
L’Arizona menace 20 gares SNCB, les bourgmestres ruraux «feront tout» pour les conserver (carte interactive)

Dans le viseur du Conseil d’Administration de la SNCB depuis 2023, une vingtaine de petites gares pourraient disparaître d’ici 2026, sacrifiées par le gouvernement fédéral. C’est en tout cas ce qu’avance le ministre Jean-Luc Crucke (Les Engagés) qui assure qu’il n’y a «pas de tabou».
«Ce train fera arrêt à Erquelinnes-Village, Labuissière, Hourpes, Marchienne-Zone»: cette phrase ne sera peut-être plus jamais entendue à partir de 2026 dans les wagons de la SNCB. Ainsi pourrait en décider l’Arizona. Même si l’idée ne vient pas d’elle: en 2023, le conseil d’administration de la SNCB avait ciblé une vingtaine de gares peu fréquentées, mais le ministre de la Mobilité de l’époque, l’écologiste Georges Gilkinet, n’avait pas voulu embrayer.
L’Arizona pourrait, elle, prendre le train en marche. Le nouveau gouvernement fédéral a remis sur la table la liste en question. Une étude sera commandée par le nouveau ministre en charge, Jean-Luc Crucke (Les Engagés), et s’il en ressort que ces gares sont trop coûteuses et peu utilisées, leur suppression sera envisagée. C’était d’ailleurs l’objet du débat ce jeudi soir, à la Chambre, où le représentant de l’Arizona a essuyé les critiques.
Pour l’Arizona, la SNCB s’intègrera aux autres transports (flamands?)
La liste des gares ciblées en 2023 par la SNCB n’a pas été formellement confirmée par le ministre, mais il ne l’a pas infirmée non plus. «J’ai demandé des éléments concrets à la SNCB et à Infrabel» afin d’évaluer la pertinence de garder certaines gares ou non, détaille le Hainuyer, qui veut mettre l’accent «sur la concertation avec les autorités régionales et locales» afin d’opérer un switch «vers une vision qui n’est pas seulement du rail, mais du transport en commun», avec les bus donc. Rien n’indique, selon le porte-parole de Jean-Luc Crucke, que la liste sera identique à celle dressée en 2023.
D’autant plus que celle-ci, en l’état, démontre assez un déséquilibre assez flagrant. Sur la vingtaine de gares ciblées par la SNCB, seules quatre sont en Flandre, «alors que les trajets de bus sont beaucoup plus longs en Wallonie qu’en Flandre», a constaté le député François De Smet (DéFI). Le Hainaut et la province de Liège dénombrent 15 stations qui ne répondraient pas aux critères d’efficacité, le mantra de l’Arizona.
Dans les villages, des organisations ébranlées, élus Engagés et MR embêtés
Eric Thiébaut, député socialiste, est également bourgmestre de la petite commune d’Hensies, dans le Hainaut, et compte sur son territoire une gare potentiellement menacée de fermeture. L’établissement n’accueillait, en 2022, qu’une septantaine de navetteurs, ce qui représente tout de même plus de 7% de la population du village. Les navetteurs s’y rendent généralement à pied, et emprunter le bus pour rejoindre une gare plus grosse semble impensable. Mais l’accord de l’Arizona stipule pourtant que que les fermetures se concentreront sur «les gares à faible demande». L’offre, elle, restera pourtant sensiblement la même, s’inquiète le bourgmestre local, «puisque les trains vont continuer à passer, je ne vois donc pas l’intérêt d’une suppression, d’autant plus que la gare permet d’aller travailler à Saint-Ghislain, Mons ou Bruxelles». Jean-Luc Crucke et l’Arizona souhaitent, quant à eux, voir la SNCB accélérer la vitesse des trains.
La gare d’Erquelinnes-Village permet à toutes les couches de la population d’avoir accès au train.
Jonathan Delespinette
Bourgmestre (Les Engagés) d’Erquelinnes
Jean-Luc Crucke a pourtant promis de consulter les bourgmestres des gares en cas de suppression. Et Eric Thiébaut d’affirmer qu’une résistance coordonnée entre maïeurs pourrait se mettre en place, peu importe la couleur politique. A Fexhe-le-Haut-Clocher, commune MR, l’échevin de l’Urbanisme, Stéphan Janssen, voit d’un «très mauvais oeil» l’hypothèse d’une fermeture de la gare de Voroux qui se trouve sur la ligne Liège-Bruxelles, et qui est donc déterminante pour les navetteurs. «Je passe par là tous les matins, et je vois beaucoup de monde qui s’y rend à pied. Ce n’est pas comme si les gens y venaient en voiture et pouvaient rouler jusqu’à la gare suivante.» De plus, dans la commune, les bus du TEC ne desservent que les axes principaux, et est utilisé par des navetteurs qui n’ont pas le même profil que ceux qui prennent le train. «Le collège communal est unanime, complète le bourgmestre, lui aussi libéral, Henri Christophe qui a déjà saisi la SNCB et qui compte bien faire valoir ses arguments auprès du ministre. Le train a tout son charme et son utilité à Fexhe, on doit axer notre mobilité sur le train car c’est un moyen de transport d’avenir.»
Pareil pour le bourgmestre d’Erquelinnes, Jonathan Delespinette (Les Engagés), qui craint la fermeture de la gare d’Erquelinnes-village. «Elle est un peu plus excentrée que nos deux autres gares sur le territoire communal. Ce qui lui permet d’être facilement accessible en voiture, c’est aussi un point de chute. Cela permet à plusieurs couches de la population d’avoir accès au train.»
La SNCB sur les rails de la libéralisation ?
C’est que l’Arizona nourrit d’ambitieux objectifs pour la SNCB, qui commencera par une mise au régime qui devrait atteindre les 675 millions d’euros, «seulement» 3% d’efforts par rapport au budget actuel. Cela peut paraître peu, mais pour une entreprise qui prévoit une augmentation de 30% de voyageurs, une ponctualité supérieure à 90%, 50% de nouveaux trains et une réduction de 30% du nombre de trains supprimés. Ambitieux, comme le fait remarquer la députée fédérale Sarah Schlitz (Ecolo).
«Nos infrastructures ne sont pas prêtes pour celles que vous pensez, alerte également la député PTB Farah Jacquet, qui a oeuvré pendant 17 ans comme accompagnatrice de train. Ce sont les petites lignes qui alimentent les grosses. En fermant ce qui n’est pas rentable, vous ouvrez la voie à la libéralisation.»
Jean-Luc Crucke temporise, attend le rapport commandé à la SNCB et Infrabel et se refuse à avancer des critères de sélection pour le moment. Il promet cependant une accentuation des comités interministériels réunissant les ministres de la Mobilité du pays. Puis, au moment de choisir quelle gare fermer, il sifflera trois fois.
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