Quand le coaching dérape: «Je n’avais plus de cerveau»
A la suite d’un burnout, Emilie a accumulé les mauvaises rencontres. Des «thérapeutes» qui lui donnaient l’impression de trouver sa voie. C’était tout l’inverse d’un coaching ou d’un accompagnement digne de ce nom.
Des parcours tels que celui vécu par Emilie (prénom d’emprunt) sont heureusement rares. Mais ils permettent d’alerter sur les dérives du coaching ou de certaines « thérapies » dans ce qu’elles ont de plus sournois. En témoignant, c’est d’ailleurs son objectif: inviter le public à être vigilant, faire preuve d’esprit critique et de discernement, opérer une distinction entre croyances et faits vérifiables. «Surtout si vous vous trouvez dans une période un peu compliquée, l’endoctrinement peut être rapide», prévient-elle.
Pour la jeune femme, les rencontres malheureuses ont commencé à la suite d’un burnout. «J’étais en perte de repères, raconte-t-elle. Je suis allée consulter une psychothérapeute. Elle n’a pas fait que du mauvais travail, mais elle est sortie de son rôle.» Notamment en dirigeant Emilie vers «des trucs énergétiques». La porte s’est ouverte vers tout un environnement d’apparence spirituelle, aux allures franchement ésotériques.
«Une autre réalité»
De fil en aiguille, Emilie a été mise en contact avec un énergéticien, a effectué des stages et des retraites spirituelles, s’est mise à participer à des formations et enseignements en ligne. Elle a rencontré les représentantes d’une organisation chamanique, régulièrement identifiée comme une secte, à l’occasion d’un banal salon consacré au bien-être. Son parcours a pris une autre tournure encore lorsqu’elle a suivi plusieurs modules de formation en ligne, mis sur pied par une chantre française de la «reconnexion à soi», du «développement de ses dons» ou encore de la «libération de son âme».
«Progressivement, on m’a fait entrer dans une autre réalité. Cela peut sembler fou, mais vous pouvez rapidement vous y trouver. Vous croisez des personnes qui ont l’air bienveillantes. A un moment, j’avais perdu toute rationalité, je n’avais plus de cerveau. Plus la personne devant vous est convaincue, plus vous vous sentez transcendée, parce qu’elle est elle-même transcendée par sa vérité.»
Les rencontres s’alimentaient les unes les autres. «Chacun vient renforcer un système de croyances, de dogmes. Différentes sources se manifestent» et le tout semble former un ensemble cohérent.
Rapidement, des concepts ésotériques se sont immiscés. «Une thérapeute s’est présentée comme ma marraine spirituelle. On m’a dit que j’étais possédée, qu’il y avait des esprits ou des entités autour de moi», sans oublier la «vie antérieure» quelquefois évoquée, lors de laquelle Emilie aurait posé des actes dont les conséquences se font encore sentir.
Il s’agit d’abord de se reconnecter à soi, «puis on commence à vous parler de lecture d’âme, d’astrologie, des êtres multidimensionnels, des grands pouvoirs développés dans une autre vie et de tant d’autres choses. Vous vous demandez qui vous êtes, ce que vous êtes venue faire sur Terre…»
Pseudo-coaching et conscience altérée
Listés de la sorte, ces concepts semblent farfelus, concède Emilie. Mais tout s’orchestre pour vous entourer de bienveillance. «Il y a aussi l’effet de groupe, le fait de découvrir des choses nouvelles, dans une période difficile. Ces gens vous font croire que vous vous libérez, que vous prenez votre autonomie, alors qu’en réalité, ils vous reconditionnent. Vous vivez aussi en permanence dans le ressenti, on vous apprend à ne plus réfléchir. Seules les émotions comptent, quitte à être irrationnelle. Vous croyez que ce qui se manifeste est votre intuition.» Décrit par la jeune femme, l’état d’esprit du moment semble empreint d’une forme d’extase, associée à une altération de la conscience. Qui peut aller jusqu’à la création de faux souvenirs traumatiques induits.
Dans le même temps, la vie d’Emilie reprenait du sens. Son entourage, d’une certaine façon, se réjouissait de cet enthousiasme retrouvé. L’étape suivante était toute tracée: Emilie, censée être dotée de facultés exceptionnelles, a été invitée à devenir à son tour un guide pour les autres. «Un leader inspirant, en quelque sorte. En fait, ces gens vous forment à devenir des “mini eux”.»
Durant plusieurs mois, Emilie aura déboursé des sommes très conséquentes dans ces «formations» et autres «rencontres inspirantes». «Je préfère ne pas calculer», admet-elle.
Surtout, elle s’est retrouvée dans un système de croyances qui l’ont enfermée, faisant naître de lourdes angoisses en elle. «Mon état psychique s’est dégradé, j’étais dans l’insécurité la plus totale», raconte-t-elle. Un voyage à l’étranger lui a permis de prendre du recul, mais aussi de réaliser l’embrigadement dont elle a fait l’objet. Son expérience lui aura aussi fait constater le manque criant d’encadrement et de structures d’aide pour les victimes de telles dérives.
Quelques conseils
La Miviludes, chargée d’analyser les dérives sectaires en France, formule une série de questions utiles avant de s’engager dans une procédure de coaching ou une formation. Il ne s’agit que d’indices susceptibles d’indiquer une dérive, s’ils s’accumulent, mais constituent sans doute un premier filtre intéressant. En voici quelques éléments.
• Sur l’organisme de formation: se fonde-t-il sur des préceptes pseudoscientifiques ou le discours d’un personnage emblématique? Fait-il usage de titres non reconnus? Y dénigre-t-on certains services publics? Les témoignages évoquent-ils des effets extraordinaires impossibles à vérifier et des guérisons systématiques?
• Sur le programme de formation: tous les problèmes sont-ils résolus au moyen d’une méthode présentée comme novatrice et révolutionnaire? Un langage pseudoscientifique est-il utilisé («quantique», «énergétique», «vibratoire», etc.)? Les exigences financières sont-elles disproportionnées? Que valent les diplômes présentés?
• Sur les formateurs: le coach est-il le professionnel adapté à votre problème? Quelle est sa qualification?
• Sur l’attitude du coach: vous qualifie-t-il de spécial ou d’exceptionnel? Critique-t-il votre famille, vos amis ou des services de l’Etat? Etes-vous poussé à suivre une formation, un stage, un séminaire, etc.?
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