Si l’accueil de la famille royale au pape a été globalement chaleureux, la classe politique s’est montrée très gênée par cette visite. De nombreux responsables ont même dénoncé directement ses propos, notamment sur l’avortement. © Polet Olivier/ABACA

Les propos du pape en Belgique vont-ils provoquer le divorce entre Bruxelles et le Vatican? «Ce qu’il a dit est extrêmement grave»

Au cours de ses quatre jours passés à Bruxelles, le pape François a enchaîné les polémiques. A tel point que selon plusieurs observateurs, cela pourrait inciter la Belgique à se séculariser davantage.

Dans son avion le ramenant ce dimanche à Rome, le pape François a été assailli de questions. Ses propos ont créé la controverse en Belgique et les journalistes présents voulaient avoir son ressenti. Mais le souverain pontife a tout confirmé. Que ce soit ses déclarations sur la dépénalisation de l’IVG, qualifiée de «loi homicide» et les médecins l’appliquant de «tueurs à gages». Celles sur le roi Baudouin, que le Vatican voudrait béatifier pour saluer l’opposition du monarque à l’avortement. Ou encore celles tenues à l’UCLouvain, où il a déclaré: «La femme est accueil fécond, soin, dévouement vital». A la «désapprobation» émise par la rectrice néolouvaniste, le chef de l’Eglise catholique lui a répondu que la réaction de l’université était «amorale». Par contre, rien de nouveau sur les victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise. Ces dernières demandaient des actes. Elles n’auront eu en quatre jours de visite qu’un vague appel aux évêques à «dénoncer» des «crimes».

Jean Leclercq, professeur de philosophie à l’UCLouvain et membre de l’Académie royale de Belgique, se dit consterné. «Son attitude est extrêmement grave», répète ce spécialiste des rapports entre religions et société.

Pour lui, le pape serait coupable d’ingérence. Baudouin Decharneux, professeur d’histoire des religions à l’ULB, membre de l’Académie royale de Belgique et président de DéFI en Wallonie, est du même avis: «Que le pape se rende au palais en visite protocolaire, cela peut relever du privé. Mais à partir du moment où il admoneste la Belgique pour sa législation sur l’avortement, il ne respecte pas la séparation entre l’Eglise et l’Etat

Un «malaise» généralisé après les déclarations du pape

La tension est palpable dans la classe politique. Plusieurs socialistes ont vivement dénoncé les déclarations du pape, comme le président du PS Paul Magnette, Christie Morreale, Caroline Désir et Thomas Dermine. «Cela montre que la religion n’a pas sa place dans la conduite de l’Etat», réagit le président du MR Georges-Louis Bouchez sur La Première. La présidente de DéFI Sophie Rohonyi parle quant à elle d’«un affront inadmissible» et reproche le «silence assourdissant» des Engagés. Au CD&V, le parti belge le plus proche du christianisme, la question a provoqué la zizanie. En refusant de rencontrer le pape, le président des socio-chrétiens flamands Sammy Mahdi s’est attiré les reproches de son prédécesseur Joachim Coens.

La ministre CD&V Annelies Verlinden était presque la seule personnalité politique à répondre présent lors de la visite du pape, avec le Premier ministre Alexander De Croo. Ce dernier a toutefois réservé un accueil glacial au souverain pontife, surtout sur la question des abus sexuels: «Quand quelque chose ne va pas, nous ne pouvons pas accepter que l’on étouffe l’affaire […] Aujourd’hui, les mots ne suffisent plus. Il faut des mesures concrètes.» Un discours diamétralement opposé à celui du roi Philippe, qui a salué «l’intransigeance» du pape qui aurait «agi concrètement».

«Il y a clairement un malaise, confirme Baudouin Decharneux. Le pape a commis une faute politique majeure, avec une forme de mépris pour ce qu’est une démocratie. Je ne le cache pas, j’ai été choqué.» «Le Premier ministre a déjà été sérieusement été interpellé sur le sujet à la Chambre, et la question de l’accueil réservé au pape va probablement être reposée au gouvernement», enchaîne Jean Leclercq.

Vers une Belgique complètement sécularisée?

Le professeur de philosophie est formel: la visite du pape en Belgique représenterait un tel fiasco que cela pourrait avoir pour effet de réanimer le débat sur la sécularisation de la société: «Sans laïcité inscrite dans la Constitution belge, nous allons vers de très graves difficultés, vu la montée du conservatisme religieux. Ne l’oublions pas, le pape est un monarque de droit divin. J’ai étudié la théologie et je peux vous l’assurer, cet homme est un réactionnaire.»

Ces considérations avaient déjà amené Jean Leclercq à défendre cette laïcisation devant le Parlement. C’était en 2013, mais la N-VA avait mis son véto à l’époque, se rappelle-t-il. Le terrain serait-il plus fertile pour une telle réforme aujourd’hui? Possible, d’après lui, vu le peu d’entrain des Belges pour la visite du Pape. Si près de 37.500 catholiques se sont rendus à la messe organisée au stade Roi Baudouin, seules quelques centaines de personnes ont accompagné son cortège ce dimanche. La veille, à Koekelberg, 3.000 personnes étaient présentes dans la basilique, mais les curieux n’étaient que 900 à l’extérieur, confirme la zone de police de Bruxelles-Ouest. Et ce malgré le périmètre de sécurité qui permettait d’en accueillir beaucoup plus, précise-t-elle. «Il n’y avait également pratiquement personne en-dehors de l’Aula Magna à Louvain-la-Neuve», ajoute Jean Leclercq.

D’après lui, cela montre que le pilier catholique, qui structurait autrefois toute une partie de la société belge, a perdu de sa puissance. «Les enquêtes d’opinion montrent que deux Belges sur trois ne sont pas intéressés par le voyage du pape. Il va maintenant falloir vérifier quel écho vont avoir les propos du pape. Mais je pense qu’il va y avoir une véritable prise de conscience

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