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A Copenhague, l'utilisation du vélo a dépassé celle de la voiture depuis 2016 déjà. A Bruxelles, on n'y est pas encore... © GETTY IMAGES

Dans les villes, vers le KO debout de l’auto

Estelle Spoto Journaliste

Avec le plan Good Move, Bruxelles prend le train des grandes villes européennes qui souhaitent inverser la primauté de la voiture sur les autres moyens de transport. Elle imite aussi Gand, pionnière en la matière.

Il y a eu la LEZ, zone à basse émission, instaurée sur tout le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale le 1er janvier 2018, avec un calendrier restreignant chaque année davantage la présence des véhicules les plus polluants, en fonction de leur norme Euro – pour les voitures roulant au diesel, à l’essence, au LPG, au gaz naturel, mais aussi les hybrides. C’était déjà le cas à Anvers depuis début 2017 et les interdictions sont effectives à Gand depuis 2020. En Wallonie, les premières restrictions portant sur l’ensemble de la Région sont prévues pour 2023, sans que des zones à l’échelle d’une ville ou d’une commune n’aient pour l’instant été annoncées.

Il y a eu ensuite, le 1er janvier 2021, la limitation de la vitesse à 30 km/h comme norme dans l’ensemble de la Région bruxelloise. C’était avant Charleroi, où la mesure est entrée en vigueur dans l’intra-Ring en février 2021, mais après Namur, où le centre-ville est devenu «zone partagée» en mai 2020, avec une limitation à 20 km/h. A Liège, la limitation (à 30 km/h) est prévue pour 2025.

La voiture peut continuer à entrer dans la ville mais elle ne peut plus continuer à circuler complètement librement.

Puis il y eut la mise en place du plan Good Move dans le Pentagone bruxellois, le 16 août dernier. Un nouveau plan de circulation dans le centre-ville, suivi, dix jours plus tard, par la déclinaison, à Schaerbeek, de ce plan régional. En gestation depuis 2016 – l’année de la fameuse «crise des tunnels» – , Good Move «inverse les priorités» dans les différents modes de déplacement. «On ne condamne pas la voiture, on cherche à diminuer la place qui lui était accordée, à rééquilibrer les choses, nuance Xavier Tackoen, CEO du bureau de conseil privé Espaces-Mobilités, qui a piloté Good Move pendant trois ans pour la Région bruxelloise en tant que consultant. Ce rééquilibrage provoque des tensions, des frustrations pour ceux qui ont disposé pendant des décennies d’une place accordée exclusivement à son usage.»

Ne plus s’infiltrer partout

Xavier Tackoen fait les comptes: dans une rue lambda, deux mètres de chaque côté pour le stationnement des véhicules, plus six, sept ou parfois huit mètres pour les bandes de circulation, contre des trottoirs d’un mètre à un mètre et demi de large, «cela fait 70%, voire 80% de l’espace public destiné à la voiture. C’est trop! On va essayer de donner plus de place aux transports publics, pour éviter qu’ils ne soient englués dans le trafic, mais aussi aux déplacements à pied, à vélo, et tout simplement pour le vivre-en-ville: des terrasses pour l’Horeca, des espaces de jeu pour les enfants…»

Le pivot de Good Move, c’est la maîtrise des flux automobiles. «La voiture peut continuer à entrer dans la ville – personne ne remet cela en cause – mais elle ne peut plus continuer à circuler complètement librement, développe Xavier Tackoen. Parce que l’histoire a montré que la voiture est semblable à l’eau: elle s’infiltre partout. C’est la même chose pour le piéton, le cycliste, la trottinette électrique… L’ être humain va s’infiltrer partout et prendra toujours le chemin le plus court.»

Parmi les modèles ayant inspiré le Good Move bruxellois figure aussi la ville de Gand.
Parmi les modèles ayant inspiré le Good Move bruxellois figure aussi la ville de Gand. © BELGA IMAGE

Bruxelles rejoint ainsi une série de villes européennes qui entendent réduire les nuisances des voitures sur les plans de la santé et de l’environnement. Par exemple, Barcelone, pénalisée par une des plus mauvaises qualités de l’air en Europe, investira 38 millions d’euros pour transformer un tiers de sa surface en «superilles» («super-ilôts») de 400 m/400, dont l’intérieur sera préservé du trafic automobile. A la clé, la création de 33 hectares de zones piétonnes et de six hectares d’espaces verts, en visant 80% de déplacements à pied, à vélo ou en transports publics en 2024. A Helsinki, où la voiture ne représente que 22% de l’ensemble des déplacements, on ambitionne la création d’un réseau de 130 km d’autoroutes cyclables et la nouvelle ligne Jokeri de métro léger – 25 km – devrait être inaugurée en 2024. A Copenhague, où l’utilisation du vélo dépasse depuis 2016 celle de la voiture dans les déplacements au centre-ville, trente-et-une municipalités se sont unies à la Région capitale pour développer plus de 800 km d’autoroutes cyclables.

Forcer la transition

Parmi les modèles ayant inspiré le Good Move bruxellois figure aussi la ville de Gand. «Good Move est une copie conforme du Circulatieplan Gent, admet Xavier Tackoen. C’est la même approche, structurée autour de quartiers protégés. Gand constitue vraiment un exemple, avec une stratégie qui a été lancée dès 1997.» Pas un hasard si Urbike, coopérative bruxelloise de transport en vélocargo électrique, s’y est implantée début 2022. «La Ville a développé une politique extrêmement volontariste pour encourager, et presque forcer, la transition, analyse Renaud Sarrazin, cofondateur d’Urbike. En particulier grâce à son schéma de circulation GentLevert: un découpage en mailles qu’on ne peut plus traverser quand on est motorisé, mais qui laisse passer les véhicules respectant les contraintes. La Ville a délivré des autorisations aux opérateurs qui ont prouvé leur utilisation de véhicules zéro émission, ceux qui ont fait le choix d’une transition vers du vélocargo ou des véhicules électriques. Elle les récompense ainsi pour leur contribution à la réduction de la pollution de la logistique urbaine.»

La Région wallonne a annoncé l’installation de 5 600 bornes de rechargement pour 2026.

A Bruxelles, le plan Good Move ne réserve pas de place privilégiée aux voitures électriques. «Parce qu’il y a, à Bruxelles, un enjeu spatial en matière de bornes de recharge des véhicules, précise Xavier Tackoen. On ne peut pas imaginer placer une borne devant chaque habitation, parce que ça empiète sur l’espace public. Il est important de nuancer la pertinence de la voiture électrique en fonction du type de territoire. En zone urbaine, il faut tirer parti de la voiture électrique comme vecteur de changement comportemental, et tendre vers des flottes partagées. En zones rurales et périurbaines, les véhicules électriques – voitures, camionnettes, camions, vélos – font partie de la solution parce que, dans ces territoires, il y a peu d’espoir d’améliorer la situation avec les transports publics. C’est pour cela qu’il faut y intensifier l’électrification.» A ce propos, le gouvernement wallon a annoncé l’installation de 5 600 bornes de rechargement pour 2026. Enfin une bonne nouvelle.

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