Enquête sur l’état des toilettes dans les écoles. Beaucoup d'enfants préfèrent se retenir plutôt que d’utiliser les toilettes à l’école. © BELGAIMAGE

Un élève sur deux se retient d’y aller: rénover les toilettes des écoles, un enjeu de santé publique urgent

En raison du manque d’hygiène, d’intimité ou d’accessibilité, la plupart des élèves se retiennent d’aller aux toilettes à l’école, ce qui n’est pas sans effet sur leur santé physique et mentale. Le programme «Ne tournons pas autour du pot!» de la Fondation Roi Baudouin aide à remettre les sanitaires au centre de l’institution scolaire.

L’être humain passe près de trois ans de sa vie en moyenne aux toilettes. Et pourtant, selon une enquête de l’entreprise d’installation sanitaire Geberit/iVox de 2022, 7 enfants sur 10 se retiennent toute la journée d’aller aux toilettes à l’école. Même constat du côté du Fonds BYX de la Fondation Roi Baudouin pour la promotion de la santé à l’école: un élève sur deux se rend uniquement aux toilettes en dernier recours ou n’y va jamais.

Depuis 2015, le Fonds BYX aide les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles à rénover leurs sanitaires, avec le programme «Ne tournons pas autour du pot!», et le soutien du ministère de l’Education. Cette année encore, l’appel à projets est lancé avec à la clé un subside jusqu’à hauteur de 5.000 euros par école. Dix-huit candidatures ont déjà été déposées pour l’instant, indique Nora Urriagli, coordinatrice de projets santé à la Fondation Roi Baudouin. Depuis le début du programme, plus de 400 écoles en ont bénéficié.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’accès à des toilettes décentes «est un problème majeur», affirme Coraline Duwelz, élève et membre de l’organe administratif du Comité des Elèves Francophones (CEF). En 2023, le CEF a lancé une campagne autour de cette problématique, et a constaté que «beaucoup d’élèves disaient attendre 15h ou 16h pour aller aux toilettes chez eux». Parmi les plaintes, «les horaires d’accès revenaient souvent. Les toilettes ne sont pas souvent accessibles pendant les cours. Mais surtout, elles ne sont pas toujours ouvertes, même pendant les récréations, et les élèves sont obligés de courir après les clés», raconte la jeune fille. Les problèmes d’hygiène sont aussi récurrents: «manque de savon, pas de robinet, pas de lunettes, toilettes bouchées, pas de poubelles, ce qui est particulièrement problématique pour les filles», énumère-t-elle. L’enquête Geberit notait encore que 6 élèves sur 10 (et près de 7 sur 10 en secondaire) reportaient leur passage aux lieux d’aisance tellement ils sont gênés par l’odeur.

«Comment un enfant ou un adolescent peut-il être serein d’aller aux toilettes dans ces conditions? Ça les touche psychologiquement, avec des répercussions sur la concentration en cours à force de se retenir», appuie Coraline Duwelz.

Se retenir d’aller aux toilettes est délétère

Le fait de se retenir d’aller aux toilettes n’est pas sans conséquence sur la santé. En moyenne un enfant doit se rendre quatre à sept fois par jour aux toilettes. Il est effectivement recommandé «d’évacuer son urine toutes les 2 ou 3 heures», affirme le docteur Axel Feyaerts, urologue pédiatrique aux Cliniques universitaires Saint-Luc, au risque d’infection urinaire (ou de constipation). «Si on n’urine pas régulièrement, les microbes ont le temps de se multiplier et d’infecter la vessie», indique le spécialiste. La déshydratation est une autre conséquence: «Un enfant qui veut se protéger de devoir aller aux toilettes va éviter de boire».

Il est aussi possible de voir apparaître des «modifications structurelles de la vessie. Les enfants qui luttent contre l’envie vont soit développer une vessie très musclée et épaisse, ce qui favorise l’incontinence, soit, au contraire, développer une vessie paresseuse, qui abandonne la lutte, qui va avoir du mal à se vider et provoquer des infections chroniques», explique le docteur Feyaerts. Ce qui n’est pas exempt de conséquences à long terme, puisque «ces problèmes peuvent traîner jusqu’à l’âge adulte».

Se retenir durant la journée favorise également l’énurésie (faire pipi au lit la nuit). «Les enfants qui n’ont pas beaucoup bu la journée se rattrapent après l’école et produisent donc plus d’urine durant la nuit. Ceux qui développent une vessie rigide à force de se retenir ont aussi un réservoir de plus petite capacité», affirme encore l’urologue.

