Comme Patrick Bruel dans Une vie à t’attendre, un premier amour peut réenflammer.

Rallumer la flamme avec son premier amour, bonne ou mauvaise idée?

Pour reprendre et peaufiner une belle histoire, par nostalgie ou par hasard, certains décident de renouer avec leur premier amour. Si des spécialistes soulignent le risque d’idéaliser ces retrouvailles, les exemples de rabibochages réussis sont bien réels.

Frédéric (1) a commencé par redevenir une sorte d’amant, même s’ils n’étaient jamais uniquement à deux avec Dominique*, mais toujours accompagnés de leurs trois enfants. Ils sont allés se balader à Metz, ont passé un week-end à Amsterdam… «On ne dormait pas ensemble, plutôt chacun avec un ou deux marmots», se souvient le sexagénaire, encore un peu exalté par ces moments «en stoem». En une quinzaine d’années de séparation, il avait pourtant bien eu quelques aventures, mais sans jamais parvenir à ôter Dominique de son esprit. Même quand il léchait la vitrine d’un magasin de chaussures avec sa compagne du moment, c’est son ex-femme qu’il imaginait chaussée des plus belles paires.

Il faut dire que ces deux-là avaient allumé leur flamme dès l’adolescence, l’avaient éteinte une première fois avant l’université puis ravivée à la sortie des études. «On s’est mariés, puis on a mis beaucoup de temps et d’énergie à retaper une maison sans eau ni électricité», rembobine Frédéric. Une fois la famille installée, il a voulu décompresser et s’est lancé dans le triathlon… Peut-être un peu trop. Son lâcher-prise au sein du couple a forcément joué dans le départ de sa femme avec son meilleur ami de l’époque. «Je me suis retrouvé une semaine sur deux seul avec trois rejetons sans trop savoir comment faire fonctionner la machine à laver. Ce fut difficile, j’ai dû prendre des petits boulots à côté pour tenir le coup financièrement, mais j’ai aussi vécu des moments magnifiques. Peut-être que si l’on était restés ensemble avec Dominique, je n’aurais pas développé la relation que j’ai aujourd’hui avec mes enfants.» Entre les parents séparés, les rapports sont toujours restés corrects. Ils ont continué à prendre des décisions communes sur l’éducation de leur progéniture, se sont arrangés pour adapter les gardes pendant les vacances, etc. «Je n’avais rien à lui reprocher hormis le fait de m’avoir quitté. J’ai passé quatre ou cinq années de nuits blanches à me demander « Pourquoi? »»

Pour la première fois, on ressent de l’excitation, de l’attachement, de la vulnérabilité, définit-elle. Toutes ces sensations vont contribuer à créer des souvenirs vifs et durablement ancrés.

Audrey Van Ouytsel

Amour à impact

Pourquoi Frédéric est-il surtout resté à ce point attaché à Dominique, qui avait refait sa vie? À en croire la sociologue du couple et de la famille Audrey Van Ouytsel, le premier amour correspond pour la majorité des gens à une expérience intense, profondément marquante, parce qu’elle fait appel au concept de mémoire émotionnelle. «Pour la première fois, on ressent de l’excitation, de l’attachement, de la vulnérabilité, définit-elle. Toutes ces sensations contribueront à créer des souvenirs vifs et durablement ancrés, que la mémoire émotionnelle a tendance à retenir en priorité, tout en amplifiant leur intensité.»

Dans le même esprit, des chercheurs des universités de l’Utah et du Nouveau-Mexique ont récemment souligné l’importance des effets à long terme de }«l’éducation relationnelle», à savoir tout ce que l’on retient des premiers grands crushs, pour améliorer ses compétences en communication, fixer ses attentes relationnelles ou encore adopter un rythme sain tout au long d’une vie. Le premier amour serait donc capital. «Il est relié à une certaine authenticité, est perçu comme pur et sincère, sans les complications des relations ultérieures, poursuit Audrey Van Ouytsel. Quand on est ado ou jeune adulte, on n’a pas ou peu de contraintes, on est naïf et innocent car sans expérience. C’est un âge et une époque pour lesquels on peut facilement cultiver de la nostalgie plus tard, quand on est « installé » avec des responsabilités sociales et familiales.»

Pour certains, renouer –même fugacement– avec un des premiers ex aurait donc quelque chose à voir avec la recherche de l’éternelle jeunesse. Pour d’autres, il s’agirait plutôt de combler un sentiment d’incomplétude. Un déménagement, des études pesantes, un voyage, des parents étouffants… Ce qui cause la rupture des premières aventures est parfois à ce point indépendant de la volonté des deux engagés que ça laisse des traces qu’Audrey Van Ouytsel juge indélébiles. «Après un divorce, un décès, une maladie ou lors d’une période de réflexion, il peut être tentant de vouloir parfaire l’œuvre d’art entamée dans le passé aux côtés d’une personne que l’on a aimée, mais avec des compétences émotionnelles et sociales ainsi qu’une maturité que l’on n’avait pas à l’époque.»

