
La catastrophe évitée au carrefour Léonard… mais pas dans les communes avoisinantes: «Ça commence à être très lourd»
Contrairement au chaos annoncé, la nouvelle phase de travaux au carrefour Léonard n’a pas engendré d’embouteillages monstres. Les automobilistes, réticents aux transports en commun, semblent privilégier des itinéraires alternatifs dans les communes avoisinantes, où la lassitude s’installe.
Le chantier de la discorde. Depuis de longs mois, le carrefour Léonard, centre névralgique du trafic autoroutier belge, est le théâtre d’importants travaux de réhabilitation menés par la Flandre. Les files interminables qui s’y forment aux heures de pointe suscitent l’aigreur des automobilistes –principalement wallons–, donnant à la pagaille routière des allures de conflit politico-institutionnel.
La nouvelle phase des travaux initiée début mars faisait donc craindre le pire. A en croire les prévisions, la réduction de l’E411 à une seule bande en direction de Bruxelles devait ainsi causer de sérieux embarras de circulation, notamment après les vacances de carnaval. Mais le chaos annoncé n’a pas eu lieu. Certes, le carrefour reste un passage compliqué, «mais ce n’est pas catastrophique», confie un navetteur habitué des lieux. Avec des ralentissements de l’ordre d’une vingtaine de minutes en heure de pointe, la situation reste globalement sous contrôle.
Où sont donc passés les automobilistes? Les plus chanceux, lassés des perturbations quotidiennes, ont préféré rester chez eux. Grâce au télétravail, certains ont également modulé leurs heures de départ vers le bureau pour échapper aux bouchons. Les autres ont été forcés de s’adapter.
Composer avec les grèves
Contrairement aux précédentes phases de rénovation, les autorités compétentes ont cette fois misé sur l’anticipation et la coordination. A l’initiative du ministre wallon de la Mobilité, François Desquesnes (Les Engagés), une task force a été mise en place par le SPW Mobilité et Infrastructures pour proposer une stratégie globale de mobilité alternative. «Le bilan est positif, se réjouit Serge Toussaint, porte-parole du SPW MI. Au vu des files relativement limitées, on imagine que les navetteurs ont suivi nos instructions.» Oui… mais pas toutes.
Parmi les conseils prodigués par la task force figurait logiquement le recours aux transports en commun. La SNCB et le TEC ont d’ailleurs renforcé leurs capacités en prévision du chantier. Sur le rail, les trains S8 entre Louvain-la-Neuve et Bruxelles ont été dotés de 560 places assises supplémentaires. Depuis le 3 mars, le parking de la gare néo-louvaniste est également accessible à un tarif très avantageux de 1 euro la journée. Mais le succès ne semble pas encore au rendez-vous. «Pour le moment, on observe une fréquentation relativement stable sur ces lignes, sans suroccupation, confirme Vincent Bayer, porte-parole de la SNCB. Le parking de Louvain-la-Neuve est un peu plus fréquenté que d’habitude, mais il reste encore de nombreuses places disponibles.»
L’entreprise, qui souhaite attendre quelques semaines avant de dresser un bilan plus complet de l’opération, risque toutefois d’être pénalisée par les grèves à répétition sur le réseau ferroviaire. Une nouvelle action d’une semaine débute d’ailleurs dimanche soir. Difficile de rendre le train attractif dans de telles conditions. «C’est sûr que ça n’aide pas, concède le porte-parole de la SNCB. On ne peut que déplorer ces arrêts de travail puisque ce sont les navetteurs qui en paient directement les conséquences.» Les travaux prévus sur la ligne 161 entre Bruxelles et Ottigines du 26 avril au 4 mai constitueront un obstacle supplémentaire au switch vers le rail.
Les déviations plébiscitées
Du côté du Tec, le «bilan est en cours». La société ne dispose pas encore de chiffres précis pour confirmer (ou infirmer) le succès du report modal. L’anticipation y a toutefois été moins rapide que sur le rail. Si le Tec promet neuf voyages supplémentaires sur la ligne E13 (entre la gare de Wavre et Hermann-Debroux), ce renforcement ne sera effectif… qu’à partir du 1er mai (au plus tard).
