Antibiorésistance : le système de défense des bactéries enfin percé à jour ?
L’antibiorésistance – la capacité de certaines bactéries à résister aux médicaments – constitue l’une des plus grandes menaces pesant sur la santé mondiale. Des chercheurs belges de l’UCLouvain ont aujourd’hui réussi à capter des images inédites de ce système de défense. Une découverte importante qui devrait permettre la production de nouveaux antibiotiques plus performants.
Si les antibiotiques ont certainement permis de faire reculer la mortalité liée aux maladies infectieuses, leur utilisation accrue et répétée a conduit à un problème de taille : le développement de bactéries résistantes à ces médicaments. « Dans les années 40 à 70, il y a eu l‘âge d’or des antibiotiques. Là, de nombreux antibiotiques ont été découverts, ont été utilisés« , nous explique Jean-François Collet, professeur à l’Institut de Duve de l’UCLouvain, qui s’intéresse à cette question de l’antibiorésistance.
« Mais les bactéries, quand elles sont exposées à des molécules toxiques, essayent de trouver des mécanismes de défense. Elles ont alors mis toutes ces années à profit pour trouver de nouveaux mécanismes de défense, pour se les partager, pour se refiler les bons tuyaux pour lutter contre les antibiotiques. » Un phénomène inquiétant qui constitue aujourd’hui l’une des menaces les plus importantes pesant sur la santé mondiale.
Un manque de moyens, de temps et d’argent
D’autant que la recherche pour développer de nouveaux antibiotiques a été fortement limitée depuis une trentaine d’années. « Aujourd’hui, il n’y a plus ou presque plus de nouvelles molécules en développement« , constate le professeur. Et pour causes : c’est non seulement compliqué de trouver de nouveaux antibiotiques, mais cela demande aussi beaucoup de temps, et surtout d’argent.
« Il y a d’un côté un investissement considérable, qui se chiffre à 1 ou 2 milliards de dollars, et puis des perspectives de rentabilité qui sont assez limitées », explique Jean-François Collet. Les antibiotiques sont en effet des médicaments qui vont être utilisés par les patients sur un (très) court terme, et à bas prix. « Toutes ces raisons font qu’on a pris beaucoup de retard et qu’on est aujourd’hui dans une situation un peu difficile« , déplore l’expert.
Si la situation est déplorable, elle est loin d’être irrévocable. Relancer le développement de nouveaux antibiotiques n’est pas impossible. Et en cela, la recherche joue un rôle essentiel. Jean-François Collet et son équipe de scientifiques de l’UCLouvain viennent justement de réaliser une grande découverte sur l’antibiorésistance, et pourraient bien avoir percé à jour le secret du système de défense des bactéries.
Une muraille bien gardée
Pour leur recherche, ils se sont intéressés en particulier aux bactéries à Gram négatif, des bactéries entourées de deux membranes, qu’on appellera ici « murs d’enceinte ». « Pour l’instant, ce sont ces bactéries qui nous causent beaucoup de soucis. Je pourrais par exemple vous citer la Salmonelle, la bactérie E-coli… ou encore la bactérie Pseudomonas, une bactérie associée aux patients qui souffrent de mucoviscidose. C’est souvent cette bactérie qui va finir par leur être fatale « ,expliquele professeur.
Il faut savoir que la survie de ce type de bactérie dépend avant tout de ses deux murs d’enceinte. Si l’un des murs subit un dommage important, la bactérie meurt. Elle doit donc les protéger contre toute attaque, notamment celles des antibiotiques. Et c’est là qu’intervient son système de défense jusqu’ici impénétrable.
Le mur d’enceinte extérieur est composé de plusieurs tours de garde, les protéines BAM (NDLR, β-barrel assembly machinery). Ce sont elles qui vont assurer la bonne surveillance, maintenance et protection des murs d’enceinte. Les tours de garde BAM sont en effet des points de passage obligés pour toutes les protéines-soldats qui montent la garde sur les remparts, ainsi que pour certaines protéines-soldats qui sortent de la fortification bactérienne pour surveiller les alentours.
Les protéines BAM constituent donc un élément essentiel du système de défense. « Il s’agit d’une des cibles les plus attractives du moment, car elle est relativement nouvelle. Cela fait seulement une quinzaine d’années qu’on a découvert son existence. Elle est essentielle car si on vient bloquer le bon fonctionnement de BAM, on empêche les bactéries à Gram négatif de construire leur mur d’enceinte extérieur. On va alors tuer la bactérie.«
Une image inédite
Jusqu’à présent, le mode de fonctionnement de cette protéine BAM restait trop peu connu, ce qui freinait le développement de nouvelles stratégies antibactériennes. Les scientifiques de l’UCLouvain viennent cependant de faire une découverte non négligeable pour la recherche : ils sont parvenus à prendre une photographie instantanée de BAM en train d’exporter une des protéines-soldats au travers du mur d’enceinte extérieur.
« En utilisant une technique qui s’appelle la cristallographie des protéines, on est parvenu à obtenir une image de BAM. Et quand on peut voir son ennemi, on peut mieux l’attaquer « , explique Jean-François Collet. S’il existait déjà de multiples images de BAM, c’est la première fois que des chercheurs parviennent à capturer une image de BAM en train de faire passer une protéine-soldat de l’autre côté du mur d’enceinte extérieur. « Ce n’est pas une découverte qui va régler tout le problème, mais par contre, cette découverte nous permet de jeter un regard nouveau sur BAM. Elle contribue à cet effort « , se félicite l’expert.
Cette découverte UCLouvain, publiée dans la revue scientifique, Nature Chemical Biology, offre une perspective inédite : elle donne des informations précieuses sur le mécanisme des bactéries et propose un nouvel angle d’attaque pour prendre d’assaut les tours de garde BAM lors d’un traitement antibiotique. « La protéine-soldat passe par BAM, et elle doit le faire vite, pour ne pas rester bloquée. Si on parvient à la bloquer dans BAM, on va bloquer BAM elle-même, et donc tuer la bactérie. » Une découverte qui permettra peut-être le développement de nouvelles molécules plus performantes, de quoi faire avancer la recherche et, in fine, répondre à une problématique grandissante.
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