Carte blanche
« Qu’on le veuille ou non, la violence a une nature intrinsèquement vicieuse »
Docteur en philosophie politique à la VUB (Vrije Universiteit Brussel), Margareta Hanes s’interroge sur la banalisation de la violence dans notre société. « Qu’on le veuille ou non, la violence a une nature intrinsèquement vicieuse », écrit-elle.
Nous entendons rarement des discours qui encouragent la violence pour la violence. Habituellement, la violence est présentée, quand on veut lui trouver des justifications, comme un moyen d’atteindre un but « supérieur », un but qui transcende son pouvoir destructeur. En ce sens, la violence ne détruit pas d’abord, ce qui lui est d’ailleurs inhérent, mais contribue au progrès, qu’il soit social, écologique, politique, culturel, elle fait avancer les choses. Ou du moins, c’est ce que certains espèrent. La violence résout le problème, ils se convainquent eux-mêmes et les autres. En instrumentalisant la violence, ce qui la caractérise, à savoir l’usage de la force pour faire le plus de mal possible, devient secondaire. La priorité est la raison invoquée pour recourir à la violence. De cette façon, l’importance de la violence est à la fois minimisée et maximisée. Minimisé, car ce n’est qu’un moyen ; maximisée, car par sa force on espère produire le changement, ce qui est le but ultime.
Aristote disait que l’homme est un animal politique, un zoon politikon. L’homme a tendance à socialiser, à rejoindre une communauté, afin de réaliser son plein potentiel. Le gouvernement doit être présent pour l’aider à mener une bonne vie, qui, selon Aristote, est la voie médiane entre deux extrêmes, deux vices, entre l’excès et le manque. Lorsque cette balance se déséquilibre, c’est-à-dire lorsque nos actions tendent vers un extrême ou un autre pour diverses raisons, et que nous ne choisissons plus l’acte vertueux, la voie du milieu, nos interactions se déréglent. Et la société dans son ensemble commence à vaciller.
La violence peut être considérée comme un extrême. Lorsqu’elle n’est pas utilisée en situation de légitime défense, la violence a pour but de propager la haine, la peur, l’humiliation de celui contre qui elle est dirigée, et qui n’est pas considéré comme appartenant à la même communauté, groupe, que celui qui agit violemment. Il appartient à un monde extérieur à celui qui s’adonne à la violence. L’« ennemi » n’est plus digne de respect, et par conséquent, il est réduit à un statut inférieur, car on considère que la communication avec lui ne peut pas être fondée sur la raison, mais seulement en utilisant des moyens extrêmes. Et ainsi, la violence, parce qu’elle est invoquée pour atteindre un but considéré comme bon, devient moralement admissible aux yeux de celui qui l’emploie.
Piller des magasins, incendier des voitures, des immeubles, attaquer des commissariats de police, etc., prouve la présence de pulsions destructrices. Les émotions négatives prennent le contrôle, car comme le dit Susan Sontag dans son livre sur la douleur des autres, « Personne ne peut penser et frapper quelqu’un en même temps ». Lorsque la violence est acceptée dans l’espace public, les discours rationnels perdent leur importance, ou du moins, ils sont relégués au second plan jusqu’à ce que les actes violents perdent de leur intensité. Surtout dans le cas de manifestations violentes tolérées pour une raison ou une autre par divers politiciens, citoyens ou même l’État, la communication politique devient guidée par le pathos, au détriment du logos (raison/logique).
Le philosophe Giambattista Vico a attiré l’attention sur le fait que nos mentalités, nos croyances et nos institutions évoluent en fonction des changements de sens des différents mots que nous acceptons. C’est-à-dire, dans le cas de la violence, si elle n’est plus automatiquement poussée dans le domaine du mal, étant considérée comme un vice, mais on trouve diverses justifications pour qu’elle puisse entrer dans le domaine du bien, c’est-à-dire qu’elle est parfois même considérée comme une vertu, nous et les institutions étatiques nous adapterons avec le temps à ce changement sémantique. Nous accepterons que la violence soit banalisée dans notre société.
Les protestations deviennent plus intenses, plus permissives en termes de déchaînement de la charge émotionnelle des manifestants. De l’incendie des poubelles, c’est arrivé au point que des voitures ont été incendiées, puis des immeubles, etc. Si au début, seules les flambées de violence étaient acceptées dans l’espace public, étant considérées comme des exceptions, elles risquent désormais de générer un effet boule de neige, prenant de plus en plus d’ampleur.
Qu’on le veuille ou non, la violence a une nature intrinsèquement vicieuse. Quand on veut la légitimer, on reconstruit automatiquement le concept de morale. Nous mélangerons consciemment le mal avec le bien, et la violence deviendra ainsi, malheureusement, une partie constitutive de notre langage quotidien.
Margareta Hanes, docteur en philosophie politique (Vrije Universiteit Brussel)
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