Prostitution, travail forcé, mendicité: comment l’esclavage moderne fait des ravages en Belgique
Les esclaves du 21e siècle ne portent plus de chaines. Les signes de leur asservissement sont plus subtils, moins facilement identifiables. En Belgique, il y en aurait 11.000. Pour la plupart migrants ou sans-papiers, ils restent souvent invisibles.
En Belgique, 1 personne sur 1000 serait esclave moderne, selon l’ONG Walk Free. Mais tous les acteurs de terrain contactés par Le Vif le disent : il faut rester prudent avec ce chiffre. « Quel que soit le nombre, c’est effrayant », s’émeut Sotieta Ngo, la directrice générale du Ciré. « On pense que l’esclavage est d’un autre temps, il est en fait de notre temps ». À chaque partie du globe sa définition de l’esclavage moderne. En Belgique, il prend forme dans la traite des êtres humains. Un concept repris dans le Code pénal depuis 1995, qui consiste en l’exploitation d’individus à des fins lucratives. Sont considérés comme de la traite d’êtres humains :
- Exploitation sexuelle
- Exploitation par la mendicité
- Exploitation économique
- Trafic d’organes
- Infractions commises sous la contrainte
En Belgique, c’est le Centre Fédéral Migration Myria qui est chargé de cartographier l’esclavage moderne. Comment le phénomène a évolué ? Difficile à dire selon Patricia Le Cocq, spécialiste de la traite des êtres humains au sein de Myria. « Les seuls chiffres que nous possédons (voir graphique ci-dessous) concernent la réaction des autorités. C’est la partie émergée de l’iceberg ». En 2021, 313 infractions pour traite des êtres humains ont été enregistrées par la police. Celles-ci concernent surtout l’exploitation économique (158 cas) et sexuelle (147 cas), loin devant les infractions commises sous la contrainte (7 cas) et l’exploitation par la mendicité (1 cas).
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Pourquoi l’esclavage moderne reste souvent invisible
Entre les 11.000 cas d’esclavage moderne recensés par l’ONG Walk Free et les quelques centaines d’infractions à la traite des êtres humains enregistrées en Belgique, il y a donc un fossé. Qui s’explique notamment par la définition stricte du phénomène dans la loi belge. « C’est aussi une question d’investigation et de moyens, assure Patricia Le Cocq. Il y a un manque de volonté et de suivi sur le terrain dans notre pays. Pour constater une infraction, il faut des effectifs policiers, des auditions, des contrôles, parfois de l’écoute téléphonique ». Et puis, complète Sotieta Ngo, « il y a des situations à la limite de l’exploitation par le travail qui ne rentrent pas dans les chiffres. Pourtant, elles concernent parfois des étrangers sans papiers sous-payés, qui vivent entassés dans des containers et ne peuvent circuler librement ».
Qui sont alors ces esclaves modernes ? Tout comme les chiffres, leurs profils varient d’année en année. « Ce sont des hommes, des femmes, mineurs ou majeurs, illettrés ou universitaires, qui n’avaient plus d’avenir dans leur pays et ont fait une mauvaise rencontre », indique Sarah De Hovere, directrice de PAG-ASA, un centre d’accueil et d’hébergement pour victimes de traite des êtres humains à Bruxelles.
Exploitation au travail: horeca, construction et soins de santé, tous concernés
Les secteurs concernés par l’exploitation par le travail sont nombreux : horeca, construction, night-shops, car-wash, boulangerie, agriculture, soins de santé. Dans ces secteurs, les pratiques apparentées à l’esclavage moderne s’aggravent avec la sous-traitance, qui dilue la responsabilité le long de la chaine.
Certains se sentent coupables car ils doivent envoyer de l’argent à leur famille restée au pays
Christian Meulders, directeur de Surya
Pour mieux profiler les esclaves modernes, il faut jeter un œil aux rapports annuels de Myria. En 2020, l’organisme public indépendant alertait sur la situation des domestiques, au four et au moulin de diplomates peu scrupuleux. « Certains domestiques travaillaient et étaient logés dans des conditions très précaires, avec une disponibilité totale », explique Patricia Le Cocq. Les esclaves modernes travaillent dans des conditions illégales, sans se rendre compte que leurs droits sont bafoués. « Souvent, nous accueillons des migrants », précise Christian Meulders, directeur de Surya, équivalent de PAG-ASA en Wallonie. « Si leurs conditions de vie ou de travail sont meilleures que dans leur pays d’origine, ils préfèrent parfois rester dans cette situation que de se faire aider par notre centre. Certains se sentent coupables car ils doivent envoyer de l’argent à leur famille restée au pays. Notre travail est de leur expliquer qu’un autre horizon est possible pour eux ».
Se prostituer pour rembourser les frais de voyage
Avec l’exploitation par le travail, la deuxième forme de traite des êtres humains la plus courante est l’exploitation sexuelle. Nos intervenants assurent que les cas de prostitution et de pratiques douteuses dans les salons de massage sont plus courants que ne le montrent les chiffres. Ainsi Myria alertait en 2018 sur le sort de jeunes nigérianes soumises à un rituel vaudou, et forcées ensuite à la prostitution pour « rembourser leurs frais de voyage ». Une situation qui ne ferait qu’empirer. « Avant, on avait surtout affaire à de l’exploitation sexuelle dans les rues, les vitrines ou des bordels, reprend Patricia Le Cocq. Aujourd’hui, la situation s’est complexifiée avec l’émergence des réseaux sociaux ». Jusqu’à retrouver des annonces sur des sites internet de prostitution.
Après l’esclavage moderne, la réinsertion
Le procédé vers la réinsertion peut parfois s’avérer long pour les victimes de la traite des êtres humains. Si une infraction les concernant a été enregistrée, elles peuvent bénéficier de l’aide d’un centre d’accueil et d’hébergement, comme Pagasa à Bruxelles et Surya en Wallonie. « Pendant 5 à 9 mois, ces personnes peuvent se reposer, manger et accéder à des soins physiques et psychologiques », détaille Sarah De Hovere. Ensuite, les personnes suivent un trajet d’intégration. « On leur propose de porter plainte, avant de leur trouver un logement et une assistance sociale et juridique. Certains retrouvent un travail, d’autres rentrent dans leur pays d’origine », continue la directrice du centre d’accueil.
En portant plainte, les victimes de traite d’êtres humains – souvent migrants ou sans papiers – obtiennent un titre de séjour temporaire sur le sol belge. Qui leur donne accès à toute une série de droits. Les personnes qui se reconnaitraient comme victime peuvent se faire aider en remplissant ce formulaire.
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