Abus sexuels dans l’Eglise: « Evitons d’improviser des mesures spectaculaires »
Le nouveau scandale des abus sexuels dans l’Eglise relance le débat sur le salaire des ministres de cultes. Le supprimer à titre de sanction n’est pas si évident. Ni forcément pertinent, comme le souligne Jean-François Husson, coordinateur de l’Observatoire des relations administratives entre les cultes, la laïcité organisée et l’Etat (Oracle).
Dans la foulée du documentaire de la VRT Godvergeten, les partis se sont accordés sur la mise en place d’une nouvelle commission d’enquête parlementaire. Que pourrait-elle apporter?
Il est question de revenir sur les suites de la précédente commission et d’aborder la question du financement des cultes. Ce sont deux motifs intéressants. Lors de la première commission, en 2010, plusieurs changements avaient été préconisés. Que l’on vérifie aujourd’hui ce qui a été mis en œuvre et ce qui ne l’a pas été, et qu’on évalue ce qui devrait être corrigé, amplifié ou actualisé, me semble positif. En ce qui concerne le financement des cultes, plusieurs rapports d’experts ont autrefois été rédigés.
Ces experts, de tendances philosophiques différentes ou neutres, ou pour certains issus de milieux catholiques et laïques, sont parvenus à deux reprises à un consensus: lors de la commission des sages en 2006 et pour le rapport d’un groupe de travail sur le financement des cultes, en 2011. Ce n’est pas anodin. En effet, le système actuel présente des avantages: il a notamment permis de passer du financement des cultes au financement des cultes et de la laïcité organisée sans que cela ne pose de réel problème. Ce qui montre bien son adaptabilité.
Pourtant, ces rapports ont été oubliés dans le fond d’un tiroir alors que le système aurait dû être modernisé. On peut craindre aujourd’hui que, sous le coup de l’émotion, le législateur ne fasse n’importe quoi. Qu’il mette en place une usine à gaz, improvise de nouvelles règles spectaculaires pour s’assurer une visibilité dans les médias. Et tant pis pour ceux qui devront payer les pots cassés si le nouveau modèle est mal pensé, alors qu’il aurait été possible d’adapter un système imparfait mais qui tient la route.
Jean-François Husson «On peut craindre aujourd’hui que, sous le coup de l’émotion, le législateur ne fasse n’importe quoi.
Ne pourrait-on pas s’inspirer du rapport au culte et à la laïcité de certains de nos voisins européens?
Le système allemand prévoit que les personnes qui se déclarent appartenir à une religion s’acquittent d’un impôt convictionnel. Les laïcs, eux, n’y sont pas soumis. C’est un peu comme notre centime additionnel communal, que tous les habitants doivent payer, sauf qu’en Allemagne il est établi à l’échelon de chaque Land et sur la base de l’appartenance religieuse. Ce qui signifie, pour tous ceux qui ne paient pas cet impôt, une sortie d’Eglise. Mais aussi que si vous comptez parmi vos fidèles de riches contribuables, c’est le jackpot, alors que s’ils sont réfugiés ou sans papiers, c’est la disette.Il existe un problème d’équité.
Vous pensez au culte musulman?
Oui, mais aussi au culte orthodoxe pour les réfugiés ukrainiens. Se pose aussi la question du financement de la laïcité. Les libres penseurs ne veulent généralement pas être identifiés. Or, en Allemagne, l’employeur doit savoir à quel culte vous êtes attaché pour pouvoir prélever l’impôt. Cela soulève des questions sur le plan du respect de la vie privée.
Pour le culte israélite, par exemple, l’existence de listes de Juifs peut poser problème. Le système allemand ne doit pas être confondu avec le système italien dans lequel le contribuable est invité à cocher sur une liste, lorsqu’il remplit sa déclaration fiscale, l’organisation à laquelle il souhaite qu’une partie de son impôt soit reversée (NDLR: l’Etat peut également figurer parmi les destinataires pour lui permettre de financer certaines dépenses). Dans le cas où le contribuable ne coche aucune case, n’exprime aucun choix, cet impôt sur le revenu est redistribué aux différents bénéficiaires proportionnellement aux choix faits par les autres contribuables, ce qui est profitable à l’église catholique.
