« On se voit quand on en a réellement envie »: le Living Apart Together, cette nouvelle tendance qui séduit les couples
Le Living Apart Together – être en couple sans vivre ensemble – peut être la clé de l’équilibre d’un couple. Pour l’environnement, par contre, ce n’est pas que du bonheur.
Anne et Philippe se sont mariés il y a quelques années. Depuis lors, ils filent un amour tranquille entre Charleroi, où vit la première, et Namur, où habite le second. Car, oui, les deux époux, qui ont chacun connu un premier mariage, ont préféré ne pas loger leurs sentiments sous le même toit quand ils se sont relancés dans l’aventure maritale. «Vivre ensemble, cela aurait voulu dire opter pour Charleroi ou pour Namur. Et aucun de nous n’en avait envie, confie Anne. On rencontre parfois des gens qui trouvent cette façon de s’aimer un peu bizarre. Mais quand on leur explique, beaucoup jugent que ce n’est pas si mal…»
Anne et Philippe s’inscrivent dans le Living Apart Together (LAT), cette relation dont la caractéristique principale est de distinguer conjugalité et cohabitation. Combien y a-t-il de tels couples en Belgique? Impossible à dire précisément mais une enquête réalisée en 2008 et 2009 dans le cadre du programme Générations et Genre de l’ONU avait estimé que 9,8% des Belges entre 20 et 69 ans avaient adopté le LAT. Depuis lors, le phénomène a clairement pris de l’ampleur. «De plus en plus, cette forme de couple exerce une réelle attractivité, assure Christophe Giraud, sociologue spécialiste du lien conjugal à l’université Paris Cité. Pour s’en apercevoir, encore faut-il se concentrer sur les individus qui ont réellement le choix. Je l’ai fait en France pour les plus de 45 ans qui ont eu l’occasion de sortir d’une première relation où ils furent cohabitants. Et j’ai constaté que, parmi ceux qui retrouvent un compagnon ou une compagne, un sur deux environ a décidé de ne plus cohabiter.»
Ne pas cohabiter, c’est meubler, équiper et chauffer deux fois.
Prudence et besoin d’espace
Ceux qui refont leur vie seraient donc les premiers adeptes du Living Apart Together. Une formule qui, à en croire le sociologue, peut leur convenir doublement. D’abord parce qu’elle ménage une envie de sécurité après une séparation qui leur a parfois «coûté» leur logement. Ensuite parce qu’elle leur réserve du temps et de l’espace, éléments dont ils ont parfois manqué. «C’est tout particulièrement le cas des femmes, affirme Christophe Giraud. C’est un peu comme si elles faisaient les comptes et en venaient à la conclusion que le meilleur moyen de se protéger est de vivre seule.»
Caroline a connu ces difficultés avec le père de ses enfants. La répartition inégale de la logistique familiale l’a confrontée à ses besoins vitaux et a fini par l’éloigner de son compagnon. «Mais il n’y avait pas que les tâches ménagères, assure-t-elle. Vivre à deux, c’est composer avec l’autre. Avec ses bons comme avec ses mauvais côtés.» Depuis trois ans, la jeune femme a retrouvé un compagnon, Gaspard, mais n’habite pas avec lui. Anne, quant à elle, explique que c’est après sa séparation qu’elle a «pris goût à une certaine liberté. Quand on vit à deux, on ne peut pas agir sans tenir compte de l’autre – même s’il n’est pas envahissant. Après avoir vécu seule, je n’aurais pas pu revenir à ce mode de fonctionnement.» Luc, en couple avec Jeanne depuis quatre ans, envisage lui aussi son autonomie comme un «élément essentiel».
« Il y a moins de moments mais ils sont de meilleure qualité »
Si la formule répond à ces besoins-là, elle le fait semble-t-il sans porter préjudice à la relation amoureuse. C’est en tout cas ce que prétendent ceux qui l’ont essayée. Comme Magali, qui a quitté la colocation bruxelloise qu’elle occupait avec Julien, son compagnon, pour emménager seule dans un appartement il y a quelques mois. Elle y a trouvé les espaces personnels qui lui étaient nécessaires et juge que sa relation n’a pas eu à en pâtir. «Il y a moins de moments mais ils sont de meilleure qualité, résume-t-elle. Quand on se voit, on est sûrs qu’on est vraiment dans l’envie de se voir.»
Aurélie, en couple avec Jérémy depuis plus de six ans, partage ce sentiment. «On se voit quand on en a réellement envie, détaille-t-elle. Si c’est moins le cas un soir, aucun problème: on postpose au lendemain ou au surlendemain. Ces moments où l’on n’est pas ensemble sont même susceptibles de faire apparaître un sentiment de manque qui n’est pas désagréable.» Caroline surenchérit: «La relation n’est pas parasitée par les petites tensions du quotidien. Par ailleurs, elle est nourrie par ce manque qui s’insinue entre les rencontres. Donc, globalement, elle se porte mieux.» Et Anne d’ajouter encore: «Parfois, on me dit: “Mais vous, vous ne partagez que les bons moments!”. Oui, en fait, c’est un peu cela», sourit-elle.
