Le prénom a une influence qui dépasse ce que l’on anticipe, affirme la chercheuse Anne-Laure Sellier.

« C’est comme un tatouage sur notre visage » : voici la liste des prénoms les plus donnés en 2022 (infographies)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Comme chaque année, Statbel a publié la liste des prénoms les plus donnés aux nouveau-nés en Belgique en 2022. Anne-Laure Sellier, chercheuse en psychologie cognitive et sociale, rappelle à quel point le prénom influence des pans entiers de notre quotidien, de la sphère professionnelle à la vie intime, en passant même par l’apparence. D’où l’importance pour les futurs parents de poser un choix mûrement réfléchi.

Elle a vraiment une tête d’Annick ». « C’est bizarre, il n’a pas du tout un visage à s’appeler Michaël ». Ces remarques quotidiennes, qui s’apparentent plutôt à des commérages ou des discussions de comptoir qu’à des vérités scientifiques, trouvent aujourd’hui écho dans la recherche. En effet, plusieurs études menées récemment corroborent la thèse selon laquelle nous ressemblons physiquement à notre prénom, indique Anne-Laure Sellier, chercheuse en psychologique sociale et cognitive et professeure à HEC Paris, également autrice du Pouvoir des Prénoms (Héliopoles, 2018) et de La Science des Prénoms (Héliopoles, 2019).

« Concrètement, si on montre une photo d’identité d’une Elisa à 100 personnes dans la rue, et qu’on leur demande de déterminer son prénom parmi quatre propositions, plus de 35 à 40% d’entre elles devineront la bonne réponse. Ce résultat significatif d’un point de vue statistique prouve qu’il y a quelque chose dans notre visage qui trahit notre prénom », poursuit l’experte, qui précise que les prénoms sélectionnés pour l’étude n’étaient pas connotés socialement ni ethniquement. « Globalement, une Elisa aura toujours le visage d’une Elisa. »

Ce constat se confirme au fil des années, et ce, malgré l’évolution des prénoms donnés aux nouveau-nés. En 2022, en Belgique francophone, le top 1 reste toutefois inchangé. Du côté des prénoms de fille, c’est toujours Olivia qui domine le classement pour la quatrième année consécutive, devant Emma et Louise. Au rayon des prénoms de garçon, Noah est à nouveau le plus populaire, devant Arthur et Liam.

Un chignon ou une frange?

Selon Anne-Laure Sellier, le biais du prénom influe jusque dans la manière de nous apprêter. « Le matin, devant le miroir, une Elisa se fera une tête d’Elisa. Elle s’attachera peut-être les cheveux, alors qu’une Cécile fera une frange, par exemple. Cela peut être inconscient, mais les choix que nous posons sont orientés de sorte à ce que l’on paraisse crédibles à l’égard de notre prénom et de notre fonction. »

Cela étant, cette ressemblance se limite à l’apparence. Aucune recherche scientifique n’a pour l’heure pu démontrer que le prénom avait une influence sur la personnalité. « On parle uniquement de pure perception physique, insiste la professeure à HEC Paris. En définitive, notre prénom est comme un tatouage sur notre visage. »

Outre l’apparence, les recherches en psychologie sociale et cognitive ont démontré que le prénom avait également une influence considérable sur bien d’autres aspects de la vie quotidienne. « Le prénom a un impact qui dépasse tout ce qu’on anticipe, observe Anne-Laure Sellier. Tout le monde sait que le prénom peut avoir une influence, car c’est quand même l’étiquette à laquelle on répond à longueur de journée, mais beaucoup sous-estiment à quel point il joue un rôle prépondérant dans la sphère professionnelle, personnelle, voire même intime. »

Une cause de rejet

Sur le plan professionnel, les études ont prouvé que l’influence du prénom est considérable dans la probabilité de décrocher un entretien d’embauche. Les prénoms trop originaux ou trop décalés peuvent devenir une cause de rejet au moment de la sélection. « On peut littéralement être condamné socialement ou professionnellement par son prénom », avertit la chercheuse.

Le prénom peut également impacter nos relations amicales ou amoureuses. « On n’est pas attirés de la même façon par tous les prénoms, indique Anne-Laure Sellier. On est plutôt attirés par des prénoms qui ressemblent aux nôtres. Ce n’est pas systématique, évidemment, mais il y a une tendance significative sur le plan statistique qui montre que l’on se rapproche romantiquement de gens qui ont la même initiale que nous, ou avec qui on partage plusieurs lettres de notre prénom. »

Au vu de ce constat, le choix du prénom ne doit pas être pris à la légère par les futurs parents, rappelle Anne-Laure Sellier. « Il faut être conscient de la portée de cette décision sur l’existence entière de son enfant. On ne parle pas de déterminisme social, mais tout de même : la ‘souffrance de prénom’ peut être bien réelle. » Or, de plus en plus de parents apparaissent démunis lors de cette décision cruciale, constate la chercheuse. « En réalité, c’est un choix auquel on n’est pas vraiment rompu. Il y a encore deux ou trois générations, les parents ne choisissaient pas le prénom de leur enfant. On donnait celui de la grand-mère ou du grand-père et, dans certains cercles, le choix du prénom revenait au parrain ou à la marraine. C’est donc un choix très récent, et on en constate les dérives chaque année dans le florilège de prénoms improbables qui sont donnés aux nouveau-nés. »

Parmi les prénoms originaux ou orthographiés de manière curieuse attribués en 2022, notons par exemple Vie et Vesper pour les filles, ou Axl pour les garçons.

Faciliter le changement de prénom

En cas de véritable mal-être, Anne-Laure Sellier encourage à dédramatiser le recours au changement de prénom. « Ce procédé a longtemps été mal vu car, dans la culture patriarcale qui est la nôtre, cela consiste à remettre en cause l’autorité du père ou des parents. » Pour la professeure, ce changement peut pourtant s’avérer extrêmement salvateur et devrait être déstigmatisé.

En Belgique, le changement de prénom a été facilité depuis le 1er août 2018. La demande doit désormais être introduite auprès de la commune compétente et s’effectue dans un délai maximum de 3 mois. Le prénom demandé ne peut toutefois pas créer la confusion, ni nuire au requérant ou à autrui. En 2022, 5.104 Belges ont opté pour un nouveau prénom, un record historique.

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