Le pape François bénissant la foule à Rio de Janeiro, en 2013, lors du World Youth Day. © Getty Images

Le pape François est décédé: retour sur 12 ans de pontificat, entre espoirs de changement et résistances internes

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

A 88 ans, le pape François est décédé ce lundi de Pâques, des suites d’une longue maladie. Pendant douze ans, son pontificat a enthousiasmé de nombreux catholiques, mais une réforme en profondeur de l’Eglise s’est révélée être une entreprise trop ardue –même pour un pape.

Le pape François est mort lundi matin à l’âge de 88 ans, a annoncé le Vatican. «Ce matin à 07h35, l’évêque de Rome, François, est revenu à la maison du Père. Toute sa vie a été consacrée au service du Seigneur et de son Église», a annoncé le cardinal camerlingue Kevin Farrell.

Le pontife argentin était sorti de l’hôpital le 23 mars après avoir été hospitalisé pendant 38 jours pour une pneumonie bilatérale, sa quatrième et plus longue hospitalisation depuis le début du pontificat en 2013.

Dimanche, à l’occasion des célébrations de Pâques, il était apparu très affaibli mais s’était offert un bain de foule en papamobile au milieu de milliers de fidèles sur la place Saint-Pierre. Le visage fermé, visiblement très éprouvé, il avait toutefois été contraint de déléguer la lecture de son texte à un collaborateur, ne pouvant prononcer que quelques mots, la voix essoufflée. Problèmes de hanche, douleurs au genou, opérations, infections respiratoires: le pape, qui se déplaçait en fauteuil roulant, affichait une santé déclinante mais avait tenu à maintenir un rythme effréné, en dépit des avertissements de ses médecins.

Une constitution prévoit des obsèques pendant neuf jours et un délai de 15 à 20 jours pour organiser le conclave, lors duquel les cardinaux électeurs, dont près de 80% choisis par François lui-même, auront la lourde tâche d’élire son successeur. Entre-temps, c’est le cardinal camerlingue, l’Irlandais Kevin Farrell, qui assurera l’intérim. François avait révélé fin 2023 qu’il souhaitait être inhumé dans la basilique Sainte-Marie Majeure, dans le centre de Rome, plutôt que dans la crypte de la basilique Saint-Pierre, une première depuis plus de trois siècles.

Lorsque, le 13 mars 2013, il a été annoncé que l’Argentin Jorge Bergoglio avait été élu nouveau pape et avait choisi le nom de François, un sentiment de soulagement a traversé l’Eglise. Il semblait que le catholicisme allait enfin s’engager sur une voie moins rigide et s’ouvrir davantage à un monde en pleine mutation.

Le pape Benoît XVI avait, un mois plus tôt, le 11 février, annoncé son abdication, déclarant qu’il ne se sentait plus «spirituellement et physiquement» en mesure d’exercer ses fonctions. Sa décision a été accueillie avec compréhension et même admiration. Certains observateurs cyniques ont affirmé que c’était «la décision la plus sage de son pontificat».

Benoît XVI s’est ensuite installé au monastère Mater Ecclesiae, situé dans l’enceinte du Vatican, où il est resté jusqu’à sa mort en 2022. Cette situation a fait de François le premier pape depuis 700 ans à devoir coexister avec un prédécesseur encore en vie.

Le nouveau pape, Jorge Bergoglio, alors âgé de 76 ans, était archevêque de Buenos Aires. Son élection fut historique à plus d’un titre. Il était le premier pape non européen depuis plus de 1.200 ans. Il devenait le premier Sud-Américain –et plus largement le premier pape issu d’un pays situé au sud de l’équateur. Il était le premier jésuite à accéder au trône de Saint-Pierre. Son choix du nom François –inédit dans l’histoire de la papauté– était une référence explicite à François d’Assise, fondateur des franciscains.

Enfin, François était aussi le premier enfant de migrants à devenir pape. En 1929, son grand-père Mario Bergoglio avait quitté l’Italie pour tenter sa chance dans le Nouveau Monde. Pour les nombreux Italiens contraints à l’exil, New York ou Buenos Aires représentaient un même espoir de vie meilleure, loin de la misère du Piémont et de l’Italie fasciste.

