En vacances, le train offre des possibilités que ne permet pas l'avion, à condition d'avoir le temps. © belgaimage

Coût, infrastructures, correspondances… Pourquoi les vacances en train restent une galère

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Malgré l’engouement pour le «slow travel», le train peine à séduire les vacanciers à grande échelle. Plombé par le low cost et les limites du rail, pourra-t-il faire oublier la voiture ou l’avion ?

Le chemin compte-t-il vraiment plus que la destination, comme le prétend l’adage? Sans doute pas pour les vacanciers coincés dans les embouteillages des autoroutes du Sud. Ni pour les passagers à la nuque endolorie par un siège d’avion inconfortable et engagés dans un Tetris de sac et de jambes. Mais la flexibilité de la voiture et la rapidité de l’avion en font toujours les modes de transport privilégiés pour les vacances, comme le prouvent les enquêtes «voyages» de Statbel, l’office belge de statistique. En 2022, 60% de ces trajets s’effectuaient grâce à un mode de transport individuel (voiture, moto, mobilhome) et 28% en avion. Le train, le bus ou le bateau ne comptaient que pour 12% du total. Si l’on exclut les années 2020 et 2021, en raison de la crise sanitaire, ces proportions s’avèrent stables depuis 2016, année de la première enquête «voyages».

La part du train, soit 6,9% de la mobilité des voyageurs européens, est restée stable entre 1995 et 2018.

Plusieurs indices laissent néanmoins entrevoir un retour en grâce du train à l’international. La SNCB constate une augmentation de 26% du nombre de voyageurs internationaux pour les vacances d’été 2023, comparé à 2019. Une tendance due, notamment, à l’ajout de nouvelles destinations: il en existerait désormais 5 500, dans quatorze pays européens, dont plus de mille à moins de six heures de Bruxelles et avec maximum une correspondance. La société des chemins de fer belges ambitionne d’en ajouter 2 000 de plus au cours des cinq prochaines années. Autre signe: la reconquête des trains de nuit. Après une diminution de 65% des lignes entre 2001 et 2019, enclenchée dès les années 1980, plusieurs opérateurs les remettent sur les rails. «Depuis 2016, les Autrichiens d’ÖBB ont rebâti un réseau de trains de nuit viable sur le plan économique, commente Frédéric de Kemmeter, observateur ferroviaire indépendant et auteur du blog mediarail.be. Ça a servi de modèle à d’autres sociétés, d’autant que les Autrichiens le font avec du matériel relativement usagé.»

Logiquement, l’attention grandissante portée au réchauffement climatique incite un nombre croissant de voyageurs à privilégier le train. Sur cet aspect, il l’emporte en effet haut la main sur l’avion ou la voiture (même électrique). Selon les combustibles utilisés (pour le moteur ou la production d’électricité), la distance parcourue et le taux d’occupation, il émet cinq à vingt fois moins de gaz à effet de serre par kilomètre et par voyageur que ses deux concurrents. Au sein de l’UE, le train ne représenterait en outre que 0,4% des émissions dues au transport (de personnes et de marchandises), contre 13% pour l’aviation civile et 43% pour la voiture, d’après l’Agence européenne pour l’environnement.

Le coût, un obstacle de taille

Mollow, Hourrail, Chronotrains… Portées par la tendance du «slow travel», de plus en plus de plateformes (souvent françaises) recensent les itinéraires en train les plus intuitifs au départ et à destination de gares majeures. Cofondatrice de l’agence belge Railtrip.travel, Estelle Nicolay constate un intérêt croissant des voyageurs pour des itinéraires exclusivement centrés sur le rail, dont ils confient les réservations à des professionnels. «Le nombre de nos clients double chaque année, se réjouit-elle. Pas seulement parce que nous communiquons mieux. Il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore réserver une place dans un train de nuit quelques semaines à l’avance. Désormais, il faut le faire au moins trois mois avant, voire encore plus tôt durant les congés scolaires.»

Bien qu’il gagne du terrain, le «voyage lent» reste toutefois un marché de niche sur de moyennes ou longues distances. Le coût du train constitue un obstacle de taille, à moins de connaître les délais idéaux de réservation. D’après un rapport publié par Greenpeace en juillet dernier, le train serait en moyenne deux fois plus cher que l’avion à l’échelle européenne – et même 2,6 fois plus au départ de la Belgique – pour un même trajet. Alors que les compagnies ferroviaires paient des taxes sur l’électricité nécessaire aux trains, l’aviation bénéficie toujours d’une exemption sur le kérosène. D’après l’ONG Transport & Environment, les pays européens auraient ainsi fait une croix sur 34,2 milliards d’euros de recettes en 2022, soit de quoi financer 1 400 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse.

Le «slow travel» n’est du reste pas toujours adéquat pour des vacances d’une semaine maximum. La plupart des témoignages recueillis par Le Vif portent sur des expériences réussies de dix jours à trois semaines, de la part de familles qu’une correspondance ratée ou qu’un chaînon manquant au moment de la réservation ne dissuadent pas. «On ne voyage pas en train comme on le fait en avion, résume Estelle Nicolay. Il s’agit plutôt de se dire: je veux voyager en train, quelles possibilités m’offre-t-il?»