Spécialisée dans les relations amoureuses, la psychologue française Véronique Kohn souligne aussi à travers ce retour aux sources la volonté de se compléter soi-même. «Santé, argent, amour… Les êtres humains sont constamment en manque de quelque chose, glisse-t-elle. On peut passer un temps fou à chercher la paix comme accomplissement et ce premier amour peut symboliser l’idéal de la complétude. En se basant sur nos souvenirs positifs, on se dit que cet amant récupéré va nous nourrir, réduire nos peurs, notre anxiété et notre sensation de vide pour ainsi (re)donner du sens à notre vie. C’est la quête du Graal.»

Assez logiquement, aucun chiffre officiel n’atteste d’une quelconque tendance, mais la thérapeute Audrey Van Ouytsel dit rencontrer plus régulièrement des patients masculins pris par le désir de renouer avec un ancien partenaire. «Certains hommes ont du mal à gérer les attentes paradoxales à leur égard, à être à la fois virils et à l’écoute, mâles alphas mais pas trop dominateurs, estime-t-elle. L’identité masculine est assez malmenée et d’aucuns se raccrochent donc à une relation dans laquelle ils ont un jour été vulnérables, où ils peuvent s’autoriser à flancher.»

© GETTY

Une tout autre personne

Après plusieurs mois de petits week-ends «en stoem», l’entente cordiale entre Dominique et Frédéric a gagné en intensité. L’introspection et l’investissement de ce dernier auprès de ses enfants ont probablement contribué à faciliter leurs retrouvailles officielles peu après qu’elle ait quitté son compagnon. «On a réemménagé ensemble parce que l’on en ressentait le besoin», précise-t-il. Pour digérer le passage d’une vie d’instants suspendus à celle du quotidien, ils se sont ensuite interrogés sur les dysfonctionnements de leur mariage, une étape cruciale selon Véronique Kohn. «Au moment où les deux protagonistes sont encore libres, il est primordial qu’ils déterminent comment ils sont prêts à revivre ensemble, tout en faisant preuve de réflexivité pour mettre de l’eau dans leur vin.» Dominique s’est entre autres promis d’être plus volubile quant à ses sentiments, Frédéric d’être plus impliqué dans le couple. Si les deux premières années n’ont pas été simples, elles ont tout de même permis à chacun d’appréhender les mutations de l’autre. Frédéric se souvient ainsi de s’être réjoui de retrouver son premier amour… tout en ayant la très agréable sensation d’entamer une nouvelle relation avec une tout autre personne. «J’ai épousé une femme concentrée sur son ménage, ses enfants, son boulot, et je vis aujourd’hui avec quelqu’un de beaucoup plus ouvert d’esprit, plus fun et qui a envie de profiter.»

Les changements intervenus entre les première et deuxième générations d’un couple seraient notamment dus à la socialisation conjugale, une notion chère à Audrey Van Ouytsel. «Tout ce que l’on vit avec un partenaire a des conséquences en matière d’habitudes, de valeurs, de choix. Des goûts vestimentaires évoluent, des centres d’intérêt changent… On a tendance à oublier que nous sommes en partie façonnés par l’autre.» En bref: quand deux êtres se rabibochent après des années de séparation marquées par diverses rencontres et aventures, ils seraient donc forcément différents.

Bien que son chaï au lait d’amande refroidisse dangereusement, Salomé (1) fait la moue. Le Bertrand (1) qu’elle a retrouvé une fois jeune adulte avait conservé la même soif de liberté et ce côté rock’n’roll que lors de leurs premiers émois d’adolescents. «Ça m’a sans doute rassurée, d’autant que je sortais d’une relation de cinq ans très sérieuse et renfermée, se souvient-elle. De son côté, il a probablement dû apprécier revoir en moi cette fille plutôt sage, cette sorte de repère plutôt bien ancré.» Premier baiser mutuel, Salomé et Bertrand ont renoué par hasard alors que la première terminait ses études de droit à l’ULB. «Il avait besoin que je lui emprunte un livre uniquement disponible à la bibliothèque de l’université, contextualise-t-elle. C’était encore l’époque des téléphones fixes donc on s’est donné rendez-vous. Je suis arrivée très en retard, il a fait livrer un bouquet de fleurs chez moi à l’avance… Mais je n’avais pas le bouquin, sur lequel les bibliothécaires n’avaient pas pu remettre la main.» Ça a tout de même suffi à planter la graine, les rendez-vous qui ont suivi étant fluidifiés par leur passé en commun, la connaissance de l’historique de l’autre. «On n’était pas restés figés sur notre amourette, mais on s’est sûrement liés beaucoup plus vite parce que l’on savait où l’on mettait les pieds: 20 ans plus tard, on partage toujours les mêmes références.» Et désormais aussi deux enfants et un appartement.

 (1) Les prénoms ont été modifiés.

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