l’humain… d’ici à quelques années.
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