Confiner les personnalités dans des catégories représente un exercice dangereux, expliquent les psychologues, qui insistent sur l’évolution continue de nos traits de caractère. © IMAGO/Bihlmayerfotografie

Pourquoi il faut se méfier des tests de personnalité, type MBTI: «Ces dérives peuvent avoir de graves conséquences»

Les tests de personnalité en libre accès présentent souvent de gros défauts qui faussent leurs résultats. Les psychologues s’inquiètent notamment de leur utilisation dans le monde du travail.

Le MBTI – ou test de Myers-Briggs – serait le «test de personnalité le plus utilisé au monde», à en croire la société qui l’édite, CPP. Chaque année, deux millions de personnes l’achètent, générant un chiffre d’affaires annuel estimé à 20 millions de dollars, selon le Washington Post. Les versions gratuites pullulent également sur Internet et les réseaux sociaux. Des vidéos sur le sujet agrègent des millions de vues. Même Tinder permet d’afficher son «statut MBTI» sur son profil, dans le but de faciliter les rencontres.

Des tests fondés sur des théories contestées

Concrètement, la personne se soumettant au MBTI doit répondre à une petite centaine de questions et estimer quel comportement lui correspond le mieux. Le résultat s’exprime sous la forme de quatre lettres, ISTJ ou ESFP par exemple, chacune représentant un trait de caractère («I» pour introversion, «E» pour extraversion, etc.). Seize combinaisons de lettres, et donc de profils, sont possibles.

Ce test a été conçu au milieu du 20e siècle par deux Américaines, une mère et sa fille, Katherine Cook Briggs et Isabel Briggs Myers. Aucune n’avait une formation scientifique, mais leur but était de rendre accessibles les principes de psychologie analytique émis par un psychiatre suisse, Carl Gustav Jung. «Or la théorie de Jung n’a pas été validée», réagit Henryk Bukowski, professeur de psychométrie à l’UCLouvain. Ce qui ne l’a pas empêchée d’inspirer d’autres tests circulant en ligne, comme celui d’Insight. «Les fondements de l’ennéagramme (NDLR: un outil de classement des types de personnalités) se reposent quant à eux sur des préceptes indiens très anciens», ajoute son collège néolouvaniste, le professeur de psychologie Jacques Grégoire.

De multiples manquements

Ce dernier identifie plusieurs défauts communs à ces tests. Outre leur absence de validité scientifique, leurs questions se révèlent souvent imprécises, entraînant un manque de fiabilité. Henryk Bukowski confirme: ces questionnaires ont tendance à utiliser des dichotomies simplificatrices (introverti vs. extraverti, etc.) avec peu de possibilités de réponses («oui» ou «non», ou avec des nuances minimes). «C’est comme un thermomètre avec les gradients 30, 35 et 40°C, sans les degrés entre eux, illustre-t-il. Dans ce cadre, les gens peuvent être tentés de choisir la réponse la plus valorisante, par exemple en estimant être une personne organisée et non désorganisée. C’est ce qu’on appelle la désirabilité sociale, consciente ou inconsciente.»

Autre souci: les normes utilisées. Un bon test d’anxiété devrait par exemple déterminer quel est le degré moyen d’anxiété dans la population (la «norme») avant de juger si telle ou telle personne est anxieuse ou pas. Pour Jacques Grégoire, les normes des tests en ligne sont très contestables, car elles n’ont pas été conçues sur base d’échantillons représentatifs.

Enfin, le professeur de psychologie critique le contexte de réalisation de ces tests. Aucun psychologue n’étant là pour aider à la compréhension des résultats, il est aisé de mal les interpréter. «Si un proche vient de décéder, vous allez probablement avoir un score élevé pour la dépression. Etes-vous pour autant dépressif? Non, car il est normal d’être triste dans ce contexte.»

Autre démonstration d’imperfection: les résultats se révèlent facilement variables. En passant le MBTI deux fois à cinq semaines d’écarts, la moitié des participants à une étude de 2005 ont eu deux combinaisons de lettres différentes. Les chercheurs en ont conclu que la marge d’erreur de ce test était très importante. «Dès qu’on tente de résumer la richesse et la diversité des personnalités à un nombre réduit de profils, cela pose problème», se désole Henryk Bukowski.

Des dérives parfois dangereuses

Si les résultats étaient toujours traités avec un recul critique et vus comme un moyen de divertissement, ces tests de personnalité ne poseraient pas de souci. «Ce serait comme pour les horoscopes», estime Jacques Grégoire. «Libre à chacun de remplir des questionnaires sans fondement scientifique, tant que cela ne débouche pas sur des discriminations», ajoute Henryk Bukowski.

Or souvent, des décisions importantes sont prises sur cette base, notamment dans le milieu du travail (embauches, promotions…). Aux Etats-Unis, plus de 10.000 entreprises, 2.500 universités et collèges, ainsi que 200 agences gouvernementales utilisent le MBTI, selon le Washington Post. En Belgique, certains cas interpellent. «Il y a quelques années, une collègue travaillant pour une entreprise a alerté la Fédération des psychologues sur l’utilisation d’un de ces tests non valides au sein de cette société, se souvient Jacques Grégoire. L’éditeur du test l’a violemment agressée et s’est adressé à son supérieur.»

Des incidents qui incitent la «Commission internationale des tests» à plaider pour plus de régulation et de sensibilisation. Le professeur de psychologie estime même qu’il faudrait un labellisation des tests, à l’instar de ce qui se fait dans l’alimentation ou l’électroménager.

«Ces dérives peuvent avoir de graves conséquences, enchaîne Henryk Bukowski. Même un test de qualité ne pourrait être utilisé comme seul outil dans ce cadre, parce que chaque version a ses faiblesses. Ce ne serait pas déontologique. Par contre, il peut être intéressant pour une entreprise de faire passer des tests sérieux si c’est pour améliorer les relations entre collègues, en les incitant à mieux se comprendre. Mais cet objectif peut être atteint avec une sensibilisation. Pas besoin de tests de personnalité.»

Quels «vrais» tests de personnalité?

Pour les psychologues, créer un test fondé sur la science représente une tâche phénoménale. «Il faut vérifier que la question est pertinente, comment elle est formulée, quelles sont les réponses possibles…», énumère Jacques Grégoire. Puis il faut réaliser des essais, les analyser au regard des données disponibles, etc. Un processus qui prend parfois une dizaine d’années, constate Henryk Bukowski.

Un modèle sert de référence pour les tests approuvés scientifiquement: celui des Big Five. Il propose d’esquisser une personnalité dans sa complexité à partir de cinq dimensions: ouverture, conscienciosité, extraversion, agréabilité et neuroticisme.

Généralement, ces tests de personnalité Big Five sont réalisés avec des professionnels. Henryk Bukowski note qu’il en existe néanmoins une version gratuite en ligne: l’IPIP (constitué de 120 ou 300 questions). Il s’agirait d’une meilleure option, pour ceux qui voudraient faire un vrai test chez eux. Mais il prévient: il faut être prudent avec l’interprétation.

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