Symbole de rassemblement et de cohésion, le gilet jaune avait aussi pour vocation de donner une visibilité au mouvement contestataire. © AFP

Série (7/7) | Des gilets jaunes à Melania Trump, le vêtement comme porte-drapeau

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

L’essentiel

• Le vêtement peut être porteur de revendications, même si les messages qu’il véhicule ne sont pas toujours clairs ni cohérents.


• En France, le gilet jaune a été utilisé pour donner une visibilité à certaines revendications.


• D’autres vêtements symbolisent également une lutte, tels que les pussyhats lors de la Marche des femmes à Washington et celles qui ont suivi.

Dans la rue ou dans l’arène politique, le vêtement peut être porteur de revendications. Les messages qu’il véhicule ne sont pas toujours clairs, ni cohérents.

Au reporter du Parisien, Ti-O, gilet jaune venu de Pantin, justifie la faible mobilisation des troupes en ce 7 janvier 2023, à Paris. «Combien de personnes ont perdu les yeux? Combien de personnes ont perdu les mains, sur ces quatre dernières années? […] Les gens ne sont pas là pour se faire taper.» Un bien timide come-back pour l’impressionnant mouvement de protestation populaire qui avait fait de la chasuble de sécurité fluorescente un symbole de défiance à l’égard des institutions, d’une nouvelle lutte des classes.

«La révolte des gilets jaunes a profondément réactualisé l’imaginaire des mouvements sociaux et politiques tant à l’intérieur qu’au-delà des frontières de l’Hexagone», analyse Maxime Boidy dans une note intitulée «Textures vestimentaires et politiques du gilet jaune».

Décortiquant la manière dont les mouvements sociaux des décennies passées ont régulièrement tenté de reconfigurer le symbolisme ouvrier, le maître de conférences en études visuelles à l’université Gustave Eiffel remarque que ce gilet jaune, porté «en guise d’étendard collectif, par les franges plurielles de la société française qui s’y sont reconnues», a connu une trajectoire sensiblement similaire à celle des tute bianche (tuniques blanches) italiennes, mouvement popularisé dans les années 1990 par son rôle important dans l’essor de la contestation altermondialiste. «Retraités, chômeurs, salariés précaires ou toute autre catégorie sociale définie par rapport à la sphère du travail a pu s’en emparer pour en faire l’incarnation de revendications centrées sur la reproduction de la vie quotidienne (pouvoir d’achat, accès aux services publics, équité devant l’impôt…).»

«La mode et les modes n’évoluent pas dans un “vide” social.»

Décontractée et émancipée

Avant les gilets jaunes, le mouvement des bonnets rouges avait, lui aussi, provoqué quelques remous en France. Apparu en 2013 en Bretagne, et porté par des agriculteurs et des travailleurs de l’agroalimentaire, le mouvement s’insurgeait contre la politique fiscale que le gouvernement Sarkozy envisageait de mettre en place. Un bonnet rouge qui semblait renvoyer au bonnet phrygien, symbole de la Révolution française mais qui, en réalité, correspondait aux bonnets bretons qui, en 1675 lors de la «révolte du papier timbré», avait déjà servi à contester des réformes fiscales introduites par Louis XIV.

Maille identique mais revendications différentes, le pussyhat, ce bonnet roses aux oreilles de chat est devenu l’un des emblèmes de la lutte pour les droits des femmes. Son nom a été choisi en référence aux commentaires vulgaires de Donald Trump sur la liberté qu’il ressentait d’attraper les organes génitaux féminins.

Mélania Trump s’était félicitée d’avoir fait enrager les «gens de gauche». © AFP

Tricoté ou crocheté en milliers d’exemplaires à l’occasion de la Marche des femmes à Washington en 2017 et à celles qui suivirent, le pussyhat devait aussi permettre à ceux qui ne pouvaient participer à la manifestation de témoigner de manière ostentatoire de leur solidarité et de leur soutien aux militantes. Devenu un symbole de l’histoire du féminisme, le pussyhat a depuis trouvé sa place dans les collections de plusieurs grands musées.

«Le principe de la symbolisation ne traduit pas seulement la dimension culturelle de tout phénomène de mode, mais aussi le découplage qui existe entre les objets concrets et les symboles qu’ils incarnent», décrit le sociologue Frédéric Godart dans Sociologie de la mode. «La mode et les modes n’évoluent pas dans un « vide » social. Certes, le monde est un chaos instable et inquiétant, mais l’activité humaine crée des structures sociales relativement stables qui, dans une certaine mesure, contrôlent le chaos ambiant, créant du sens et des repères pour l’action.»