Bref, les automobilistes ne semblent pas encore pulluler dans les bus et les trains. Si certains ont opté pour le covoiturage (option également encouragée par la task force), il semble que de nombreux «autosolistes» aient privilégié les itinéraires alternatifs. Sur son site internet, le SPW propose en effet des déviations «pour les usagers qui doivent impérativement utiliser leur véhicule afin de se rendre vers la capitale». Ces itinéraires ont été sélectionnés pour «privilégier les axes dont la capacité est la plus adaptée pour absorber un trafic supplémentaire», sans engorger «aléatoirement» le réseau secondaire, précise la page. Les nationales N5, N25, N29, N80, N91, N93 et le Ring R24 sont ainsi préconisés.
Une double peine
Un conseil qui semble porter ses fruits… au grand dam des communes traversées par ces axes alternatifs. Au très prisé carrefour d’Hamme-Mille (Beauvechain), qui fait le croisement entre la N91 et la E40, la «fréquentation a doublé» à la sortie des bureaux. «La circulation était déjà plus dense depuis quelques mois, mais depuis début mars, c’est encore plus marqué», observe Valentin De Vos, échevin de la Mobilité de la commune brabançonne. Une densification qui inquiète l’élu local, alors que le carrefour doit justement faire l’objet d’importants travaux dans six mois. «On remplace les feux tricolores par un rond-point pour fluidifier le trafic, donc tout va être bloqué, précise l’échevin. Ça risquait déjà d’être compliqué rien qu’avec la circulation habituelle, mais avec le transit depuis le carrefour Léonard, les perturbations vont encore être plus sérieuses.»
Une double peine qui touche également la commune de Waterloo, dont les habitants subissent les conséquences de la pagaille à Léonard depuis bientôt deux ans. «Ça commence à être très lourd, concède la bourgmestre Florence Reuter (MR). D’autant qu’en février, nous avons débuté la réhabilitation de la chaussée de Bruxelles en collaboration avec la Région wallonne. Cette multiplication de chantiers est pesante, mais nous ne pouvons pas reporter sans cesse nos propres travaux sous prétexte que la Flandre veuille mener à bien les siens.» Alors que, hors travaux, 50% de la circulation à Waterloo est déjà liée au transit autoroutier, la bourgmestre libérale confie plancher sur des solutions pour dissuader les automobilistes extérieurs de traverser sa commune. «Nos axes sont déjà tellement saturés qu’ils ne peuvent pas représenter une solution durable à l’engorgement d’autres tronçons.»
Vers des travaux 24 heures sur 24?
Même son de cloche à Woluwe-Saint-Pierre, dont les quartiers résidentiels foisonnent de navetteurs en quête d’alternatives. «Sur les petites routes du Chant d’Oiseau, il y a parfois plus de 1.500 véhicules qui défilent quotidiennement, s’indigne l’échevin de la Mobilité Georges Dallemagne (Les Engagés). Or, ces voiries ne sont absolument pas conçues pour autant de transit. Les voitures peuvent à peine s’y croiser, ce qui crée énormément de nuisances… et de mauvaise humeur.» Des désagréments un peu moins nombreux à Auderghem, depuis que la commune a contacté l’assistance de navigation Waze pour lui rappeler les règles de circulation locale. L’échevine locale de la Mobilité, Martine Maaeschalck (MR), n’observe d’ailleurs pas de nuisances supplémentaires depuis début mars. Un succès qu’elle attribue à l’anticipation et la bonne coordination qui ont entouré cette nouvelle phase de travaux. «Il y a peut-être eu une prise de conscience au niveau de la Flandre, ose l’élue. En tout cas, tous les acteurs impliqués autour de la table ont compris qu’il était fondamental de coopérer et de travailler en bonne intelligence. Cela nous a permis de communiquer rapidement à nos habitants, qui ont pu se retourner plus facilement que par le passé.»
Mais globalement, c’est surtout la durée du chantier qui fatigue les Bruxellois. «Ce n’est pas normal que ces travaux s’éternisent pendant des mois, voire des années, peste Georges Dallemagne. Il y a vraiment une lassitude et un ras-le-bol généralisés au sein de la population.» L’échevin plaide dès lors pour une augmentation des sanctions financières en cas de retard, et pour une accélération générale du chantier, parfois «curieusement désert». «Les travaux devraient s’y tenir 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, estime l’ex-député fédéral. Il n’y a aucune habitation aux alentours qui empêcherait d’appliquer ce rythme.» Un constat partagé par l’échevine de la Mobilité d’Auderghem. «Mais les travaux de nuit, ça a un coût financier et logistique…».
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