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Réforme de l’orthographe: « On passe un temps incroyable à enseigner non pas la règle, mais des exceptions »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Des dizaines de linguistes, enseignants et figures de la culture français, suisses, canadiens et belges ont signé une tribune titrée «Il est urgent de mettre à jour notre orthographe». L’apprentissage des exceptions à la règle empiète sur un temps qui pourrait être dévolu à la production de contenus, estime Xavier Dessaucy de l’Association belge des professeurs de français.

En classe, les professeurs de français enseignent-ils vraiment l’orthographe réformée?

Xavier Dessaucy: Ce n’est pas clair, en fait. Il y a effectivement eu des circulaires ministérielles en 2008 demandant d’enseigner prioritairement l’orthographe réformée de 1990. Mais j’observe chez mes élèves de rhéto qu’ils ne savent pas toujours s’il faut mettre un accent circonflexe ou non à «ile», alors que c’est pourtant un élément assez simple de la réforme. Certains outils ont aussi vu le jour, offrant quelques conseils simples pour appliquer l’orthographe réformée. Mais concrètement, ce n’est pas encore généralisé. Cela étant, l’école n’est pas seule concernée, loin de là.

Les producteurs de contenus devraient-ils être plus proactifs?

Si vous enseignez l’orthographe réformée mais que vos élèves lisent des livres qui ne correspondent pas aux apprentissages, ça ne clarifie certainement pas les choses. Les médias sont concernés aussi. L’ensemble de la société doit avancer sur le sujet et ce, dans l’ensemble de la francophonie. C’est quelque chose de plus global. Dans l’enseignement, il faut reconnaître que les choses se sont un peu clarifiées lors de la mise en place du nouveau tronc commun. Les nouveaux référentiels en français adoptent la nouvelle orthographe, mais l’école ne doit pas être seule.

L’adoption des nouvelles règles est-elle, parfois, une question de génération d’enseignants?

Je ne le pense pas. D’ailleurs, la tribune dans Le Monde a été signée par des personnes de toutes les générations, de différents pays et de tous horizons. Notre association de professeurs de français s’inscrit dans l’esprit de cette réforme. A vrai dire, chez les linguistes comme chez les enseignants et de nombreux didacticiens, un consensus se dégage autour de la question. Même si, pour certaines personnes, il est difficile de se défaire de l’orthographe telle qu’elles l’ont apprise (NLDR: il insiste, avec ironie, sur l’accord du participe au féminin, alors que les signataires, dont il fait partie, plaident pour l’invariabilité). Typiquement, l’accord du participe passé avec «avoir» est une règle que beaucoup de personnes ne maîtrisent pas.

Est-ce la seule vraie nouvelle règle que les signataires de la tribune veulent instaurer, par rapport à la réforme de 1990?

Avec les pluriels en «s» au lieu de «x», convention qui résulte d’une erreur de copistes. L’idée consiste donc à écrire «bijous» et «genous». Ce sont des règles qui donnent lieu à beaucoup d’explications et beaucoup d’erreurs. Au final, un temps incroyable consacré à enseigner non pas la règle, mais des exceptions. Or, il est important que le système orthographique soit cohérent. Je ne vois pas pourquoi l’orthographe échapperait à la rationalité. Oui, notre orthographe est assez compliquée, du point de vue lexical ou des doubles consonnes, par exemple. Mais l’orthographe grammaticale, il y a vraiment moyen de la réformer et de la simplifier.

Les opposants avancent-ils encore souvent l’argument du nivellement par le bas?

Ceux qui tiennent ce discours ne comprennent pas ce qu’est une langue. Une langue bouge, vit, évolue. Si elle ne vit plus, elle meurt. Mon grand-père, qui venait d’un milieu très modeste, a toujours eu une calligraphie et une connaissance de l’orthographe excellentes. Il est vrai qu’entre-temps, le niveau orthographique a baissé. Mais il les a apprises à une époque où, grosso modo, on apprenait à lire, écrire et calculer. Aujourd’hui, l’enseignement aborde bien plus de choses, heureusement. L’intérêt de la dictée est remis en question, également par de nombreux didacticiens. Je travaille dans une école où le niveau socioéconomique moyen est plutôt élevé, ce qui n’empêche pas certains élèves d’éprouver de grandes difficultés en orthographe. Ce n’est pas une question de classe sociale ou de nivellement par le bas. Il faut se sortir de la tête que la langue, c’est l’orthographe. L’orthographe est un code. Quand l’outil n’est pas bon, on l’améliore. Aujourd’hui, on perd son temps à enseigner des exceptions pour un résultat médiocre. Il est temps d’adapter le code.

Xavier Dessaucy «L’orthographe est un code. Quand l’outil n’est pas bon, on l’améliore.

Faut-il donc en finir avec la cohabitation des anciennes et des nouvelles règles?

Il faut que ce soit décidé dans l’ensemble de l’espace francophone et que cela se décide au sein d’une instance qui, aujourd’hui, n’existe pas. Par exemple, cela pourrait déjà commencer par une tolérance lors des évaluations, lorsque l’accord du participe passé avec avoir est invariable. Nous avons eu droit à une minute de courage politique avec la réforme des rythmes scolaires. Il faudrait ce même courage pour l’orthographe. Mais la Belgique n’est pas seule et il faut reconnaître que la France occupe un rôle important. C’est là que siège l’Académie française, qui donne quand même le la, mais qui ne compte pas de linguistes, étonnamment, et a une approche assez conservatrice. Il est important que les Belges, les Suisses ou encore les Québécois y soient associés. En réalité, il y a un consensus assez général.

Xavier Dessaucy
Xavier Dessaucy © National

A quoi pourriez-vous consacrer plus de temps en classe, si le code était simplifié?

A la production de contenus. Dans un cours de français, on amène les élèves à apprendre à recevoir un message et produire un message. Le français, c’est aussi de la communication, le développement d’idées, pouvoir se faire comprendre, exprimer les choses. Au-delà de la règle, l’intérêt est d’amener les élèves à réfléchir, y compris réfléchir à ce qu’est l’orthographe. Il est tout de même remarquable qu’on utilise le terme «faute», très judéo-chrétien, pour qualifier les erreurs. Ce qui rend les choses complexes, c’est que certains éléments de la réforme de 1990 se sont généralisés, sur le pluriel des noms composés ou la suppression de certains accents, par exemple. Mais d’autres ne sont pas appliqués. Pour enfin avancer, aujourd’hui, deux éléments me semblent essentiels. Il faut comprendre que l’orthographe n’est pas la langue. Et surtout dépassionner le débat, qui donne souvent lieu à des réactions complètement irrationnelles et infondées.

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