Le succès des superyachts, ou l’égoïsme porté à son apogée. © getty images

Quand l’étalage des richesses devient provocation

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La sociologue canadienne Dahlia Namian analyse l’admiration que suscite la vie des riches, les dangers et la provocation du modèle qu’elle consacre.

«Depuis quelques décennies, les écarts de richesse dans le monde se creusent dangereusement. La fortune des milliardaires à travers la planète a augmenté autant en 24 mois de pandémie qu’en 23 ans (NDLR: selon une étude d’Oxfam menée en mai 2022).» Et «alors que les revenus stagnent et que le coût de la vie augmente pour le commun des mortels, la vie des gens riches et célèbres nous est de plus en plus offerte en modèle et en spectacle», constate Dahlia Namian. Pour la sociologue canadienne, La Société de provocation (1), que consacre ce phénomène, a des effets extrêmement pervers. «Elle glorifie les prouesses et le mode de vie obscènes des riches, tout en s’aveuglant au dénuement et au ressentiment qu’ils provoquent.»

Dahlia Namian livre quelques exemples de la traduction de ce qu’elle perçoit comme l’obscénité des ultrariches: la croissance des commandes de superyachts, mise en parallèle avec la hausse des naufrages de rafiots de migrants ; la multiplication des achats d’îles privées, surtout si elles sont situées dans des Etats adeptes d’une «politique fiscale réjouissante» ; l’essor de la ville de Dubaï qui érige «la société de provocation à son apogée» puisque les Emirats arabes unis font partie des Etats qui ont une des empreintes par habitant les plus importantes en matière d’émissions de carbone.

A l’heure où il devient impératif d’agir collectivement, l’élite du pouvoir n’est plus loyale qu’envers elle-même.

«Ces utopies crépusculaires témoignent de l’insularité croissante des élites, prêtes à sacrifier la masse pour fuir les dangers d’un monde qu’elles continuent à détruire, analyse Dahlia Namian. Au cœur de ces fantasmes d’île privée, de nation flottante ou de colonie sur Mars, on retrouve la “vertu d’égoïsme” célébrée par Ayn Rand (NDLR: philosophe et écrivaine (1905 – 1982) qui a influencé plusieurs hommes d’affaires et politiciens proches de la droite libertarienne et conservatrice): à l’heure où il devient impératif d’agir collectivement, l’élite du pouvoir n’est plus loyale qu’envers elle-même.»

Il n’empêche que des personnalités comme Jeff Bezos, Elon Musk, Bill Gates et bien d’autres suscitent le plus souvent la sympathie, par l’audace de leurs entreprises, ou par la «générosité» de leurs initiatives annexes – «Il n’est pas anodin d’observer que plus les inégalités se creusent dans une société, plus le nombre de fondations charitables s’y multiplie.» «Tout l’art du riche, ici, tient dans sa capacité de provoquer l’admiration en évitant que l’indécence de sa fortune privée ne pousse à la révolte», conclut Dahlia Namian. De quoi éviter la provocation. Et pourtant…

(1) La Société de provocation. Essai sur l’obscénité des riches, par Dahlia Namian, Lux, 240 p.
(1) La Société de provocation. Essai sur l’obscénité des riches, par Dahlia Namian, Lux, 240 p. © National
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