Pourquoi les enfants rêvent de métiers différents selon qu’ils viennent d’un milieu aisé ou défavorisé
Une étude montre que les élèves défavorisés s’empêchent d’aspirer aux métiers associés aux classes aisées, et inversement. Le résultat de préjugés intégrés dès l’école primaire.
Un enfant entrant en secondaire a-t-il déjà une idée des métiers qu’il aimerait exercer plus tard? Oui, selon une étude réalisée par Dieter Vandebroeck, professeur de sociologie à la VUB, et qui sera publiée début septembre. Avec ses collègues du Jeugdonderzoeksplatform (JOP) et le chercheur Akim Said Aalou, il a reçu les réponses de 809 élèves de 11-13 ans, qui ont cité 254 professions différentes.
Un «plafond» et un «plancher» de classe
Ensuite, les chercheurs ont présenté aux enfants une liste resserrée de 32 métiers. Parmi eux, certains dits «à haut statut» (ministre, PDG d’entreprise, avocat, médecin, etc.) et d’autres «à bas statut» (caissier, coiffeur, etc.). Résultat: un tiers des élèves appartenant à des classes défavorisées estimaient que la première catégorie ne leur correspondait pas, contre 3% pour ceux issus de milieux aisés. À l’inverse, trois quarts des jeunes issus de familles riches refusaient catégoriquement les professions mal réputées.
Cette différence avait déjà été remarquée par le passé. Les scientifiques parlent même d’un «plafond de classe» pour les enfants défavorisés (à l’image du «plafond de verre» présent chez les filles), et d’un «plancher de classe» concernant les aspirations «minimales» de ceux favorisés. Mais jusqu’ici, les études avaient surtout repéré cela chez les 15-17 ans. «Nos recherches montrent que les aspirations sont très distinctes à un âge encore plus jeune, explique Dieter Vandebroeck. Cela prouve que la conscience de classe est intégrée dès l’école primaire et déjà très similaire à celle des adultes.»
La culture populaire et l’école pointés du doigt
Les auteurs de l’étude tentent aujourd’hui de comprendre pourquoi des enfants de 11-13 ans sont si influencés par leur milieu social. «Les jeunes issus de familles aisées n’ont pas une conscience de classe plus élevée que ceux défavorisés. Nous supposons donc que ce ne sont pas seulement les parents qui leur donnent des informations sur la structure sociale et qui influencent par ricochet leurs aspirations professionnelles», estime le professeur de la VUB.
Un élément serait plus décisif: la culture populaire. «La représentation de tel ou tel métier dans les livres, les séries télé, les émissions de télévision, le cinéma, etc, est très importante. C’est là que les enfants en arrivent à se dire: « Ce métier n’est pas pour moi ».»
L’école joue également un rôle. «Certains professeurs affirment: « Les maths, ce n’est pas pour toi, tu devrais plutôt te servir de tes mains ». Les enfants développent ainsi une certaine idée de leurs limites et de leurs possibilités. Un mécanisme d’auto-exclusion se met en place. En termes plus scientifiques, on parle de « causalité du probable ». Autrement dit, les aspirations sont liées aux actions qui paraissent probables d’aboutir sur une réussite, en l’occurrence scolaire.»
Alors que l’école devrait gommer les inégalités sociales, elle ne remplit qu’imparfaitement cette tâche, selon les sociologues. «Les organisations internationales confirment que le système scolaire actuel n’arrive pas bien à préparer les enfants au marché du travail. Et le problème se pose dès la primaire. C’est donc dès cette période qu’il faut intervenir.»
Une imperméabilité croissante entre classes
Dieter Vandebroeck relève également les conclusions d’une conférence internationale tenue à Londres sur le sujet. Il est apparu que de façon globale, la mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité pour des individus de changer de classe sociale, diminue. Elle se trouverait aujourd’hui au même niveau qu’au début du 20e siècle. «Notre étude est destinée à mieux comprendre pourquoi ces barrières entre classes réapparaissent. C’est un mécanisme assez subtil et méconnu, mais très fort», constate le professeur bruxellois.
Cette mobilité décroissante se remarque également dans les différences entre filles et garçons. Les premières veulent le plus souvent devenir professeures ou artistes, les garçons ingénieurs ou architectes. Mais lorsqu’elles appartiennent à des classes sociales supérieures, cette séparation s’estompe. Elles aspirent alors plus souvent à des métiers réputés masculins. «Il y a du changement sur ce plan, surtout ces dernières décennies, mais les préjugés de genre restent tenaces et il faut nuancer le discours parfois très optimiste que l’on entend aujourd’hui sur ce point», prévient Dieter Vandebroeck.
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