Rattrapage

A l’occasion de sa visite en Belgique en septembre dernier pour les 600 ans des universités de Louvain et Louvain-la-Neuve, le recteur de la KU Leuven Luc Sels le recteur Luc Sels a déclaré que François était «le seul leader mondial à encore se soucier du sort des réfugiés». C’est un fait. Quelques mois seulement après son élection, le 8 juillet 2013, il s’était rendu sur l’île de Lampedusa, devenue symbole de la crise migratoire. Son discours papal ne contenait ni complaisance ni euphémisme: «Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle, a-t-il lancé aux dirigeants européens. La culture du bien-être nous rend insensibles aux appels à l’aide», ce qui mène, en fin de compte, à «une mondialisation de l’indifférence».

François abordait la question migratoire du point de vue des migrants eux-mêmes, adoptant souvent une approche ascendante des grands problèmes mondiaux. Une posture rare pour un pape, qui se plaçait ainsi au plus près de ceux qui souffrent.

S’il était un pape de dialogue, il savait aussi neutraliser les évêques et cardinaux récalcitrants, usant d’une habileté certaine pour écarter ceux qui s’opposaient à ses réformes.

Dans cette même logique, il a entrepris une vaste correction de trajectoire en faveur des continents non occidentaux. Lors des nominations de cardinaux, les prélats issus de ces régions ont été privilégiés, rompant avec la tradition qui voulait qu’un archevêque d’un siège historique –comme Malines-Bruxelles– soit automatiquement élevé au rang de cardinal.

Ce fut le cas pour André-Joseph Léonard, qui, à ce jour, en garde une grande amertume. Dans un entretien accordé au Vif en 2014, Léonard ironisait sur le franciscanisme et l’amour écologique catholique prônant le respect de la Création (nature, animaux et plantes). Un an plus tard, François publiait Laudato Si’, première encyclique écologique de l’histoire.

S’il était un pape de dialogue, il savait aussi neutraliser les évêques et cardinaux récalcitrants, usant d’une habileté certaine pour écarter ceux qui s’opposaient à ses réformes.

Le pape François est décédé: retour sur son côté subversif

Pour comprendre l’action de François en tant que pape, il faut d’abord connaître sa vie. Les nécrologies papales ont souvent tendance à ne réellement commencer qu’au conclave qui les a élus. Or, Jorge Bergoglio était déjà dans sa septante-septième année lorsqu’il est devenu François. Sa longue vie, déjà bien remplie, ne peut être réduite à une simple préface à son pontificat: François était un pape en prolongation.

D’un point de vue historique, il est donc plus juste d’inverser la perspective et de considérer ses douze années à la tête de l’Eglise comme un dernier chapitre imprévu, venant clôturer une existence déjà marquée par de nombreux bouleversements.

Les cinq enfants de Mario Bergoglio et Regina Maria (elle-même fille d’immigrés italiens) étaient argentins. Ils ont grandi dans un pays immense, traversé par une histoire tourmentée. Entre 1976 et 1983, l’Argentine a vécu sous la dictature d’une junte militaire. En tant que provincial des jésuites argentins, Jorge Bergoglio a dû prendre position.

Le pape François est décédé ce lundi de Pâques, des suites d’une longue maladie. © Getty Images

Durant cette période, entre 7.000 et 8.000 opposants de gauche «disparaissent». Pour le général Jorge Videla, chef de la junte, cette répression était indispensable pour venir à bout de la «subversion de gauche», comme il l’écrivait encore en 2012. Mais tout le monde pouvait être considéré comme subversif. Ce fut le cas d’Esther Ballestrino, une ancienne supérieure hiérarchique de Bergoglio, lorsqu’il était chimiste dans les laboratoires Hickethier-Bachmann.

Esther Ballestrino était l’une des figures de proue des «Mères de la place de Mai», ces femmes qui exigeaient des réponses sur la disparition de leurs proches. Bergoglio l’a aidée à cacher sa bibliothèque, contenant des ouvrages marxistes. Mais cela n’a pas suffi à la sauver. En décembre 1977, Esther Ballestrino est arrêtée par la police. Son corps a été retrouvé sur une plage. Avant cela, elle avait été torturée, puis jetée vivante dans la mer depuis un avion militaire.

Les femmes dans l’Eglise

Esther Ballestrino a profondément marqué Jorge Bergoglio. Dans la mesure où un prêtre catholique peut être féministe, il l’a été. Il a permis à des femmes d’accéder aux plus hautes fonctions du Vatican. En 2022, il a nommé la religieuse italienne Simona Brambilla au poste de préfète («ministre») du Dicastère pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique.

Un titre long et pompeux pour désigner ce qui est en réalité le ministère des religieux, chargé de toutes les abbayes, monastères et maisons religieuses, ainsi que de tous les prêtres, frères et sœurs à travers le monde. Si un pape peut promouvoir une femme à une fonction de premier plan au Vatican, il lui est en revanche interdit de l’ordonner simple curé de paroisse. Cette interdiction reste absolue, même si François avait voulu la lever.

En 1994, le pape Jean-Paul II, à travers l’exhortation apostolique Ordinatio Sacerdotalis, a quasiment élevé le sacerdoce exclusivement masculin au rang de dogme: «L’Eglise n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, et tous les fidèles de l’Eglise doivent considérer cette décision comme définitive.» Un pape qui oserait briser cette interdiction provoquerait inévitablement un schisme. François n’a jamais voulu payer ce prix.

Antéchrist

Dans ses nombreuses tentatives de réforme et décisions, François a souvent agi avec impétuosité, tel un gaucho des pampas argentines. Cette approche «à prendre ou à laisser» lui a joué des tours tout au long de sa vie. S’il savait tisser des amitiés, il avait un don encore plus grand pour se faire des ennemis. Et ce, alors même que les marges de manœuvre pour réformer l’Eglise sont extrêmement réduites, même pour un pape.

Un exemple: lorsque François a déclaré que les athées menant une vie vertueuse pouvaient aussi être sauvés par Jésus et accéder au paradis, il a été immédiatement contredit par Thomas Rosica, l’un des porte-parole du Vatican: «Les non-croyants vont bel et bien en enfer.»

Cette approche «à prendre ou à laisser» lui a joué des tours tout au long de sa vie. S’il savait tisser des amitiés, il avait un don encore plus grand pour se faire des ennemis.

Rapidement, il est apparu que des figures comme Rosica bénéficiaient du soutien de la haute hiérarchie de la Curie, et même d’un puissant réseau conservateur extérieur. Des figures influentes, telles que le cardinal allemand Gerhard Müller, le cardinal américain Raymond Leo Burke ou l’archevêque italien Carlo Viganò, ont attaqué François ad hominem. Ils lui reprochaient notamment son discours trop indulgent envers les homosexuels et les divorcés, ainsi que des désaccords sur des questions théologiques. Ils sont même allés jusqu’à appeler à sa destitution.

Mais François a riposté. Müller a été démis de ses fonctions de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et Viganò a été excommunié, mais seulement après qu’il eut qualifié le pape d’«antéchrist».

Le pape François est décédé, laissant derrière lui une Eglise moins réformée qu’il ne l’avait annoncé. © Getty Images

Modèle simple

Pour lui-même, François était strict. Même en tant que pape, la simplicité a marqué son style de gouvernance. Après son élection, il refusa de résider dans les appartements pontificaux, préférant un logement modeste à la Domus Sanctae Marthae, la maison d’hôtes du Vatican. Cela s’inscrivait dans la continuité de ce qu’il avait déjà fait à Buenos Aires.

Lorsque, en 1998, après la mort du cardinal Antonio Quarracino, il devint archevêque de Buenos Aires (et fut créé cardinal en 2001), Bergoglio refusa d’emménager dans le palais archiépiscopal prévu à cet effet. Il préféra une simple chambre au centre de Buenos Aires, dans l’immeuble où se trouvait l’administration du diocèse.

Il y avait une bonne raison pour laquelle, d’abord à Buenos Aires puis à Rome, il refusait de faire ce que tous ses prédécesseurs faisaient: assister à des réceptions, donner aux hommes politiques une place d’honneur dans un cortège populaire, etc.

Après le retour de la démocratie en Argentine en 1983 (ou du moins une version assez corrompue de celle-ci), il entretint des relations tendues avec les présidents Carlos Menem (1989-1999) et Cristina Fernández de Kirchner (2007-2015).

Pour lui-même, François était strict. Même en tant que pape, la simplicité a marqué son style de gouvernance.