Faire sauter les barrières

Pour Olivier Piron, responsable des partenariats et du développement commercial international pour la SNCB, il n’est d’ailleurs pas sensé de comparer le train à l’avion. «On sait qu’au-delà d’un périmètre de mille kilomètres, la vitesse de l’avion est pénalisante pour le train si l’on ne prend en compte que le critère du temps de trajet. En outre, le train dépend totalement d’infrastructures exploitées par des gestionnaires indépendants. En Belgique, le contrat de performance 2023-2032 d’Infrabel ne fait état que de maintiens de lignes, et non d’extensions. Or, si l’on prend l’exemple des destinations vers le nord, l’axe Bruxelles-Anvers est déjà fortement congestionné. Sans un effort massif dans le développement du réseau, le train devra se limiter à l’environnement dans lequel il évolue. Il est beaucoup plus pertinent de le comparer à la voiture

« Aucun train n’a réussi à vider une autoroute ou un avion. Ce qui n’empêche pas d’élargir le champ des possibles. »

Même à moyen terme, il semble illusoire d’envisager que le train capte 20% ou 30% des voyages internationaux en Europe. «Aucun train n’a réussi à vider une autoroute ou un avion, résume Frédéric de Kemmeter. Ce qui n’empêche pas d’élargir le champ des possibles. European Sleeper (NDLR: une compagnie belgo-néerlandaise de trains de nuit lancée en 2021) prépare une liaison Bruxelles-Barcelone. En rejoignant Milan, Malmö ou encore Varsovie, vous avez respectivement accès à toute l’Italie, toute la Suède et aux pays baltes. Mais pour dépasser le carcan du slow travel, il faudrait que de nombreuses barrières sautent.» Si elles sont surmontables. «Les tensions électriques ne sont pas les mêmes entre les Etats, les hauteurs de proue non plus, les licences sont propres à chacun des pays, la largeur des rails est différente en Espagne, énumère Olivier Piron. De telles contraintes rendent les correspondances inévitables.»

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A boire et à manger

Pour relancer le rail, le réseau européen Back on Track avance plusieurs pistes, dont une obligation de service public minimal entre les pays ou la possibilité que l’Union européenne crée sa propre société de chemins de fer. «C’est méconnaître le rôle de l’Europe, qui n’a pas vocation à créer des entreprises», objecte Frédéric de Kemmeter. Autre possibilité, évoquée avec l’ONG Transport & Environment: appliquer une TVA de 0% sur les billets de train tout en diminuant le montant des péages dus par les opérateurs ferroviaires, afin de diminuer le prix des voyages de 20% en moyenne. Quant au nécessaire développement des infrastructures, c’est une mission encore plus complexe. «Ces investissements nécessitent une planification à plus de dix ans, conclut Olivier Piron. D’où les demandes d’associations de compagnies ferroviaires pour que l’Europe finance un réseau renforcé. Plus on parviendra à éloigner le rail de l’hypercentre de l’Europe de l’Ouest, plus le bénéfice sera grand pour nos clients. Mais nous sommes un opérateur ferroviaire: à chacun son rôle.»

Parmi les témoignages transmis au Vif, le voyage en train correspond rarement à la galère et au gouffre financier auxquels les adeptes de l’avion l’assimilent souvent. «Je n’ai payé que nonante euros par voyageur, tout frais et vélos compris, pour rallier Bâle à Bruxelles», souligne l’un. «Cet été, nous avons parcouru quatre mille kilomètres sans trop de problèmes, en prenant un total de 26 trains avec un Pass Interrail, ajoute un néophyte. Copenhague, Oslo, Bergen, Malmö, Berlin, le tout en 17 jours: vu le nombre de destinations, c’était bien moins cher que l’avion.» Mais toutes les expériences ne se valent pas. A l’image de ce voyageur contraint de démonter son vélo avant de monter dans le Thalys, ce qui est «tout simplement inacceptable». Ou pour ce Bruxelles-Berlin en train de nuit en mai dernier, le trajet inaugural d’European Sleeper, chèrement payé (399 euros pour deux dans un compartiment privatisé): «On est arrivés crevés et gelés, vu le matériel vétuste et les systèmes en panne

Malgré les étincelles du «slow travel», rien ne laisse présager une diminution drastique des vacances en voiture ou en avion. D’après la Commission européenne, la part du train, soit 6,9% de la mobilité des voyageurs dans l’UE, est restée stable entre 1995 et 2018. «L’humanité est aux prises avec un dilemme du prisonnier insoluble, chacun renonçant à agir à moins que les autres ne le fassent, résumait récemment le philosophe Gaspard Koenig dans Les Echos. La seule solution viable n’est pas de restreindre nos désirs, mais d’en changer.» A condition de le vouloir.

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