Saisies de drogue au port d’Anvers © Nicolas Landemard / Le Pictorium/MAXPPP - Anvers 12/07/2023

Les consommateurs de drogues dans le viseur de l’Arizona: pourquoi c’est contre-productif

A peine installé, le tout nouveau gouvernement fédéral s’attèle à lutter contre le trafic de drogues. Pour cela, l’Arizona prévoit aussi de sanctionner davantage les consommateurs. Or, les mesures répressives ont très peu d’effets.

Dès ses premiers jours, l’Arizona a été secouée par la problématique du trafic de drogues, remise sur la table par les fusillades répétées à la station de métro Clemenceau à Anderlecht. Le résultat de ces règlements de compte entre gangs de narcotrafiquants: deux morts. Les ministres de la Justice et de l’Intérieur, Annelies Verlinden et Bernard Quintin, se sont immédiatement saisis de l’affaire et ont promis plus de bleu dans les rues de Bruxelles pour lutter contre ces violences liées au narcotrafic.

Mais juste avant ça, l’Arizona a fait de la guerre contre le commerce et la consommation de drogues sa priorité, comme en témoigne l’accord de gouvernement. Pour cela, elle promet des sanctions strictes à l’encontre des trafiquants, mais aussi des consommateurs. «La consommation de drogue ne doit jamais être banalisée. Le gouvernement ne prendra pas d’initiative de légalisation», est-il annoncé page 119 du document. Ce mardi, le procureur du Roi de Bruxelles, Julien Moinil, a présenté le «plan contre le narcotrafic» de la justice belge.

Ce que prévoit l’Arizona contre les consommateurs de drogues:

– Renforcer le système de transaction pénale immédiate et élargir les sanctions administratives, avec des peines plus lourdes pour les récidivistes. C’est une procédure qui permet à la police de proposer directement aux personnes en infraction (ici les personnes prises en possession de drogues) de payer une somme d’argent pour leur éviter les poursuites. Le paiement se fait par carte bancaire ou par QR code dans les 15 jours suivant l’interpellation. A ce jour, les amendes peuvent s’élever de 75 à 1.000 euros en fonction du type et de la quantité de drogue trouvée. La mesure a été introduite le 1er janvier 2022 par le ministre de la Justice de l’époque, Vincent Van Quickenborne. Le procureur du Roi souhaite qu’elle soit automatique, y compris dans tous les grands événements.

– Les personnes sous l’influence de drogues perdront automatiquement leur permis de conduire pour un mois.

– Prise en charge particulière des toxicomanes par une Chambre des assuétudes.

– Pour mieux contrôler l’interdiction de consommer de l’alcool ou de la drogue prononcée par un juge, ce dernier pourra associer le contrôle à un dispositif de bracelet électronique.

– Des mesures de prise en charge de l’addiction: les femmes enceintes toxicomanes pourront être admises sous contrainte dans des établissements de soins, en vertu de la récente modification de la loi sur la protection des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

– Le revenu d’intégration sociale sera conditionné par la signature d’un projet individualisé d’intégration sociale (PIIS), lequel oblige les personnes ayant des problèmes d’assuétude à suivre une cure de désintoxication (sur avis du médecin) pour pouvoir recevoir l’allocation.

Renforcer les soins aux addictions, dans le cadre des soins réguliers, par exemple au cabinet du médecin généraliste.

– En collaboration avec le Collège des Procureurs généraux, orienter le plus d’utilisateurs possible vers les services d’aide au niveau du parquet, en d’autres termes, avant que les utilisateurs ne soient poursuivis.

Ces mesures passent mal du côté du secteur de l’aide et de la prévention de la toxicomanie. La Fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et addictions (Féda bxl) regrette que le focus du gouvernement sur l’aspect sécuritaire soit fait au détriment de l’aspect santé.

La répression n’est pas un outil qui fonctionne pour diminuer la consommation de drogues

Pablo Nicaise

Coordinateur adjoint de la Cellule générale de politique en matière de drogue

Les sanctions n’ont pas d’impact sur la consommation de drogues

La Féda bxl s’est déjà positionnée en ce sens, les amendes ou toutes autres formes de sanctions à l’encontre des usagers de drogues n’a pas d’effet sur la consommation, preuves scientifiques à l’appui.

«Je ne peux pas dire que la répression n’a pas d’effet du tout, mais ce n’est pas un outil qui fonctionne pour diminuer la consommation de drogue, affirme Pablo Nicaise, docteur en Santé publique à l’UCLouvain et coordinateur adjoint de la Cellule générale de politique en matière de drogue. Pas au point de dire que c’est parce qu’il y a de la répression qu’il n’y a plus de consommation», tempère-t-il. Alex Stevens, professeur de droit pénal et criminologue à l’Université de Sheffield, estime dans ses travaux que le niveau de consommation de cannabis dans un pays est indépendant du niveau de sanctions. Qu’elles soient renforcées ou allégées, le niveau d’usage n’est pas lié.

