Quand les marchés de Noël servaient l’idéologie nazie
Avec leurs patinoires, leurs illuminations et leurs millions de visiteurs annuels, les marchés de Noël font partie des rendez-vous incontournables de fin d’année. Pourtant, ils n’ont pas toujours été synonymes de joie et de féérie.
Avec un peu plus de quatre millions de visiteurs pour son édition 2023, soit 500.000 de plus que l’année précédente, les « Plaisirs d’Hiver » sont devenus l’un des rendez-vous incontournables pour les Belges comme pour les touristes (qui représentent un tiers des visiteurs) venus découvrir la capitale de l’Europe.
Bien qu’il n’en ait pas conservé le nom, c’est pourtant dans la pure tradition des marchés de Noël que s’inscrit l’événement bruxellois, aux côtés d’autres grands événements similaires comme ceux de Strasbourg, de Vienne ou de Cologne.
Cependant, les marchés de Noël n’ont pas toujours véhiculé un message d’amour et de paix. Il fut une époque où ils servaient à propager l’idéologie nazie. Retour sur l’histoire mouvementée de ces lieux de rencontre, en phase avec leur temps et avec la société dans laquelle ils s’inscrivent.
Marché de Saint-Nicolas
Les premiers marchés de Noël remonteraient au 13e ou au 14e siècle, selon les sources, et se seraient tenus en Allemagne ou en Alsace. A l’époque, ces regroupements d’artisans portaient le nom du saint protecteur des enfants bien connu des petits Belges, le «Marché de Saint Nicolas». Progressivement, d’autres marchés du même type ont fleuri à travers l’empire germanique pour s’inscrire dans une véritable tradition populaire et religieuse. Au 15e siècle, à Desdre, le marché prend le nom de «Striezelmarkt», en référence à un gâteau brioché, spécialité de la région. Au 16e siècle, avec la réforme du protestantisme, il mue en «Christkindlmarkt» (marché de l’enfant Jésus) et se tient à proximité des églises.
Au 19e siècle, en pleine révolution industrielle, les marchés de Noël font le bonheur de la classe ouvrière. Ils s’agrandissent et les stands des artisans se multiplient. Un succès qui ne fait pas les affaires des riches commerçants des villes, lesquels obtiennent que les marchés saisonniers soient organisés en périphérie et non au coeur des centres urbains.
Ils conservent malgré tout leur popularité et leur ambiance bon enfant, jusqu’à la montée du nazisme dans les années 1930. Continuer à fêter la naissance d’un enfant juif n’était pas envisageable pour le régime nazi. Néanmoins, celui-ci comprenait qu’il n’était pas dans son intérêt de priver les Allemands de cette fête. Plutôt que de l’interdire, il a donc choisi de se le réapproprier.
Moule en croix gammée
Les Allemands des années 1920 et 1930 avait l’habitude de combiner fêtes familières, propagande nationaliste et discours antisémites, retrace l’historien américain Joe Perry. «À mesure que le parti nazi gagnait en importance et en envergure –et finit par prendre le pouvoir en 1933– des propagandistes déterminés s’efforcèrent de « nazifier » davantage Noël. En redéfinissant les traditions familières et en concevant de nouveaux symboles et rituels, ils espéraient véhiculer les principaux principes du national-socialisme à travers cette fête populaire».
A travers ses recherches, l’historien s’est intéressé à la manière dont les symboles et les rituels nazis ont pénétré les festivités privées et familiales, loin du regard des dirigeants du parti. «L’une des caractéristiques les plus frappantes des célébrations privées de la période nazie fut la redéfinition de Noël en une fête néopaïenne et nordique. Plutôt que de se concentrer sur les origines religieuses de la fête, la version nazie célébrait l’héritage supposé de la race aryenne, l’étiquette que les nazis donnaient aux membres « racialement acceptables » de l’État racial allemand». Sur les marchés, les stands proposaient des boules de Noël ornées d’iconographies allemandes nazies, des moules à gâteau ou des emporte-pièces en forme de croix gammée ou du papier d’emballage présentant les mêmes symboles. De leurs côtés, les ecclésiastiques allemands tentaient désespérément de résister aux tentatives nazies de supprimer le Christ de Noël.
La manipulation idéologique prenait des formes quotidiennes, décrit encore Joe Perry. Les mères et les enfants étaient par exemple encouragés à fabriquer des décorations en forme de soleil noir (symbole du mysticisme nazi) et les chants de propagande nazie résonnaient dans les chaumières. «Et malgré les conflits liés au christianisme, de nombreux Allemands acceptèrent la nazification de Noël».
Après la Seconde Guerre mondiale, les marchés sont peu à peu réapparus. La tradition ne s’était pas éteinte. Loin de là. Porté par la montée du consumérisme durant les années 1960-1970, le marché de Noël connait un nouvel essor à travers toute l’Europe. Peu à peu, son caractère religieux s’estompe au profit d’une tendance commerciale, d’une dimension événementielle. Les boules de Noël côtoient les bijoux et les savons parfumés; les stands de glühwein les bars à champagne. Les odeurs de tartiflettes se mêlent à celle des churros. Mais familles et amis aiment toujours s’y retrouver, comme au premier jour.
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