Plan Good Move à Bruxelles : « C’est la brusquerie des mesures qui soulève des réactions »
Les premières tentatives de mise en place du plan Good Move suscitent à la fois vivats et réactions violentes à Bruxelles. De quoi creuser davantage les fractures sociétales? Cela ne les apaisera pas, estime le sociologue Pierre Lannoy.
Pierre Lannoy est chargé de cours en sociologie à l’ULB. Ses travaux de recherche portent principalement sur les questions de transports et de mobilité en ville. Alors que les essais de mise en place des premières mailles du plan Good Move se passent dans la douleur, il analyse les causes et conséquences de ces crispations.
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Assiste-t-on à un clivage idéologique (pro, contre, antivoiture), politique (MR versus Ecolo) et socioculturel (classes aisées/classes populaires)?
La place de la voiture en ville est un enjeu central. Le plan Good Move est explicitement contre l’auto. Il résulte d’un accord, d’une convergence des différents partis politiques sur l’idée de réduire sa place en ville. Au-delà d’une unanimité de façade sur les objectifs, il y a énormément de divisions, notamment sur les modalités – quel type de mesures adopte-t-on? – et sur les calendriers. Ces divisions ne peuvent pas se résumer à une polarisation MR/Ecolo ni pro ou antivoiture. Elles touchent des choses plus fondamentales. Parce que la mobilité structure la vie en ville et fait partie de la logistique quotidienne de l’ensemble de ses habitants et de tous ceux qui y travaillent, des services qui s’y développent. Toucher aux modalités de l’organisation de la mobilité, que ce soit dans un sens ou dans un autre, c’est nécessairement toucher au quotidien des gens. Et quand on opte sociétalement pour un mode de transport particulier, fatalement, on va dans le sens de ceux dont le mode est favorisé et contre ceux qui sont organisés autour d’autres modes de transport. C’est aussi une question de manière d’amener les mesures, et surtout du type de mesures que cela implique: plus elles sont radicales, plus les réactions sont fortes. C’est logique.
C’est le caractère brusque et définitif des mesures qui soulève des réactions.
Les blocs de béton mis en place dans le quartier de Cureghem, à Anderlecht, ont suscité de très vives réactions de la population …
Le principe des mailles dans le plan Good Move consiste à fermer un certain nombre de rues, notamment à l’aide de blocs de béton. Après s’être réveillé deux jours d’affilée avec sa rue barrée de la sorte, je ne suis pas convaincu qu’on devienne cycliste le troisième jour. C’est une mesure aussi radicale que celle prise, il y a plus d’un demi-siècle, de raser des quartiers entiers pour faire passer une autoroute. C’est le caractère brusque et définitif des mesures qui soulève des réactions de la population. Son mécontentement ne diminuera pas rapidement.
Les clivages générationnel et socioculturel, entre milieux populaires et bourgeois bohèmes, ne risquent-ils pas de s’accentuer?
Ca ne les apaisera pas. Il y a toujours eu des «conflits» sur la route. Depuis le début du XXe siècle, les ingénieurs du trafic recourent à ce terme parce que les différents modes de transport ont des usages conflictuels, car utilisant différemment l’espace. Il faut trouver des modalités d’arrangement. Quand on désigne de bonnes manières de faire, on désigne dans le même temps des mauvaises manières de faire. La personne qui est visée par cette dernière catégorie ne le vit pas bien et réagit négativement. Cela amène une couche supplémentaire à une polarisation déjà existante.
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