L’inconvénient avec le système italien, c’est qu’il pourrait coûter plus cher que le système actuel et qu’il pose question sur le plan de la vie privée puisque le fisc sait que vous financez telle ou telle communauté. Comme pour le modèle allemand, le risque que des listes de Juifs ou de francs-maçons, par exemple, puissent être établies n’est pas exclu.
Quand on voit ce qui se passe avec l’Evras et toutes ces menaces sur la libre pensée, on peut éprouver certaines craintes. D’autant que nous ne sommes pas à l’abri de faits de piratage. Enfin, il faut rappeler que si, en Belgique, le financement a pour but de répondre à des besoins en matière de salaires et de frais de fonctionnement, en Italie, l’impôt n’est pas spécifique aux religions. Il est en partie reversé à des œuvres sociales ou à des écoles. Il s’agit donc d’un système où de multiples enveloppes sont renvoyées vers le contribuable, ce qui laisse peu de marge pour mener une politique budgétaire.
Calquer le modèle français est-il inconcevable?
On oublie que si la République française ne reconnaît aucun culte et ne salarie pas leurs représentants, elle octroie tout de même des avantages fiscaux. En France, tout attachement au culte donne droit à une réduction d’impôts. L’administration fiscale peut donc savoir si un contribuable a fait ou non des dons en faveur d’organisations cultuelles. Par ailleurs, l’Alsace-Moselle a gardé un système de financement des cultes similaire à celui de la Belgique. Une exception que l’on retrouve aussi dans certains territoires d’outre-mer comme à Mayotte, où l’Etat vient de financer la rénovation de la grande mosquée. A cela s’ajoutent les aumôneries, les prisons, les hôpitaux, ainsi que les dépenses liées à la conservation du patrimoine.
Comment pourrait-on sanctionner les auteurs d’abus sexuels ou les institutions qui les ont couverts sans toucher au système de financement actuel?
Plusieurs possibilités existent. En ce qui concerne les ministres des cultes ou les délégués laïques, il faut examiner s’ils font l’objet de suspicions ou si leur culpabilité est avérée. Cette question est le reflet du conflit traditionnel entre la présomption d’innocence et le devoir de précaution. Suspendre le salaire d’une personne qui n’a pas été reconnue coupable et la déchoir de ses droits civils et politiques est compliqué. Ne prendre aucune précaution n’est pas envisageable non plus. Si l’Eglise considère que toute la lumière n’a pas été faite, il faut alors que la justice puisse travailler rapidement, ce qui, dans notre pays, n’est pas évident. Il faudrait au minimum que l’on puisse limiter l’arriéré judiciaire. Dans les cas où il ne s’agit que de suspicions, que la personne conserve son traitement et qu’elle souhaite maintenir son engagement dans l’Eglise, il faudrait qu’elle puisse être éloignée des enfants, comme on le fait dans l’enseignement en pareils cas.
Même dans les situations où des aveux ont été formulés et une décision de justice rendue, suspendre unilatéralement la rémunération reste difficile, puisque la Constitution indique clairement que l’Etat ne peut intervenir dans la désignation des représentants du culte. Ce qu’on attend de lui, c’est qu’il paie les émoluments des personnes figurant sur une liste qu’on lui communique. On peut toutefois espérer une meilleure communication entre la justice et l’Eglise car elle seule peut demander la suppression des appointements d’une personne figurant sur cette liste. Il faut enfin rappeler que le concept de «ministre des cultes» est une spécificité belge.
Si le fait de renvoyer un évêque à l’état laïque ne regarde pas l’Etat, son aptitude à exercer la fonction de ministre des cultes, donc d’assister la population, est de son ressort. Et s’il vit reclus, il ne peut être rattaché à aucun ministère du culte. D’autant qu’aujourd’hui, les ministres des cultes et les représentants laïques sont soumis à de nouvelles obligations: suivre des formations, respecter les dispositions légales, dont le code pénal, et ne pas accepter de revenus venant de l’étranger.
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