Un surcoût aussi environnemental
Bien sûr, le living apart together a aussi ses inconvénients, auxquels on ne pense pas d’emblée. Notamment en matière de budget mais aussi d’impact sur le climat. Par exemple, deux logements, cela représente un surcoût financier non négligeable pour les deux partenaires, qui doivent chacun assumer les frais d’un lieu de vie plutôt que de partager ceux d’un «nid» commun. Aurélie laisse entendre que ce «surplus» s’élève à plusieurs centaines d’euros par mois entre le remboursement de l’emprunt hypothécaire – ou le loyer, dans le cas de Jérémy – , les taxes, les assurances et les frais de chauffage. « Si j’additionne les principales dépenses mensuelles, j’arrive vite à neuf cents euros, affirme par sa part Caroline. Si je cohabitais, je diviserais ce montant par deux. Et je ne tiens pas compte des frais plus importants, comme quand je dois remplacer un appareil électroménager ou faire des travaux dans la maison.»
Magali, quant à elle, qualifie ce surcoût de «luxe»: «Tout le monde ne peut pas se le permettre, c’est clair. Avant de prendre mon appartement, j’ai fait soigneusement mes calculs. J’arrive à tout assumer mais je dois faire attention.» Autre inconvénient du living apart together: son «surcoût» environnemental. En effet, deux logements, c’est toute une série de «ressources» en plus à une époque où précisément on appelle à les rationaliser.
«La taille moyenne des ménages a baissé au cours des dernières décennies, constate Edwin Zaccai, fondateur du Centre d’études du développement durable (ULB). Cela témoigne d’un éparpillement des logements. Mais soyons de bon compte: ce phénomène n’est pas uniquement alimenté par les couples ne cohabitant pas. Le vieillissement de la population le favorise aussi, avec des gens vivant longtemps seuls après le décès du conjoint. Au-delà de ça, le nombre de secondes résidences a crû également. Ces configurations ne sont pas idéales. Toutefois, à elles seules, elles ne résument pas le bilan environnemental des personnes qui les choisissent. En effet, on peut très bien habiter à deux et ne faire attention à aucune de ses consommations.»
Vivre ensemble, cela aurait voulu dire opter pour Charleroi ou pour Namur. Et aucun de nous n’en avait envie.
«C’est sûr que ne pas cohabiter, c’est meubler, équiper et chauffer deux fois», indique Aurélie. Luc convient aussi que la formule n’est pas «environnementalement neutre».
Living apart together: écolos «à leur façon»
Selon Hervé Marchal, sociologue à l’université de Bourgogne et auteur de Décloisonner les identités (éd. Le Cavalier bleu, 2024, 214 p.), le LAT illustre à cet égard les ambivalences que tout un chacun peut ressentir à propos de la question environnementale: le partage des préoccupations, des objectifs et même des efforts, mais le refus que ceux-ci empiètent sur la part personnelle et intime – et en cela sacrée – des existences. «Les individus veulent être acteurs de leur vie et prendre leurs propres engagements. Le fait de ne pas cohabiter lorsqu’on est en couple en est un, assure-t-il. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas écolos. Ils le sont à leur façon. Mais ils refusent que les préoccupations environnementales restreignent des choix aussi personnels.»
A côté de l’ambiguïté de leurs décisions en matière de respect de la planète, les adeptes de cette façon d’être en couple relèvent encore d’autres inconvénients. Notamment organisationnels. «Quand on a des vies bien remplies, trouver des moments pour se voir demande un effort de planification», expose Magali. Caroline, elle, pointe l’implication qu’elle estime moindre de son compagnon lorsqu’il s’agit de prendre soin de son habitation. «Il m’aide lorsque j’ai des petits travaux à réaliser, indique-t-elle. Mais, comme ce n’est pas sa maison, il ne s’investit pas à 100%. Idem pour moi dans l’autre sens.» Et, pour Anne, le plus pesant est de ne pas avoir Philippe à ses côtés quand elle traverse des moments plus compliqués. «Encore que dans ces cas-là, il peut passer», reconnaît-elle.
Globalement, pourtant, cette nouvelle façon de s’aimer sied à ces couples, qui ont ainsi construit leur équilibre. «Il n’est pas question de dire que la formule est parfaite ou qu’elle est adaptée à tout le monde, soutient Anne. Mais à nous, elle nous convient. Et ce n’est déjà pas si mal.»
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