«Banales dans la sphère domestique, les Crocs roses de Roselyne Bachelot se parent d’une dimension transgressive à l’Elysée.»

Faire enrager la gauche

Le vêtement symbole, en tant qu’étendard collectif, renvoie donc à l’univers des luttes. Ce qui ne l’empêche pas de se prêter à un militantisme individuel à vocation politique. Surtout pour ceux qui jouissent d’une exceptionnelle visibilité.

En septembre 2021, la mannequin anglaise Cara Delevingne s’était présentée au gala du Met (Metropolitan Museum of Art) vêtue d’une forme de gilet pare-balles blanc portant la mention «Peg the Patriarchy» («A bas le patriarcat»).

A la même soirée, l’égérie de la gauche démocrate, Alexandria Ocasio-Cortez, avait également fait sensation dans une robe blanche sur laquelle on pouvait lire «Tax the rich» en lettres écarlates. Pour pouvoir parader au gala regroupant les grands noms et les grosses fortunes, la politicienne qui veut faire raquer les nantis avait tout de même dû débourser 35.000 dollars, prix de la robe de créateur non compris.

A l’autre bout de l’éventail politique américain, Melania Trump avait enfilé en 2018, alors qu’elle était encore la First Lady, une veste portant l’inscription «I really don’t care, do you?»(«Je m’en fous complètement, et vous?») pour se rendre dans un camp d’enfants sans papiers à la frontière mexicaine. Enregistrée à son insu, elle s’était ensuite félicitée d’avoir capté l’attention des médias et d’avoir «rendu fous les gens de gauche».

La symbolique politique du vêtement impose une mise en contexte en raison de la fluctuation de ses conditions d’appropriation et d’exhibition, rappelle François Hourmant. «Banales dans la sphère domestique, les Crocs roses de Roselyne Bachelot (NDLR: en 2008, elle était alors ministre française de la Santé, de la Jeunesse et des Sports) se parent d’une dimension transgressive sur le perron de l’Elysée», exemplifie le professeur de science politique à l’université d’Angers et auteur de Pouvoir et beauté. Le tabou du physique en politique. Les Crocs de Roselyne Bachelot n’étaient pourtant à ses pieds qu’en raison d’un pari perdu. La ministre n’avait rien à revendiquer. Elle avait toutefois profité du buzz pour les mettre aux enchères au profit d’une association à vocation sociale. Malgré quelques audaces calculées, nuance François Hourmant, «la géométrie solennelle du pouvoir d’Etat autorise peu les écarts qui seront en revanche largement tolérés voire plébiscités dans les mobilisations collectives».

Pas de Crocs mais des Converse Chuck Taylor pour Kamala Harris. En 2020, la vice-présidente américaine a fait de l’iconique paire de baskets inspirée par le basketteur américain Chuck Taylor et vues aux pieds d’Elvis Presley, Kurt Cobain, James Dean et Andy Warhol, le symbole d’une féminité moins corsetée, moins conventionnelle. Quatre ans plus tard, l’équipe féminine de basket Las Vegas Aces a profité de la lumière des Jeux olympiques parisiens pour déclarer son soutien à la candidate démocrate à l’élection présidentielle. Juste retour de ballon.


Le président argentin, Javier Milei, est surnommé «El Peluca» (la perruque).
AFP

Coiffé comme…Quand les populistes sont de mèche

Effet saut du lit ou effet casque, hirsutes ou peroxydés, rouflaquettes ou épis rebelles: pourquoi les leaders populistes optent-ils pour des coiffures improbables? Geert Wilders, Javier Milei, alias «El Peluca» (la perruque), Donald Trump, Boris Johnson, Rain Epler, si tous ces hommes politiques de droite ont opté pour des coupes extravagantes ou faussement négligées, ce n’est pas par manque de temps ou parce qu’ils n’ont pas le même coiffeur que Jordan Bardella. C’est plutôt parce que la chevelure épaisse est traditionnellement associée à la jeunesse et à la vigueur. Et qu’en politique, il faut pouvoir montrer qu’on en a sous la pédale, qu’on est là pour durer. La chevelure ébouriffée, la tignasse indomptée, symbolise aussi l’authenticité, la résistance à l’ordre établi, au système, aux institutions, à l’establishment, mais aussi l’antiélitisme. Alors que ces leaders sont souvent issus de milieux plutôt aisés.

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