Pourquoi assiste-t-on à une radicalisation de la contestation et du maintien de l’ordre ?
Pourquoi la manifestation, qui était un rendez-vous festif, se transforme de plus en plus souvent en moment de confrontation violente? Tentatives de réponse avec Manuel Cervera-Marzal, auteur de Résister, et William Bourdon et Vincent Brengarth, dans Violences policières.
« Il fut une époque où la « manif » était un lieu de retrouvailles festif où l’on pouvait emmener ses enfants sans crainte dans les cortèges, que les journalistes couvraient sans inquiétude ni précautions particulières», rappellent les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth, dans Violences policières (1). «Quel parent oserait aujourd’hui emmener sa progéniture au défilé du 1er mai?», prolonge Manuel Cervera-Marzal, chercheur à l’ULiège, dans Résister (2). Comment est-on passé en quelques années de cette «ambiance festive», soulignée pareillement par le sociologue, à la confrontation violente sur laquelle débouche souvent (davantage en France, théâtre d’étude des auteurs) la moindre manifestation?
La fonction protectrice de la police cède devant la fonction répressive dès lors qu’elle est devenue un instrument de régulation de la crise sociale mais aussi citoyenne.
Manuel Cervera-Marzal a enquêté pendant dix ans sur les métamorphoses de la contestation sociale française. Il a constaté que les modes d’action traditionnels étaient en perte de légitimité et que la conflictualité sociale s’était en partie déplacée du monde du travail et de l’entreprise vers la question territoriale et environnementale. Mais cela n’explique pas la dimension violente qu’elle a prise.
Le chercheur avance la thèse que «la radicalisation des mouvements sociaux» est en lien avec «la radicalisation (sécuritaire) de la police et de la justice». Pour lui, la France est confrontée à un tournant autoritaire de l’Etat de droit, à un tournant identitaire de l’idéologie républicaine et à un tournant insurrectionnel des mobilisations sociales. Absence de réponse aux revendications des laissés-pour-compte de la mondialisation, déshérence des services publics, défiance envers le politique durcissent les modes de contestation au point de nourrir une inquiétante complaisance d’une partie de la population à la violence.
Engrenage de radicalisation
Face à un tableau aussi sombre, il devrait être évident que la restauration d’un lien de confiance entre les citoyens, la police et l’Etat constitue un enjeu majeur, comme le martèlent William Bourdon et Vincent Brengarth dans Violences policières. Or, la réponse des autorités n’est pas, selon eux, à la hauteur. Les deux avocats pointent, à juste titre, l’effet délétère de leur inaction. «Du côté de la société civile, l’exaspération engendrée par les violences policières, parce qu’elle rencontre une forme de déni des pouvoirs publics, fabrique dans une spirale de radicalité un autre déni, celui des conditions de plus en plus difficiles d’exercice de leurs missions par les forces de l’ordre. Et de faire que le radicalisme des uns est donc alimenté par les radicalisme des autres.» William Bourdon et Vincent Brengarth rappellent que le mois de janvier 2022 a été marqué par douze suicides dans la police française…
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En France, la gestion de la crise des gilets jaunes et le contrôle de l’application des mesures de restriction décidées lors de la crise sanitaire ont porté à son paroxysme la confrontation entre les citoyens et les policiers. «Nous pensions qu’il s’agissait d’une parenthèse, rapporte Manuel Cervera-Marzal en parlant du confinement. Mais ne sommes-nous pas confinés à jamais?» «La fonction protectrice de la police cède devant la fonction répressive dès lors qu’elle est devenue un instrument de régulation de la crise sociale mais aussi citoyenne», semblent lui répondre William Bourdon et Vincent Brengarth. Attention, danger pour la démocratie.
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