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Voiture: comment la Belgique va basculer en mode tout électrique

La voiture est un maillon essentiel de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Les Belges restent toutefois méfiants et ne semblent pas prêts pour un tel chamboulement.

Selon l’Agence européenne pour l’environnement, la voiture génère 60,6% des émissions de CO2 de l’ensemble du secteur des transports. La Commission européenne a donc pris une mesure phare pour la transition énergétique, approuvée par un vote final du Parlement en février dernier: interdire les utilitaires légers et voitures thermiques à partir de 2035. A deux exceptions près: les véhicules roulant aux carburants de synthèse climatiquement neutres (les e-fuels) et ceux fabriqués à moins de mille exemplaires par an. La date n’a pas été choisie au hasard: elle se base sur la durée de vie moyenne d’une voiture, soit environ quinze ans. D’ici à 2050, les voitures thermiques devraient ainsi quasiment avoir disparu des routes européennes.

Passer à une voiture électrique ou hybride? Plus d’un tiers des Belges répondent «jamais».

Mais ce n’est pas la seule échéance à l’échelon de l’Union. Pour 2030, les constructeurs devront atteindre une baisse des émissions de CO2 de 55% pour les voitures et de 50% pour les camionnettes par rapport aux objectifs de 2021 (voir graphique ci-dessous). A noter que le taux des émissions est évalué sur la base de l’ensemble des véhicules vendus. Une plus grande part de voitures électriques donne ainsi davantage de latitude aux constructeurs.

En outre, les normes antipollution Euro 7 devraient entrer en vigueur fin 2025… si elles ne sont pas reportées ou abandonnées. Le ministre italien des Transports, Matteo Salvini, a affirmé avant l’été vouloir bloquer le vote du projet présenté en novembre par la Commission. Le secteur automobile est aussi vent debout contre le projet européen qui vise surtout à réduire les émissions de polluants, notamment les microparticules au freinage. L’Acea, l’association des constructeurs automobiles européens, a commandé une étude au cabinet Frontier Economics qui a évalué le surcoût à environ deux mille euros par voiture thermique, contre une estimation de 180 à 450 euros par la Commission.

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Luca de Meo, CEO de Renault Group et président de l’Acea, a évoqué des fermetures d’usines et a prévenu que les normes Euro 7 affecteront tout particulièrement le segment des petites citadines thermiques en raison d’un surcoût trop important. Une mise en garde qui ne semble pas anodine, la fin de la Renault Twingo, de la Ford Fiesta ou de la Skoda Fabia ayant été récemment annoncée. Benedetto Vigna, directeur général de Ferrari, craint pour sa part une dispersion, comme nombre de ses confrères: «Notre objectif est de produire des Ferrari électriques uniques et nous pensons qu’il est essentiel de nous concentrer sur cela. Si nous continuons à courir après l’Euro 7 tel que prévu, nous détournerons l’attention de notre entreprise et de nos fournisseurs.»

La mise en place de zones de basses émissions est un accélérateur pour le passage à l'électrique.
La mise en place de zones de basses émissions est un accélérateur pour le passage à l’électrique. © belgaimage

Même si elles sont encore en discussion, les normes Euro 7 ont déjà un impact concret sur les motorisations: de plus en plus de constructeurs se tournent vers l’hybride et renoncent au diesel (davantage ciblé par le projet de normes). Le carburant au cœur du scandale des moteurs truqués en 2015 est aussi ciblé par des réglementations plus locales. Bruxelles prévoit, par exemple, d’interdire sur ses routes les véhicules diesel dès 2030 – cinq ans avant l’essence, le LPG, le CNG et les hybrides – puisque les moteurs au gazole émettent davantage de particules fines et d’oxydes d’azote, nocifs pour notre santé (mais pas pour le climat). A Anvers et Gand, la zone de basses émissions sera interdite aux véhicules diesel dès 2031 (et 2035 pour l’essence). La Wallonie garde pour sa part le cap d’interdiction progressive des véhicules thermiques les plus anciens, sans bannir un type de motorisation, du moins jusqu’à présent.

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Décalage entre professionnels et particuliers

Sommes-nous prêts à de tels chamboulements? Non, si l’on observe les ventes de voitures ces dernières années, encore très largement thermiques. En 2020, l’essence et le diesel représentaient toujours quasiment 85% des immatriculations belges. L’électrification, certes, s’est depuis nettement accélérée, comme l’indique notre graphique. Mais la tendance est tardive au regard des échéances prévues. D’autant plus que les particuliers restent attachés au thermique, comme le constate la Febiac, la Fédération belge et luxembourgeoise de l’automobile et du cycle: «Le marché des clients particuliers reste très majoritairement articulé autour de la motorisation essence, qui concentre à elle seule près de 70% des parts de marché», au deuxième trimestre 2023.

La 200 000e immatriculation de voiture électrique est attendue pour la fin d’année en Belgique.

Au cours de la même période, «l’ensemble des motorisations électrifiées représente 53,5% du marché professionnel». Dans le détail, plus de neuf voitures rechargeables (100% électrique et hybride rechargeable) sur dix ont été achetées par un indépendant ou une société au deuxième trimestre en Belgique. Les particuliers sont par contre majoritaires dans les achats de voitures hybrides auto- rechargeables, disposant de plus petites batteries qui se rechargent grâce au freinage régénératif.

Comment expliquer de tels écarts? La première raison tient à la fiscalité des voitures de société. La déductibilité des frais et le montant de l’avantage fiscal imposable (pour le bénéficiaire de la voiture de société) dépendent des émissions de CO2. Une tendance qui, d’ailleurs, se renforcera encore. La fiscalité des voitures de société a en effet été réformée pour les véhicules commandés depuis le 1er juillet 2023.

