Tout comprendre sur le plan Good Move: pourquoi il déchire Bruxelles
C’est aux 19 communes bruxelloises qu’il revient d’appliquer l’axe crucial du plan régional Good Move: les nouveaux schémas de circulation dans les cinquante mailles à apaiser. Un sacré casse-tête où se heurtent bien commun, intérêts individuels et visions à court et à long terme.
Le mille-feuille bruxellois est souvent savoureux, mais parfois difficile à digérer. Les soubresauts qui agitent les premières mises en œuvre des nouveaux schémas de circulation du plan Good Move montrent qu’il n’est pas toujours simple de gérer un territoire où échelons régional et communal se superposent. «A Bruxelles, il existe des voiries régionales, d’autres communales et certaines rues qui se situent à moitié dans une commune et à moitié dans une autre, il y a donc beaucoup de gens à rassembler autour de la table pour décider, indique Julie Bérard, cheffe de projet spécialisée en mobilité pour le bureau de conseil et d’accompagnement à la transition 21 Solutions, membre du consortium qui a élaboré Good Move depuis 2016 et qui est également chargé de tisser le lien entre citoyens et sphère politique dans l’application du plan. Améliorer la mobilité à Bruxelles, c’est un grand puzzle, dont on place les pièces petit à petit.»
Améliorer la mobilité à Bruxelles, c’est un grand puzzle, dont on place les pièces petit à petit.
Les pièces de ce puzzle, dans le cadre de l’axe très visible et très médiatisé des nouveaux plans de circulation, ce sont les «mailles apaisées»: des quartiers «où les fonctions de séjour prennent le pas sur les fonctions de déplacement, qui doivent se limiter aux accès locaux, comme le précise le plan. Le trafic motorisé à destination y est assuré, mais nécessite dans certains cas quelques détours pour favoriser les déplacements à pied ou à vélo. Le trafic automobile de transit y est en revanche fortement découragé.» L’ambition de Good Move est d’y réduire les nuisances sonores et la pollution de l’air responsable de maladies pulmonaires et cardiovasculaires, d’y améliorer la sécurité des piétons et cyclistes, mais aussi la qualité des espaces publics. Avec, en ligne de mire, «une réduction globale du trafic automobile à l’échelle régionale», qui colle avec la nécessité de diminuer les émissions des gaz à effet de serre (de 35% d’ici à huit ans par rapport à 2005) pour lutter contre le changement climatique.
Difficile mise en œuvre pour Good Move
Le découpage des mailles a été défini sur la base de la hiérarchisation des voiries, et non en fonction de la cartographie des communes. Ce qui explique que certaines d’entre elles sont concernées par plusieurs mailles et, plus compliqué, que certaines mailles s’étendent sur plusieurs communes. Objectif final de Good Move: activer cinquante mailles d’ici à 2030. Mais ce sont les communes qui ont ici la main. Elles doivent se porter candidates pour réaliser un plan de mobilité communal, raccord avec les objectifs de Good Move, sur le territoire choisi, en bénéficiant en retour d’un accompagnement technique et méthodologique, de moyens humains et financiers.
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Jusqu’à présent, à la suite d’un appel à projets lancé en 2019, onze quartiers apaisés ont été enclenchés. Certains sont déjà passés à la phase de mise en œuvre, non sans douleur. Comme dans le quartier de Cureghem à Anderlecht et place Eugène Verboekhoven (ou Cage aux Ours) à Schaerbeek, où les nouveaux schémas de circulation, entrés en vigueur en juillet dernier pour l’un, fin octobre pour l’autre, ont suscité critiques et violences de la part de riverains, au point d’être gelés, chacun, pour «repartir d’une page blanche», comme a résumé le bourgmestre anderlechtois Fabrice Cumps (PS).
Car s’il existe un consensus général autour des ambitions d’améliorer la santé, le bien-être et l’environnement, tout le monde ne voit pas forcément d’un bon œil sa rue devenir à sens unique ou son itinéraire habituel modifié. Les avantages à long terme se cognent ici aux contraintes directes, avec, à la clé, une colère d’une partie des habitants et usagers, que certains représentants politiques se sont empressés de relayer – les élections communales ont lieu dans deux ans à peine. Pourtant, les plans appliqués ont été approuvés par les collèges communaux et les habitants sont censés avoir été consultés puisque les plans prévoient une dimension participative (consultation et information, sans aller jusqu’à la coconstruction). A Cureghem et Cage aux Ours, celle-ci a été jugée insuffisante a posteriori.
Selon Julie Bérard, qui a accompagné le quartier apaisé de Cureghem, il y a eu un problème de timing, puisque la phase de participation a concordé avec les confinements Covid. «Des subsides étaient prévus pour que des associations locales mettent en place des opérations d’information dans l’espace public, mais elles n’étaient pas prêtes alors que la date de mise en œuvre du plan avait été fixée une fois pour toutes par l’échelon politique local, avance pour sa part Bruno van Loveren, du Service études de mobilité et partenariat avec les communes de Bruxelles Mobilité. Je ne dis pas que tout se serait mieux passé si ça avait été fait, mais l’action ne devait pas se résumer à des blocs de béton installés pour bloquer les rues.» Pour Bruno van Loveren, le problème de Cureghem dépasse d’ailleurs la question de l’agenda serré: «C’est un quartier où l’on constate depuis un moment un désinvestissement de l’ensemble des politiques publiques. Nous nous sommes retrouvés à gérer des questions de sécurité, de trafic de drogue. Les associations locales ne voulaient même pas se rendre à certains endroits.»
