C’est souvent avec le père que l’écart d’âge est le plus élevé, notamment pour des raisons de fertilité. © getty images

« Pendant l’adolescence, c’était particulièrement compliqué »: vieux parents mais jeunes enfants, la famille à contre-courant

Le Vif

Grandir avec des parents âgés, ce n’est pas le schéma classique. Avec l’écart qui se creuse entre les générations, il tend pourtant à se banaliser. Témoignages et analyse.

On ne se comprenait pas. A certains moments, nos regards sur l’évolution du monde étaient tellement différents qu’on avait de très grosses disputes. Pendant la crise d’adolescence, c’était particulièrement compliqué», confie Anaïs, 24 ans, dont le père en a 72. Pour la jeune femme, composer avec ce grand écart d’âge reste d’ailleurs difficile.

Comment expliquer cette sorte de mal-être qu’éprouvent tant d’enfants ayant des parents plus vieux que la moyenne? Le regard des autres? Pas vraiment. Depuis que les schémas familiaux se sont démultipliés, un écart d’âge marqué ne choque plus grand monde. Tout au plus peut-il surprendre, comme en témoigne Benjamin, 24 ans, dont le père et la mère ont dépassé les 65 ans. «J’ai souvent ressenti de l’étonnement de mon entourage, mais pas de critiques.» «Auparavant, avoir des parents âgés pouvait engendrer des moqueries. Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui», confirme Gérard Neyrand, professeur émérite de sociologie à l’université Toulouse 3 et auteur de nombreux ouvrages sur la famille, parmi lesquels La Parentalité aujourd’hui fragilisée, (collection «Temps d’arrêt» (numéro 102), publié sur yapaka.be).

L’âge de mes parents a souvent suscité l’étonnement mais pas la critique.

Une évolution notamment liée au fossé qui se creuse entre les générations. Les femmes ont aujourd’hui un peu plus de 29 ans, en moyenne, lors de la naissance de leur premier enfant, indique Statbel. Soit deux ans de plus qu’il y a vingt ans. L’écart d’âge moyen entre une mère et son enfant, indépendamment de sa place dans la fratrie est, quant à lui, de 31 ans, contre 34 ans pour le père.

Parents: le contexte est plus décisif

«J’ai grandi un peu comme une enfant unique ; mes frères et sœurs, nettement plus vieux, avaient déjà quitté la maison quand je suis arrivée. J’ai reçu une éducation à l’ancienne, très stricte, liée à l’âge de mon papa», analyse encore Anaïs. Pour Sarah Galdiolo, psychologue spécialisée dans la parentalité et professeure à l’UMons, les valeurs éducatives ne diffèrent pourtant pas fondamentalement selon l’âge, même si l’expérience acquise avec le temps permettrait de mieux gérer ses émotions. Tout au plus relève-t-elle «une tendance à être plus protecteur quand des problèmes de fertilité ont nécessité de recourir à la procréation médicalement assistée ou quand on a été marqué par une série d’épreuves». S’il confirme que les choix éducatifs ne sont pas directement liés à l’âge, Gérard Neyrand note que «ces pères et mères-là ont souvent fait de longues études et présentent un niveau socioéconomique relativement élevé. Leur situation professionnelle est généralement bien assise et ils sont susceptibles d’être plus disponibles pour élever leurs enfants.»

Un écart d’âge conséquent induit toutefois une appréhension différente des codes sociaux, avec lequel il n’est pas toujours évident de composer. «Le mode de vie, la manière de voir les choses n’ont rien à voir, détaille Anaïs. Par exemple, quand j’ai commencé à sortir, à m’habiller autrement, mon père l’a mal pris parce qu’à son époque on ne permettait pas aux jeunes filles de s’habiller comme elles le voulaient ou de sortir le soir.»

Il va sans dire que le fossé dans la maîtrise des réseaux sociaux et de certaines technologies s’accentue encore avec le nombre d’années. Mais c’est le cas également sur le plan professionnel: «Lorsque j’ai débuté ma carrière, papa était déjà à la retraite depuis un bon bout de temps. J’ai moins pu bénéficier de conseils de sa part, il était sans doute un peu plus has been que d’autres», témoigne ainsi Nicolas, 30 ans, dont le père a 80 ans.

Et avec les autres?

Les rapports avec les autres membres du clan sont eux aussi influencés, notamment dans des contextes de familles recomposées avec la présence d’enfants issus d’une première union. «Je me suis toujours très bien entendu avec mes neveux et nièces, qui sont pour moi plutôt des sortes de cousins et cousines», poursuit Nicolas, dont les demi-sœurs avaient plus de 20 ans lorsqu’il est venu au monde. Il ne les considère toutefois pas comme des tantes ou des secondes mamans, contrairement à Anaïs, qui voit en son frère aîné un second père: «Dans sa manière d’être avec moi, il est plus paternel que fraternel.» Les grands-parents, de leur côté, sont aussi nettement plus vieux que la moyenne, «avec le risque qu’ils soient malades, moins mobiles ou ne puissent pas partager toute une série d’expériences avec leurs petits-enfants», souligne Sarah Galdiolo.

Mon père a fait beaucoup pour moi mais pas beaucoup avec moi.

Les enfants beaucoup plus jeunes que leurs pères et mères sont parfois amenés à jouer plus vite un rôle d’aidant. Cela n’est pas le cas pour Christophe, dont le papa a aujourd’hui plus de 90 ans. «Il a pris sa retraite à 58 ans et a ensuite travaillé quinze ans en tant qu’indépendant. Il voit régulièrement ses amis, il s’entraîne encore sur son tapis de course quotidiennement. Mais maintenant, reconnaît-il, il y a davantage de choses à gérer pour lui.» Le quadragénaire, qui vit très bien les quelques décennies qui le séparent de son paternel, est conscient que la relation qu’il entretenait, petit, avec lui est d’une autre nature que celle qu’il a construite avec ses propres enfants: «Je skie beaucoup avec mon fils. Mes parents m’ont aussi régulièrement emmené aux sports d’hiver, mais je n’ai aucun souvenir que mon papa skiait. Il a fait beaucoup pour moi mais pas beaucoup avec moi. J’ai partagé plus d’activités avec ma maman.»

Comme pour Christophe, c’est souvent avec le père que l’écart d’âge est le plus grand, notamment pour des raisons de fertilité… même si on parle déjà de grossesse gériatrique après 35 ans. Une expression peu heureuse qui pourrait changer au vu des progrès de la gynécologie, notamment en matière de procréation médicalement assistée. Les maternités plus tardives pourraient accroître un peu plus l’écart entre générations… et rendre anodines des différences d’âge déjà en voie de banalisation.

Nathan Delie

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