Apprenez à célébrer à l’Ecole des rites de Gabriel Ringlet
L’école des rites et de la célébration a ouvert ses portes il y a quelques mois en Brabant wallon à l’inititive, entre autres, du prêtre Gabriel Ringlet. Avec un objectif étonnant: former, dans une démarche entièrement pluraliste, croyants et non-croyants à «célébrer» lors d’occasions très diverses.
Arriver jusqu’à Malèves-Sainte-Marie, petit village brabançon pas très loin de Perwez, c’est, en quelque sorte, déjà sortir des sentiers battus: abandonner une autoroute, quitter une nationale et bifurquer brusquement vers un réseau étroit de routes de campagne où les voitures ne se croisent qu’au ralenti. Le prieuré Sainte-Marie n’est plus très loin. C’est là qu’a éclos récemment une école d’un genre particulier. Elle propose, dans une démarche entièrement pluraliste, de former des «célébrants», des personnes capables de célébrer des rites dans un contexte religieux ou non.
Parmi les instigateurs de cette «Ecole des rites et de la célébration» figure Gabriel Ringlet, prêtre catholique, écrivain et professeur émérite à l’UCLouvain. Ce mardi-là, il encadre une master class consacrée aux «rites autour des étapes de la vie». Deux autres intervenantes, Marie Cénec, pasteure protestante à Genève, et Mireille Bavré, issue du «monde humaniste», l’accompagnent dans cette tâche. En face d’eux, une vingtaine d’hommes et de femmes prennent part au module. Certains sont croyants, d’autres pas, comme ils le laissent entendre lors de leur courte présentation. La plupart partagent un intérêt pour les rites et, apparemment, la conviction selon laquelle certaines étapes de la vie sont à marquer par des paroles ou des gestes. Sujet qu’ils approfondiront deux jours durant après avoir déjà suivi, quelques mois plus tôt, un premier module «généraliste».
Ce besoin de rites, de célébrations, est indiscutablement la grande conviction à l’origine de la nouvelle école: l’idée selon laquelle nos sociétés, si évoluées soient-elles, ne peuvent se passer de cérémonies en une série de circonstances comme la naissance, «l’alliance», la mort. Entre autres, mais pas que: «Il existe quelque chose d’ordre anthropologique, qui dépasse tout particularisme, derrière cette réalité-là», rappelle Marie Cénec, s’inspirant des travaux de l’ethnologue français Arnold van Gennep (1873 – 1957) et de son concept de rites de passage, bâti sur l’analyse de cérémonies dans différents groupes humains.
«Dans nos vies concrètes, nous avons tous besoin d’un au-delà à ce qui nous arrive immédiatement, abonde Gabriel Ringlet. C’est en cela que nous avons besoin de rites et de célébrations, que l’on soit croyant ou non. Célébrer, c’est soulever la vie ordinaire pour la porter plus loin, lui donner une dimension plus large. C’est vraiment donner davantage d’humanité à l’humanité.»
«Semailles, accordailles et grisailles»
Les occasions de pratiquer un rite ne manquent pas. Dans la master class «Rites autour des étapes de la vie», les trois formateurs ne se limitent pas à aborder les moments particuliers que sont la naissance, «l’alliance» et la mort, rebaptisées pour l’occasion, dans le jargon poétique de l’école, «semailles», «accordailles» et «grisailles». Ils évoquent d’autres types de «débuts» et de «fins» et demandent aux participants d’imaginer des rituels qui marquent, par exemple, l’adoption d’un enfant par un couple ou une famille ou l’entrée dans une nouvelle maison. Avec cet exercice, ils imaginent les ressentis qui peuvent y être associés et les rituels qui peuvent les faire résonner.
«Même si les gens qui s’adressent à moi ne le formulent pas forcément comme cela, j’ai régulièrement des demandes pour ritualiser des séparations de couples, indique Mireille Bavré. En la matière, peu de choses existent et beaucoup sont sans doute à inventer. Dans un tout autre domaine, celui des entreprises, je reçois également des demandes de ritualisation de la fin d’un projet ou d’une équipe de travail.»