Le premier volet concerne la cotisation de solidarité, ou taxe CO2. Le secrétariat social Securex prend l’exemple d’une voiture de société de type Audi A4 diesel (96 kW, 151 g CO2/km) mise à la disposition d’un salarié. Si le véhicule a été commandé après le 30 juin, la taxe CO2 passe de 95,16 à 214,11 euros par mois et continuera d’augmenter à 428,22 euros en 2026. Un coût annuel de plus de cinq mille euros qui a de quoi décourager plus d’un employeur ou d’un gestionnaire de flotte. D’autant plus que la déductibilité des frais des voitures de société émettant du CO2 (y compris les hybrides) sera aussi progressivement réduite pour les véhicules commandés après le 1er juillet 2023: 75% en 2025, 50% en 2026, 25% en 2027, 0% à partir de 2028.

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A noter qu’une deuxième phase de la réforme est prévue à partir du 1er janvier 2026. Les voitures émettant du CO2 ne seront alors plus déductibles du tout et le taux de déduction des voitures électriques sera progressivement réduit de 100% à 67,5% en 2031.

La Wallonie à la traîne

Seconde explication au décalage entre particuliers et professionnels en matière d’électrification, les freins à l’achat demeurent nombreux. Selon une enquête commandée par BNP Paribas Fortis, le prix demeure le critère le plus limitant devant l’autonomie et les éléments relatifs à la recharge (voir ci-contre). Plus d’un tiers des Belges interrogés indiquent par ailleurs ne jamais vouloir passer à une voiture électrique ou hybride, une hostilité particulièrement vive chez les plus de 55 ans (42%). Cette méfiance transparaît aussi dans les principaux motifs de passer à une voiture verte: obligation légale (53%) et fiscalité (36%).

Le verdissement des voitures de société doit notamment contribuer à rendre la voiture électrique plus abordable en développant le marché de l’occasion, privilégié par les particuliers. Ces derniers possèdent en effet 77% du parc automobile belge, mais ne représentent qu’un tiers des achats de voitures neuves, selon la Febiac.

Les autorités soutiennent également le développement du réseau de bornes de recharge, notamment fiscalement (lire l’encadré ci-contre). Selon EV Belgium, la fédération des entreprises actives dans la transition vers une mobilité zéro émission, il existe aujourd’hui environ 36 000 points de recharge (semi-)publics en Belgique. Suivant l’évaluation de la Commission européenne d’un point de recharge pour dix véhicules, le réseau actuel suffit puisque la 200 000e immatriculation de voiture électrique est attendue pour la fin d’année en Belgique. Mais Romain Denayer, coordinateur chez EV Belgium, prévient qu’il «faudra deux cents mille points de recharge accessibles au public dans tout le pays» d’ici à 2030, quand le parc électrique devrait atteindre deux millions d’exemplaires.

La Wallonie compte aujourd'hui cinq mille bornes contre 28 000 en Flandre et trois mille à Bruxelles.
La Wallonie compte aujourd’hui cinq mille bornes contre 28 000 en Flandre et trois mille à Bruxelles. © belgaimage

La Wallonie, qui compte cinq mille bornes contre 28 000 en Flandre et trois mille à Bruxelles, est particulièrement à la traîne puisqu’elle devrait atteindre septante mille points de recharge. La Région a ainsi annoncé l’an dernier vouloir ouvrir six mille bornes au public, en partenariat avec les pouvoirs locaux, la Sofico et les gestionnaires privés de sites accessibles, et a récemment créé une cellule de coordination wallonne, impliquant notamment les gestionnaires de réseaux électriques. On est encore loin du compte.

Dans le dédale des avantages fiscaux

Les voitures électriques bénéficient globalement d’une fiscalité plus avantageuse, mais à des degrés divers en fonction de la Région. En Flandre, l’automobiliste peut bénéficier de l’exonération de la taxe annuelle de circulation (TAC) et de la taxe de mise en circulation (TMC). A Bruxelles, il ne paie que le tarif minimal: 61,50 euros pour la TMC et 97,68 euros pour la TAC. Idem en Wallonie, jusqu’à présent. Un nouveau décret adopté début septembre introduit en effet un critère de masse pour la TMC à partir du 1er juillet 2025. Ce qui rendra la taxe beaucoup plus chère pour nombre de véhicules électriques: par exemple 1 404,50 euros au lieu de 61,50 euros pour une Tesla Model Y!

Les particuliers qui installent une borne de recharge domestique en 2023 profitent, eux, d’une réduction d’impôts de 30% en 2023, taux qui passera à 15% pour la période résiduelle de janvier à août 2024. Pour en bénéficier, la borne doit être installée dans le domicile ou à proximité immédiate, être équipée d’un système de contrôle intelligent (temps et capacité de charge), être alimentée en électricité verte et être approuvée par un organisme de contrôle agréé. Le montant déductible de base est plafonné à 1 750 euros par an ou huit mille euros dans le cas d’une borne bidirectionnelle (la batterie pouvant alors réinjecter sur le réseau l’électricité stockée dans la batterie du véhicule). La recharge à domicile ne fait pas l’objet, elle, de mesures fiscales spécifiques pour les particuliers, mais il faut noter que certains fournisseurs d’énergie proposent des contrats avec des conditions et avantages spécifiques pour les propriétaires de véhicules électriques. Les professionnels peuvent déduire les frais d’installation d’une borne à concurrence de 150% jusque fin 2024.

Bon à savoir: certaines autorités locales, villes et communes offrent des subventions aux particuliers qui achètent ou louent une voiture 100% électrique.

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