Nos chères amies les bêtes: pourquoi certains dépensent pour elles «le prix de 2 semaines aux Seychelles»
Alimentation bio et vegan, vêtements de pluie, colliers lumineux, garderie, tapis rafraîchissants… Le marché est toujours plus imaginatif. Et les propriétaires plus dépensiers.
Les foyers belges comptent un million de chiens et de chats de plus que d’enfants de moins de 18 ans. Au 1er janvier dernier, le pays recensait ainsi 2.331.238 mineurs d’âge alors que les chiffres les plus récents de Statbel, l’office national de statistique, portant sur 2022, estimaient à 3.338.584 le nombre de nos canins et félidés (2.052.218 chats et 1.286.366 chiens). Un nombre qui augmente sans cesse depuis 20 ans: en 2004, le SPF Economie dénombrait 1.954.000 chats et 1.064.000 chiens, soit un total de 3.018.000.
A cet engouement croissant, constaté partout en Europe et pas seulement déclenché par la pandémie de coronavirus et son lot de confinements, correspond une hausse du budget consacré à nos animaux de compagnie. Tous inclus (oiseaux, rongeurs, poissons et reptiles compris), les dépenses se chiffrent, en Belgique, à 757 millions d’euros en 2004, à 1,3 milliard en 2014 puis à 1,5 milliard en 2020. Comeos, la fédération belge du commerce et des services, estime que le marché pèse aujourd’hui plus de 3,5 milliards, parce qu’aux dépenses pour l’alimentation (autour de 550 euros par an pour les chiens et de 450 euros pour les chats) et le vétérinaire, il faut ajouter les accessoires, les jouets, les compléments alimentaires, le toilettage, etc.
«Moi et mes deux chiens, c’est un budget alimentation pour trois personnes.»
Le chat moins coûteux que le chien?
Abigail, 53 ans, Bruxelloise exilée à Soignies avec Harold, son compagnon, Maëlle, sa grande ado, Léo le chat, Bumpy la chienne et Casper la tortue (outre qu’elle rêve d’«un petit cochon, un petit singe et des biquettes», mais Harold fait barrage), le résume avec un bel art de la formule: «Bumpy, je l’adore, mais depuis dix ans, si on fait le compte de ce qu’elle a coûté, c’est l’équivalent de deux semaines aux Seychelles pour nous trois! Entre son achat –heureusement, ce n’est qu’une petite bâtarde, on a payé 250 euros à la famille de Ciney chez laquelle on est allés la chercher–, la nourriture, les vaccins, le puçage, l’opération pour lui retirer l’utérus, l’antivermifuge, le traitement antipuces, les deux paniers (un en bas, l’autre à l’étage), les harnais (tous les deux ans, parce qu’à la longue, ça s’use et ça pue la mort, même après lessive), les laisses à enrouleur, la dog-sitter quand on part, les deux ou trois consultations d’urgence en clinique –évidemment chaque fois le week-end– parce qu’elle semblait malade, les mille brosses pour enlever les poils du canapé… Et tous les trucs achetés et rachetés pour qu’elle joue, et qu’elle explose en deux minutes. Je ne sais pas précisément à combien on est, mais ça doit bien chiffrer.»
Le comparateur de prix Hellosafe vient de faire le calcul pour elle et l’a publié début de ce mois: en Belgique, le budget total annuel moyen pour un chien se monte aujourd’hui à 2.488 euros. Il était de 1.959 euros voici trois ans, mais l’inflation l’a fait gonfler de 27%. La plus grosse part de la somme part dans l’alimentation (75%), puis dans les produits d’hygiène (8%) et les soins vétérinaires réguliers (6%). Mais les montants évoluent selon la taille de l’animal, évidemment, sa race (demandant ou non, par exemple, un toilettage fréquent) et le fait qu’il ait ou non des amis chiens qui vivent également à la maison.
Harold, de son côté, ne fait pas que de la résistance anti-petit cochon, petit singe et biquettes: il conserve aussi soigneusement ses factures. Et voilà ce qu’elles précisent sur les coûts dits exorbitants de Bumpy: entre le 19 mars 2022 et le 9 novembre 2024, 1.245,96 euros chez le vétérinaire (c’est une semaine aux Seychelles, pour une personne, sans l’avion, c’est vrai). «Chez qui on achète aussi ses croquettes, par sac de sept kilos, qui dure trois mois, qui était à 41,50 euros jusqu’il y a deux ans, ensuite à 47,75 euros et à 50,25 euros depuis cette année.» Abigail ajoute, moitié pointilleuse, moitié railleuse (et on perçoit comme une troisième moitié réprobatrice): «Plus la pâtée que tu achètes en grande surface et que tu ajoutes toujours aux croquettes! C’est pour ça qu’elle est obèse…» Message bien reçu par Harold: «2,67 euros la boîte. Qui dure entre trois et quatre jours. Et elle n’est pas obèse du tout!»