En Europe, par exemple, la France est l’un des plus gros consommateurs de cannabis. En 2023, 50,4 % des Français âgés de 18 à 64 ans déclaraient avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie, selon l’Observatoire français des drogues. Pourtant, l’Hexagone est l’un des pays les plus répressifs de l’UE en la matière, avec des peines pouvant aller jusqu’à un an de prison et 3.750 euros d’amende pour usage de cannabis. Une amende forfaitaire de 200 euros a été mise en place en cas de possession jusqu’à 100 grammes, mais, contrairement à la Belgique, elle ne garantit pas l’absence de poursuites. L’Allemagne est devenue le troisième pays européen à légaliser le cannabis à usage récréatif l’année dernière, alors que la consommation avoisine les 10% de la population.

En Belgique, c’est un quart de la population qui a déjà consommé du cannabis, selon un rapport d’information sur l’évaluation des politiques en matière de drogue validé par le Sénat en 2024. La possession d’une petite quantité à usage personnel (3 grammes maximum) était tolérée depuis 2003, sous réserve que le consommateur ne trouble pas l’ordre public. Par ailleurs, la consommation de cocaïne a augmenté en 2022, selon Sciensano. L’utilisation de substances stimulantes comme l’ecstasy et l’amphétamine est également en hausse dans la population générale.

«Les mesures prises précédemment n’ont pas eu d’impact sur la disponibilité des produits en rue, ni sur le prix», corrobore Alexis Jurdant, chargé de communication à la Féda bxl. Selon lui, l’objectif de la transaction pénale immédiate est de désengorger la justice, et de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Mais cela perpétue les inégalités: «les personnes qui ont les moyens de payer paieront». «Le cadre légal actuel ne fait pas de distinction entre un consommateur ou un trafiquant», déplore-t-il encore, bien que la Féda bxl partage l’idée d’affaiblir les réseaux criminels. Or «s’attaquer aux consommateurs dans l’intention de limiter le trafic et la criminalité n’est pas une bonne stratégie», affirme Pablo Nicaise. D’autant plus que les mesures répressives éloignent les toxicomanes de l’accès aux soins.

Stigmatisation et double peine

Si l’accord de gouvernement veut pousser les personnes souffrant d’assuétudes à se diriger vers un parcours de soins, le faire sous la contraine est contre-productif, selon la Féda bxl. D’abord, car les centres de soins sont saturés. Il faut parfois attendre plusieurs mois avant d’obtenir une place. Ensuite, car la démarche de désintoxication doit venir de la personne pour être efficace. «D’un point de vue psychologique, les problèmes d’addictions provoquent des problèmes d’ambivalence. Les gens sont conscients de leur dépendance, mais il ne sont pas dans des dispositions psychologiques pour faire le nécessaire pour changer: ils ont envie de se soigner, mais ne parviennent pas à le faire», explique Pablo Nicaise.

Par ailleurs, «conditionner l’accès au revenu d’intégration sociale, qui est un droit fondamental, c’est d’une violence inouïe ou alors c’est méconnaître le problème de l’addiction», martèle Alexis Jurdan. Un parcours de désintoxication est souvent valloné de rechutes, et punir les personnes addictes, c’est punir une population qui est déjà en errance et socialement précarisée. Le directeur de la Féda bxl, Stéphane Leclercq rappelle que la consommation problématique de drogue est bien souvent la conséquence d’une situation de précarité, une mauvaise solution à des problèmes antérieurs. Les personnes qui vivent en rue, par exemple, consomment de la drogue pour faire face à cette situation, et «en les sanctionnant d’autant plus, elles viendront encore moins chercher de l’aide».

Pour Pablo Nicaise, «c’est dans les sociétés où il y a le plus difficultés sociales qu’il y a le plus de consommation de drogue. Or depuis la fin de la crise du Covid, la précarité a pris de l’ampleur en Europe».

Miser sur une bonne prévention

Pour limiter la consommation, le meilleur moyen reste la prévention. La Féda bxl regrette le manque de moyen alloué au secteur: «Seulement 1% du budget pour la lutte contre la drogue est alloué à la prévention», déplore Stéphane Leclerq.

Mais une bonne politique de prévention c’est aussi une question d’orientation des actions, estime Pablo Nicaise: «Beaucoup de campagnes sont orientées vers les dangers du produit et ses conséquences sur la santé. Le gros défaut c’est qu’elles concernent une population qui n’a pas l’intention de consommer – c’est bien de les conforter dans cette idée. Mais un panneau publicitaire n’aura pas d’impact sur les personnes qui ont des difficultés de vie et l’envie de consommer», à l’instar des fumeurs de cigarettes. Pour l’expert en Santé publique, la prévention doit aussi passer par la lutte contre la précarité sociale: trouver des solutions à des problèmes de logements, à des problèmes d’emplois… S’attaquer aux causes du problème et pas aux conséquences.

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