Gabriel Ringlet évoque encore d’autres types de demandes comme celle, par exemple, d’un homme amputé d’une jambe qui souhaitait «célébrer» symboliquement cette perte, entouré de ses proches. «Je crois qu’il y a énormément de choses à faire également autour du départ en maison de retraite, affirme le théologien. Quitter la maison où on a vécu des années pour rejoindre une telle structure, c’est un traumatisme et une perte immense dont, souvent, on mesure mal la portée. Pour rendre ce passage plus supportable, il ne suffit pas, selon moi, d’aller boire un verre chez les voisins la veille du départ. Idéalement, il faudrait construire un rituel qui permettrait de raconter tout ce qui s’est passé dans cette maison, ce qui a été vécu, ce qui a marqué, avec des témoignages personnels mais aussi des échos des voisins, de la famille.»
Le groupe qui pilote l’Ecole des rites au sein de l’asbl Prieuré Sainte-Marie a commencé à recenser les situations particulières où ce besoin de rites pourrait se faire sentir. Il en a jusqu’ici dénombré une quarantaine autour de la naissance, de l’alliance, de la mort mais aussi de la santé et de «situations de fragilité». Avec, tout au long de cette liste, l’énoncé de variantes selon que le rite est posé ou pas dans un contexte religieux. Et avec la prise en compte d’évolutions plus récentes, comme par exemple le changement de genre.
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La «troisième voie»
La création de l’école représente une notable évolution sur le temps long. Et pour cause, le besoin auquel elle répond a été assumé durant des siècles par les religions avant que les grands lieux institutionnels qui y étaient attachés subissent, de façon générale, des pertes d’adhésion. «C’est vrai aussi pour le monde laïque, insiste Gabriel Ringlet. Dans le même temps, on voit que le monde économique tente de s’emparer de cette question avec des entreprises spécialisées qui proposent désormais des célébrations clé sur porte pour une série de situations. La volonté de notre équipe, en formant des célébrants, est de tenter une troisième voie, qui ne soit pas commerciale, qui fasse une distinction nette entre animation et célébration et qui répondent à la demande rituelle très réelle de nos sociétés.»
Les contours de cette «troisième voie» interrogent parfois les participants – catholiques en particulier – qui se demandent quels rites ils pourront pratiquer entre ceux qui sont sacramentels (réservés à un prêtre) et ceux qui ne le sont pas, et à quoi correspond exactement cette seconde catégorie. Gabriel Ringlet répond avec clarté, met les balises où elles sont nécessaires. Et, pour le reste, rappelle que les circonstances où l’on peut poser des rites dépassent largement les moments de sacrements.
Tous les «élèves» comptent-ils vraiment devenir «célébrants»? Plusieurs évoquent avant tout l’envie de découvrir des rites nouveaux. «Qui correspondent aux aspirations de nos contemporains», précise une participante. D’autres font état d’intentions de célébration plus concrètes. Par rapport à «des proches confrontés à une situation de deuil», pour l’une, ou par rapport à un «centre de naissance et de mourance qui vient d’ouvrir à Bruxelles et qui compte un lieu de célébration», pour un autre. Certains font partie d’une paroisse et imaginent pouvoir y être actifs d’une manière qui reste, sans doute, un peu à inventer. Une jeune fille dessine peut-être encore les contours d’une autre pratique lorsqu’elle demande si célébrer ne mérite pas une rémunération.
«Pour s’inscrire à l’Ecole des rites, les participants doivent envoyer une lettre de motivation, pose Gabriel Ringlet. Ce qui m’a étonné en les lisant, c’est que plusieurs candidats se sentaient d’emblée une vocation à célébrer. J’aurais pu imaginer que certains étaient intéressés à l’idée de le faire, en avaient l’envie, mais pas qu’ils se sentaient une vocation.»