Au courant ou pas?
Dans le centre, le nouveau plan de circulation du Pentagone a démarré le 16 août dernier. Jusqu’ici, la Ville n’a pas fait marche arrière, malgré la motion déposée en octobre par le MR, demandant de geler le plan. La phase 1 de diagnostic, lancée en février 2020, a été perturbée par le Covid, mais Bruxelles-Ville n’a pas lésiné sur les moyens pour tenter de toucher un maximum d’utilisateurs différents. «Nous avons organisé des réunions Zoom et des rencontres sur le terrain, relève Bart Dhondt (Groen), échevin de la mobilité et des travaux publics. Nous avons créé une plateforme en ligne dont on a fait la promotion sur les réseaux sociaux, des affiches et des flyers pour encourager les utilisateurs à partager leur expérience sur la mobilité. Nous avons eu un retour de presque mille personnes.
On savait depuis le début que certains se réveilleraient en cours de processus pour dire qu’ils ne sont pas d’accord.
En février 2022, nous avons également lancé une campagne d’information massive, avec 64 réunions bilatérales, cinq réunions de quartier, des distributions de tracts sur les marchés. Nous avons mené trois mois de campagne de communication sur les réseaux sociaux et, un mois avant la mise en œuvre, nous avons placé des panneaux orange informant des changements… Très peu de gens ont pu dire qu’ils n’étaient pas au courant. Mais on savait depuis le début que toucher tout le monde était impossible et que certains se réveilleraient en cours de processus pour dire qu’ils ne sont pas d’accord. Nous devons donc rester à l’écoute, pour analyser les problèmes et chercher des solutions. Par exemple, ajouter une zone de livraison, ou déplacer un poteau. Nous évaluerons la situation globale en 2023, pour savoir si nous avons atteints nos objectifs et pour examiner les éventuels effets pervers.»
«Il faut aussi laisser la participation à sa juste échelle, enchaîne Bruno van Loveren. Si, au stade du diagnostic, on lance une invitation pour une réunion publique, ou cinq réunions, ou vingt, on aura quinze, vingt, peut-être trente personnes, mais jamais les 10 000 habitants du quartier. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire pour comprendre le fonctionnement d’une maille. J’ai quand même l’impression que la participation sert d’alibi: on pourra toujours dire qu’il n’y en a pas eu assez, et il y aura de toute façon des résistances. A Gand, quand ils ont piétonnisé le centre-ville en 1996, il y a aussi eu des menaces. Certains ont même reçu des balles dans des enveloppes. Mais ils ont tenu bon.»
Phasage
Comment s’y prendre pour passer de l’intention à l’action sans causer la colère des utilisateurs de quatre-roues? Dans d’autres communes, on a choisi une approche par étapes. Ce phasage peut être temporel, comme à Ixelles. «Pour la maille Flagey-Etangs, la commune a décidé de découper le plan en quatre phases, qui correspondent à quatre niveaux d’ambition, souligne Bruno van Loveren. Pour l’instant, seule la première a été appliquée.» C’était le 23 octobre dernier.
Mais le phasage peut aussi être spatial, comme à Schaerbeek, où la maille Colignon-Josaphat a été divisée en sous-mailles, concrétisées l’une après l’autre. «Nous avons une des plus grandes superficies parmi les mailles définies par Good Move, précise Adelheid Byttebier (Groen), échevine schaerbeekoise en charge de la mobilité. La maille Colignon-Josaphat représente deux tiers de la surface de notre commune. C’est tellement grand que nous avons décidé de diviser l’exécution en trois phases.»
La sous-maille Azalées a été établie progressivement à l’hiver et au printemps 2022. Celle du quartier Royale-Sainte-Marie a été mise en œuvre le 26 août dernier. Et le 24 octobre, c’était le tour du quartier de la Cage aux Ours, où les deux journées de contestations ont abouti au gel de la sous-maille jusqu’en mars 2023. «Il faut condamner l’utilisation de la violence et les intimidations, commente Adelheid Byttebier. Pour la Cage aux Ours, il y a pourtant eu encore plus de concertation et d’information que dans les deux autres quartiers. Mais je pense qu’on a souffert ici d’un effet de désinformation, de discours pollué, que nous n’avons pas connu pour les deux premières sous-mailles. Il faudra de la patience. Je veux garder espoir. Un accord existe sur le fait qu’il y a trop de trafic automobile et trop de pollution de l’air dans ce quartier. C’est un point de départ pour les discussions qui auront lieu au cours des prochains mois.»
Comme ce le sera dans chaque commune pour chaque quartier censé devenir «apaisé» d’ici à 2030.
Ce qu’ils en disent
Mehdi, 29 ans
«Le plan Good Move est un bon embryon de solution, mais ce n’est pas la panacée. Il faudrait une situation hybride, où les voitures thermiques et électriques puissent coexister. Malgré tout, je suis très heureux de voir se multiplier les voiries exclusivement destinées aux deux roues: cela augmente le sentiment de sécurité des usagers faibles autant que la sécurité routière globale.»
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