Manque d’intimité et de sécurité dans les écoles

L’impact n’est pas seulement physique: se rendre aux toilettes peut être source de stress pour les élèves. Outre le manque d’hygiène et d’accessibilité, il y a aussi un manque d’intimité, avec des cabines parfois sans verrous et bien souvent ouvertes par-dessous et dessus. Beaucoup d’écoles ont hérité d’une conception du XIXe et XXe siècle, où l’intimité n’était pas un critère pour la conception des toilettes, renseigne «Ne Tournons pas autour du pot!». Les adultes craignaient que les élèves ne s’y masturbent ou ne s’y cachent. Ce manque d’intimité peut aussi provoquer une parurésie (ou syndrome de la vessie timide), qui est le fait de ne pas pouvoir uriner lorsqu’on est susceptible d’être vu ou entendu.

Dans les écoles, les toilettes sont souvent ouvertes par dessous et dessus. © dpa/picture alliance via Getty I

Toujours selon l’enquête du Fonds BYX, près d’un élève sur six ne se sent pas souvent, ou jamais, en sécurité dans les toilettes scolaires. Le ressenti est plus marqué chez les garçons. «Ce n’est pas seulement un lieu où on va faire ses besoins, c’est un espace avec des jeux de pouvoir, qui peuvent nuire à la santé mentale. C’est un lieu où on a parfois nos premières règles, on a besoin de respirer, de faire des confidences…», appuie Nora Urriagli. Les toilettes scolaires sont effectivement un prolongement de la cour de récréation où les élèves expérimentent «une autonomie de l’entre-enfants, une socialisation horizontale, porteuses d’opportunités en matière d’apprentissages informels», souligne notamment Pascale Garnier, sociologue spécialiste en science de l’éducation dans The Conversation.

Je ne pense pas que les adultes accepteraient de telles conditions sur leur lieu de travail.

Solayman Laqdim, délégué général aux droits de l’enfant.

Impliquer les élèves

D’un autre côté, les professeurs et directions des écoles reprochent aux élèves de dégrader ces lieux d’aisance. L’espace échappant à la surveillance des adultes, il est un lieu de transgression. «Les enfants ont une part de responsabilité dans l’aspect repoussant des toilettes. Un certain nombre d’entre eux expriment leur malaise, leur colère, leur souffrance en se soulageant dans les toilettes directement contre l’école», écrit Sophie Liebman, enseignante et autrice d’une thèse sur la problématique des sanitaires à l’école.

«Il y a un cercle vicieux entre les élèves et la direction des écoles. Les élèves ont l’impression qu’on ne leur fait pas confiance et que les toilettes ne sont pas entretenues, et à l’inverse les professeurs accusent les élèves de ne pas respecter les toilettes», renchérit Nora Urriagli. Ce pourquoi «Ne Tournons pas autour du pot!» favorise les projets de rénovation impliquant les élèves: «Lorsque les élèves deviennent acteurs de leurs propres toilettes, il y a un respect de l’espace et de ceux qui les occupent».

«Les toilettes sont souvent beaucoup mieux conservées et dans un meilleur état lorsqu’il y a une démarche participative», souligne Solayman Laqdim, le délégué général aux droits de l’enfant. S’il reconnaît que la situation avance grâce au programme «Ne tournons pas autour du pot!», «il y a toujours urgence à agir, c’est une question de droit fondamental. Je ne pense pas que les adultes accepteraient de telles conditions sur leur lieu de travail. Il faut questionner le rapport au corps au sein de la société, et la manière dont l’école fonctionne, c’est une institution qui peut-être totalisante, où tout est règlementé», martèle-t-il.

Un désintérêt du politique?

«Dans les pays occidentaux, le sujet des toilettes publiques n’est pas pris au sérieux. Les responsables politiques qui s’y intéresseraient courraient le risque d’être moqués pour ne pas se focaliser sur des sujets plus nobles (…) Ils ont peur, à juste titre sans doute, de voir leur carrière interrompue parce qu’ils auraient mis l’accent sur ce sujet qui touche aux fonctions humaines les plus basiques. Je pense que c’est la première raison de ce désintérêt», expliquait dans un entretien au Vif le sociologue Julien Damon.

«On a beau essayer de faire bouger les choses, il n’y a pas d’évolution», regrette Coraline Duwelz. «La ministre de l’Education de l’époque nous a entendus mais peu de changement ont été observés. Le CEF a relancé la ministre actuelle, Valérie Glatigny, qui se rend bien compte que le problème est toujours d’actualité».

«Plus de 2 millions d’euros ont été injectés dans la rénovation des sanitaires des établissements scolaires de tous les niveaux d’enseignement depuis 2017», répond le cabinet de Valérie Glatigny. «La rénovation des WC est une compétence d’Elisabeth Degryse (Ministre-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles), via les bâtiments scolaires. Un milliard d’euros a été consacré, en plus des fonds classiques, sous la précédente législature, à la rénovation des bâtiments scolaires, en ce compris les toilettes. C’est un chantier d’ampleur et cela prend du temps. Les effets ne sont donc peut-être pas encore visibles». Par ailleurs, le ministère de l’Education subventionne le programme du Fonds BYX depuis plusieurs années. «Cette année, nous avons octroyé une nouvelle subvention de 278.000 euros au projet BYX».  

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