Le couple ajoute que, «sinon, chez la véto, on a aussi payé 59,17 euros, en mai de l’année dernière, pour des comprimés pour ses hanches; on en a toujours les trois quarts, parce qu’on oublie de les lui donner, et de toute façon elle ne les mange que du bout des dents. Le reste, c’était des rappels ou quand elle a eu des problèmes au ventre et qu’elle allait se cacher dans les fourrés en tremblotant: une fois 231 euros, une fois 105 euros et une autre 300 euros, en treize mois.» La dog-sitter? «Elle est trop top. Elle a aussi deux chiens et trois chats, et Bumpy les adore. On se demande d’ailleurs si elle ne préfèrerait pas vivre là-bas… En tout cas, on paie 20 euros la journée. Et on l’y laisse entre 20 et 30 jours par an.» Et Léo le chat? «Des croquettes du supermarché, autour de 14 euros les presque quatre kilos, et ça dure parfois deux mois parce qu’il va manger dans des maisons du coin. Sinon, une fois pucé, stérilisé et vacciné, et sauf gros pépin, il ne coûte pas grand-chose.»
Chez Jeanne, 74 ans, qui vit seule à Wavre avec ses deux Jack Russel, c’est une autre chanson: «Ce sont mes deux bébés. Je n’ai plus qu’eux, à demeure. Je n’ai pas de frais de garde et très peu aussi en jouets et tous ces trucs. Le vétérinaire, c’est juste pour les rappels de vaccins et quand il y a un souci. Le plus gros du budget, c’est les repas que je leur cuisine tous les jours. Je ne peux pas le quantifier, mais je leur prépare de la viande, des pâtes, des légumes. En fait, c’est un budget alimentation pour trois personnes.»
Marjorie, 57 ans, d’Ixelles, affirme, elle, que c’est le toilettage de son terrier tibétain («mais pas un pur race») qui lui coûte le plus: «Entre 60 et 80 euros selon la difficulté, donc si les poils sont plus ou moins fort emmêlés, et ça tous les deux ou trois mois. On pourrait y aller tous les quatre mois, mais Charly, mon mari, se laisse faire par la toiletteuse, qui remet un rendez-vous deux mois plus tard.»
Globalement, Hellosafe estimait dans une étude publiée il y a tout juste douze mois qu’il fallait compter pour «les consultations vétérinaires en cas d’urgence, poste de dépense de santé le plus important, de 140 à 1.400 euros par an, en fonction de la gravité de la situation de santé de l’animal et de la durée du traitement nécessaire. Elles comprennent les analyses en laboratoire, la chirurgie, l’hospitalisation, les radiographies ou les soins dentaires. Pour les consultations vétérinaires de routine, moins onéreuses, la dépense moyenne est de 145 euros par an par animal.» Et puis, 130 euros par an pour les produits d’hygiène (notamment les soins dentaires et auriculaires), 75 euros pour les vaccins et 70 euros pour les antiparasitaires.
2.488 euros
Le budget total annuel moyen pour un chien. Il s’élevait à 1.959 euros il y a trois ans, mais l’inflation l’a fait gonfler de 27%.
Assurances, traceurs GPS, brume parfumée…
A tout cela, on peut ajouter l’assurance (qui peut atteindre plusieurs centaines d’euros par an, selon la race, l’âge de l’animal et le pourcentage qu’on souhaite se voir rembourser, avec des plafonds de dépenses annuelles), très en vogue dans beaucoup de pays, mais confidentielle chez nous: 3% des animaux de compagnie, selon le comparateur de prix, qui prédit une poussée à 5% en 2028. Résultat: «Le total des remboursements au titre des polices d’assurance animaux en Belgique devrait passer de 1,52 milliard d’euros en 2023 à 2,53 milliards en 2028. Soit une augmentation de 66,4% en cinq ans.»
Le marché semble si juteux et si loin de son plafond qu’une pluie d’accessoires et gadgets sont commercialisés. Puisés ici et là, en ligne ou dans des boutiques: tondeuse pour chien avec aspirateur (80 euros), housse de protection pour sièges auto (40 euros), nettoyeur de pattes (15 euros), traceur GPS (70 euros), protection auditive (70 euros), sac à dos de transport avec capsule ou visière (85 euros), jeux d’intelligence (jusqu’à 50 euros), vêtements (jusqu’à 90 euros, hors marque de luxe)… Cet été, Dolce&Gabbana a même dégainé Fefé, présenté comme une «brume parfumée» (sans alcool) pour chiens (99 euros).