La bougie, l’huile et le texte
Le module confronte directement les participants avec la réalité de la construction d’une célébration. Marie Cénec, Mireille Bravé et Gabriel Ringlet attirent, par exemple, leur attention sur l’importance de clarifier «l’intention» de ceux qui prennent part aux rites. A grand renfort d’exemples, ils évoquent également les gestes rituels à poser, les textes à prononcer, les musiques à choisir.
«Pour célébrer, on a besoin de textes, de chansons, de musiques, de photos, de lumière, d’objets, détaille Gabriel Ringlet. Pour récolter tout cela, on tient compte des pratiques qui ont toujours existé au sein des traditions religieuses et laïques tout en tentant de les réinterroger, de les rénover, de les améliorer. Au-delà, on a sans doute besoin également de nouvelles démarches rituelles qui, elles, pourront germer, on l’espère, dans le cadre de l’Ecole des rites.»
Des «élèves» ont déjà commencé à célébrer. C’est le cas de Laurence. Elle a accompagné voici quelques semaines une amie, malade, qui avait fait le choix de l’euthanasie, et a exécuté, avec elle et ses proches, un petit rituel quelques minutes avant son décès dans une chambre d’hôpital. «J’ai su deux jours avant qu’il n’y aurait pas de prêtre à ses côtés pour ce moment particulier. Elle en avait rencontré un à l’hôpital mais ça ne s’était pas trop bien passé. Pour ma part, en amont, j’avais eu l’occasion de prendre quelques conseils auprès de Gabriel Ringlet et de réfléchir à un rituel. Je l’ai construit avec une bougie, de l’huile odorante à appliquer dans la paume de sa main et sur son front et un petit texte dans lequel j’ai tenté de m’approcher au maximum de ce qu’elle était. Je pense que ma présence a été importante ce jour-là. J’ai pu lui amener, je crois, un peu de sérénité ainsi qu’à ses proches. Pour la célébration des funérailles, j’ai également préparé un petit texte.»
Les rites et le soin
Quelques semaines plus tard, Laurence a suivi un module consacré aux «rites autour du soin» au prieuré Sainte-Marie. Celui-ci a rassemblé une série de professionnels: des médecins, des infirmières, des sages-femmes, une ancienne responsable de maisons de retraite. Avec, à la clé, l’examen de situations spécifiques comme l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la fausse couche, les soins palliatifs ou l’euthanasie à la lumière d’une question toujours identique: en quoi le rite peut s’avérer utile, voire indispensable? «L’interrogation est large, elle concerne des personnes vivantes, des familles, mais, parfois, aussi seulement des corps souligne un participant, médecin légiste de profession. Mes collègues considèrent généralement ces corps d’un point de vue purement matérialiste. Cela n’empêche pas, me semble-t-il, qu’on puisse réfléchir à inventer quelque chose.»
Quoi qu’il en soit, l’Ecole des rites semble avoir déjà atteint une certaine vitesse de croisière. Après les modules généralistes, lancés voici quelques mois, et ceux de spécialisation, introduits cet automne, ses responsables réfléchissent à d’autres formations, plus courtes ou plus ponctuelles. «Voir que les prochaines master classes affichent déjà complet et que celles et ceux qui s’inscrivent au premier module poursuivent ensuite avec les autres est extrêmement positif, se réjouit Gabriel Ringlet. Parallèlement, et c’est l’un de nos grands enjeux, nous devrons élargir l’équipe des intervenants pour qu’elle soit composée de suffisamment de personnes capables d’accompagner celles et ceux qui se mettent à célébrer, de les superviser. Si l’on veut construire une démarche sérieuse, il faut que tout reste dans un cadre solide et identifié. Car célébrer, ça ne s’improvise pas.»
Ça s’apprend. Et désormais, même dans une école.
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