Bergoglio estimait qu’ils œuvraient davantage pour leurs intérêts personnels que pour le bien commun, qu’ils suivaient le peuple au lieu de le diriger, et qu’en parallèle, ils versaient d’importantes sommes d’argent aux prêtres et aux évêques –officiellement pour soutenir l’Eglise, mais en réalité pour acheter des soutiens et payer le silence de certains. Il avait découvert que même Quarracino recevait secrètement de l’argent de Menem. Cette révélation renforça sa méfiance à l’égard d’une Eglise trop proche du pouvoir, ainsi que son rejet des prêtres attirés par le luxe, les honneurs et la grandeur.

La confrontation

Le Vatican, même après l’élection du pape François, restait malheureusement envahi par les mêmes pratiques. Son prédécesseur, Benoît XVI, avait été pendant des décennies un homme du système, et en tant que pape, il avait toléré tacitement qu’une clique d’apparatchiks y fasse à peu près tout ce qu’ils voulaient.

Ce problème est d’ailleurs ancien au sein de la Curie vaticane, mais il avait atteint un point de non-retour. Une maxime populaire trouve ici un écho particulier: «Le poisson commence à pourrir par la tête» –surtout lorsqu’il s’agit de la proximité du successeur de Pierre, qui fut jadis un simple pêcheur sur le lac de Galilée.

En 2014, un an après son élection, François choisit l’affrontement direct avec sa propre hiérarchie. Lors de son discours de Noël adressé à l’administration vaticane, il accusa la Curie de quinze péchés majeurs, allant de «l’Alzheimer spirituel» à «l’immobilisme mental», en passant par «une culture du commérage». Les médias s’emparèrent de l’affaire: «Un pape humilie publiquement le Vatican».

En réalité, la situation était encore pire que ce que François imaginait. En 2019, le journaliste d’investigation français Frédéric Martel publia Sodoma, un ouvrage exposant les zones d’ombre du Vatican.Le livre fit l’effet d’une bombe. Sur la base de témoignages de 41 cardinaux, 52 évêques et 45 nonces apostoliques, Martel conclut que de nombreux cardinaux et (arche)évêques, pourtant ouvertement homophobes, vivaient avec de jeunes assistants masculins au Vatican. Les gigolos entraient et sortaient librement des appartements pontificaux.

L’usage d’applications de rencontres gay y était répandu. Les abus sexuels y étaient monnaie courante. L’auteur reprocha à François et à l’Eglise en général de maintenir une culture du silence, qui faisait du Vatican un environnement propice aux pédophiles et autres délinquants sexuels. François répondit en déclarant que «une atmosphère de tapetterie» régnait au Vatican.

Le pape François est décédé: celui qui n’en a jamais fait assez?

Chaque dirigeant a ses limites, et celle de François était qu’il dirigeait une institution qui, depuis des décennies, faisait preuve d’une hypocrisie criante en matière de sexualité: la doctrine était rigide pour les fidèles, tandis que trop de prêtres et de religieux étaient d’une indulgence excessive envers eux-mêmes, s’autorisant des infractions flagrantes aux lois civiles et aux règles ecclésiastiques.

Même un pape sincère ne pouvait corriger autant de malhonnêteté. Même lorsque de nouvelles révélations éclataient, même lorsqu’un nouvel évêque ou prélat était destitué par François, cela ne suffisait jamais. Et cela ne pouvait jamais suffire. En restant fidèle à son Eglise, ses dogmes et ses lois, il perdait en crédibilité dans une société critique et focalisée sur la sexualité.

Même un pape sincère ne pouvait corriger autant de malhonnêteté.

Sa fin de vie en fut une illustration douloureuse. L’euthanasie reste un interdit absolu selon la doctrine catholique. Même les soins palliatifs ne sont pas une véritable option pour un pape, car la crucifixion du Christ demeure l’argument ultime qui justifie qu’il est « bon » de souffrir jusqu’à la fin. C’est ainsi que s’est produit ce que nous avons observé ces dernières semaines à l’hôpital Gemelli, une lente progression vers une fin inéluctable, sous le regard du monde entier, témoin d’un vieil homme qui ne pouvait que patienter face à sa propre mort imminente.

Ses médecins romains ne l’ont pas réellement maintenu en vie plus longtemps. Ils l’ont surtout laissé mourir plus longtemps. Dès lors, on peut se demander à distance si la mort de ce pape n’annonce pas, de manière symbolique, le destin inévitable de son Eglise –du moins en Occident.

 

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