Bref, si on s’entoure de plus en plus de compagnons à poils –surtout, confirmait en août une enquête de Bepefa, la fédération des producteurs et distributeurs belges d’aliments pour animaux (1)–, on débourse pour eux toujours davantage. Est-ce à dire qu’on en prend mieux soin qu’auparavant? «Je pense que l’attachement a toujours été profond, répond sans hésiter le Dr. Marc Harms, vétérinaire à la croisée d’Uccle et de Forest. Surtout parmi les plus défavorisés, parce que, souvent, leur chat ou leur chien, c’est à peu près tout ce qu’ils ont.»
«Les gens sont prêts à payer 900 euros pour une IRM pour leur chien et, si besoin, au moins 1.500 pour une chirurgie.»
Evolution de l’offre et des services
Mais celui qui pratique depuis maintenant 40 ans voit une autre explication aux dépenses en hausse: «L’offre et les services proposés ont fort évolué. Ça a commencé avec l’alimentation et l’apparition des croquettes industrielles. Les grandes enseignes ont des centres de recherches incroyables, avec études sur la puissance de la mâchoire en fonction des races de chien, sur la taille et la forme que la croquette doit avoir selon les cas pour nettoyer les dents en même temps, etc. Elles proposent donc des aliments de qualité. Mais qui ont un prix. Pareil pour les centres d’urgence, qui n’existaient pas. Le développement technologique, des examens et des soins médicaux, aussi: on a depuis 20 ans de plus en plus de moyens d’examens complémentaires: échographie, anesthésie gazeuse, IRM, scanners, labo d’analyse de sang au sein du cabinet… C’est beaucoup plus précis et ça a un coût, aussi. Les gens sont prêts à payer 900 euros pour une IRM, pour voir si on peut opérer le chien. Et si oui, il y a donc, ensuite, le coût de la chirurgie, qui grimpe à 1.500 euros comme un rien. Je suis parfois étonné de voir jusqu’où certains iraient. Je dois les freiner.»
Corollaire à tout ça: on va plus rapidement consulter. «Aussi parce qu’il y a le facteur d’immédiateté qui s’impose, surtout chez les plus jeunes. Des propriétaires veulent qu’on agisse tout de suite. Un chien qui boîte, dans le temps, on n’aurait pas téléphoné pour avoir un rendez-vous dans l’heure un dimanche ou durant la nuit. Mais c’est aussi parce qu’il existe des structures d’urgence 24h/24 ou des vétérinaires qui proposent ce service, comme moi. En tout cas, oui, les gens appellent plus qu’avant, plus vite et plus souvent. D’où le succès de centres qui n’ouvrent que la nuit et le week-end. Mais là encore, c’est une question d’offre qui s’est élargie. Comme il y a des vétérinaires, regroupés en centres ou pratiquant en solo, spécialisés dans les NAC, les nouveaux animaux de compagnie (rongeurs, lézards, tortues, lapins, cobayes…), dans les oiseaux ou dans les poissons. J’en connais un qui opère des carpes koï de tumeurs. Ça peut sembler fou mais un koï, ça vaut jusqu’à 10.000 euros. Donc s’il est mal, son propriétaire est mal aussi…»
La grande affection pour les animaux de compagnie –«Je me demande parfois si certains n’en ont pas moins pour leurs enfants», ose même une vétérinaire officiant depuis quelques années dans la région de Tournai– justifierait donc les grosses dépenses auxquelles on consent dès qu’il est question de leur bien-être. D’où ce marché toujours plus alléchant. Au point que des gros groupes financiers «rachètent les structures au sein desquelles s’étaient regroupés plusieurs vétérinaires, insiste Marc Harms. Comme on le voit depuis longtemps dans d’autres professions, les dentistes et les médecins notamment. Ce sont donc des investisseurs, qui reprennent ces cliniques et ces cabinets. Ils leur rachètent l’outil et la clientèle, pas les briques, et les vétérinaires continuent d’y travailler, à durée déterminée, en devant garantir une croissance de X% chaque année et en n’ayant plus aucun regard sur les honoraires, parce que, ça, c’est devenu l’affaire des nouveaux patrons. Qui, évidemment, ne recherchent qu’un retour le plus fructueux possible sur leur investissement.»
Autrement dit: indépendamment de l’inflation ou de l’acquisition de matériel plus pointu, et même si les principaux intéressés démentent, c’est le champ libre à l’augmentation des coûts à charge des propriétaires de l’animal traité. Pour lequel les examens médicaux seraient multipliés, et pas forcément que dans le seul objectif de santé.
(1) Réalisée en avril, auprès de 1.000 Belges, elle conclut que 58% des répondants possèdent un ou plusieurs animaux de compagnie. C’est 1% de moins qu’en 2023 mais 6% de plus qu’en 2021. Les propriétaires sont principalement des personnes de moins de 54 ans et des francophones. En moyenne, les personnes interrogées ont trois animaux par ménage; les chats (32%) et les chiens (31%) restent de loin les plus populaires, les poissons de bassin, les rongeurs et les lapins ayant moins la cote qu’en 2023.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici