Un hommage a été rendu aux victimes de l'attentat de la place Sainctelette.

Comment les rescapés de Zaventem et de Maelbeek vivent ce nouvel attentat

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le grand public peut être en proie à un sentiment d’insécurité, suite à l’attaque terroriste du 16 octobre à Bruxelles. Pour certains rescapés des attentats du 22 mars 2016, c’est l’insécurité, au sens strict, qui a brutalement ressurgi.

Un attentat terroriste au cœur de la capitale. Des victimes, des images de détresse, une atmosphère pesante. L’attaque perpétrée par Abdessalem Lassoued ce 16 octobre a replongé les Belges dans l’horreur.

« Le modus operandi de l’auteur est certes différent, mais les circonstances dans leur ensemble ressemblent tout de même à celles qui ont été vécues lors des attentats de mars 2016 » à Maelbeek et Zaventem, relève d’ailleurs Mireille Monville. Psychologue en chef au sein du CHU de Liège, elle a travaillé auprès de rescapés des attentats perpétrés à l’époque.

« Les personnes elles-mêmes préfèrent le terme de rescapés à celui de victimes, qui est plus réducteur », précise-t-elle d’emblée.

Les récents événements, de façon bien compréhensible, font ressurgir des émotions fortes auprès d’une partie de la population, mais aussi, de manière aiguë, parmi certains rescapés de mars 2016. « Il ne faut pas généraliser, ce n’est pas nécessairement le cas de tout le monde, ni de la même façon chez chacun. Mais certains rescapés se trouvent bien en insécurité lorsque de nouveaux attentats surviennent. » Elle-même a livré des consultations à des personnes rescapées dès mardi matin.

« Il existe deux choses différentes qu’il convient de ne pas confondre : insécurité et sentiment d’insécurité », précise Mireille Monville. Pour le grand public, c’est d’un sentiment d’insécurité qu’il peut s’agir. « Il y a l’actualité et les événements à caractère collectif que nous connaissons. A cela s’ajoute un contexte général qui peut alimenter ce sentiment, avec la guerre au Proche-Orient, les événements à Arras, etc. »

Insécurité et sentiment d’insécurité

Certains rescapés de précédents attentats, eux, « se trouvent bien dans l’insécurité. Il y a deux raisons à cela : un principe de réalité, face à l’attentat, et ce qu’on appelle la reviviscence », qui agit comme une résurgence des émotions. « Cela peut par exemple être le sentiment d’effroi, tel qu’il a été vécu à Zaventem ou Maelbeek, qui revient à la surface. » L’insécurité peut aussi se manifester par de l’hypervigilance, ou une incapacité à sortir de chez soi.

« Vous savez, plus de sept ans après, certains rescapés éprouvent toujours des difficultés à côtoyer la foule, par exemple », illustre Mireille Monville. Il convient de se souvenir que, pour eux, le procès des attentats de mars 2016 vient à peine de s’achever, rendant les événements moins lointains dans le temps que pour d’autres personnes.

Suite à l’attentat du 16 octobre, explique la psychologue, une demande a été formulée par des rescapés de 2016 pour remettre en place un groupe de parole, alors que le précédent était récent, datant de la fin du procès. C’est le signe, pour ces personnes, d’un besoin d’échanger autour des événements très récents, mais qui on pu provoquer ce phénomène de reviviscence.

Chacun peut ressentir ces émotions

Cela n’implique aucunement que des citoyens, dans le grand public au sens large, ne puissent eux aussi ressentir des émotions – un sentiment d’insécurité donc – suite à l’attentat. Les individus réagissent différemment et il n’y a aucune hiérarchisation à établir, pas plus qu’une remise en cause de la légitimité à éprouver ces émotions.

C’est même assez beau de voir cette résistance, qui va à l’encontre de la terreur…

Mireille Monville

« C’est parfaitement normal et cela fait même partie des mécanismes d’adaptation. La sensibilité, c’est aussi de l’intelligence adaptative. Que ce soit en Belgique ou dans d’autres pays dans lesquels j’ai travaillé, l’Irak ou l’Algérie, les humains sont capables de s’adapter, de continuer à avancer malgré tout. D’une certaine façon, c’est même assez beau de voir cette résistance, qui va à l’encontre de la terreur que les auteurs de ces attaques entendent induire », poursuit Mireille Monville.

Après, chacun réagit à sa manière aux événements. « Le contexte personnel de la personne va teinter sa réaction. Quel est son vécu, son entourage, sa vie familiale, ses perceptions », résume Bernard Rimé, professeur émérite à la faculté de psychologie de l’UCLouvain. « On a sa propre histoire, son propre entourage, mais aussi sa propre compréhension de la situation d’ensemble, des conflits dans le monde, de la géopolitique », ajoute Mireille Monville.

L’humain s’adapte et c’est normal

En l’occurrence, les émotions peuvent être d’autant plus difficiles à éprouver que, du moins pour les personnes qui n’y ont pas été confrontées directement, la période des attentats paraissait révolue. Et a semblé, lundi soir, faire brutalement son retour. « Nous vivons dans une société où tout va vite, ce qui accentue la sensation de cette page qui s’est tournée. Mais on a beau tourner la page, cela reste le même livre. La vie est comme une ritournelle. Mais une fois encore, tout le monde n’en a pas conscience de la même manière. Les gens qui sont très au fait de la géopolitique internationale sont peut-être moins surpris que d’autre, par exemple. »

« Cette résistance dont je parle, poursuit-elle, consiste en quelque sorte à quitter le mode survie pour être de la vie tout de même. Et cela, l’humain le fait individuellement et collectivement. » Bernard Rimé et Mireille Monville s’accordent à dire que les images du foule, lundi soir au stade Roi Baudouin, qui se serre les coudes et manifeste un esprit de solidarité rassurent et contribuent à ce travail collectif.

Le réflexe, en pareil contexte, peut consister à se couper du monde, s’isoler des informations et des réseaux sociaux. S’il est bien compréhensible, il risque toutefois de mette à mal le lien social et le partage des émotions. « Faire l’autruche, ce n’est pas non plus une solution, parce qu’on ne s’outille pas pour avancer. » Il n’y a cependant aucun jugement, puisque chacun réagit « comme il peut », en quelque sorte. Et, rappelle Mireille Monville, ce sera toujours un bon conseil d’inviter une personne qui éprouve de grandes difficultés à faire face aux événements d’en parler, avec son généraliste ou un psychologue.

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