Voiture électrique, autopartage, multimodalité…: la voiture de société se cherche une nouvelle place
Coup de frein pour les voitures de société. L’avantage salarial chouchou des Belges est mis sous pression par la mobilité, l’environnement, la fiscalité et… les impacts de la crise sanitaire. Sociétés de leasing et fleet/mobility managers explorent les itinéraires alternatifs vers demain.
Baromètre de la santé du secteur automobile, le nombre d’immatriculations de voitures neuves vient de rendre son verdict. Selon la Febiac, l’aiguille du compteur 2020 ne dépassera pas les 413.000 nouveaux véhicules mis en circulation en Belgique. Contre 550.000 en 2019. Une solide baisse de régime largement imputable à la crise sanitaire ayant depuis mars dernier immobilisé puis maintenu à bas régime la vie socio-économique des Belges. Pesant bon an mal an pour 25% des immatriculations, les véhicules de société (de fonction et utilitaires) affichent une contraction proportionnellement équivalente. Si l’on compare les périodes de janvier à août 2019 et 2020, l’an dernier, on était à 223.068. Fin des vacances d’été 2020, le chiffre atteignait seulement 151.243 nouvelles voitures de société… Ce delta significatif s’ajoute à l’équation délicate des fleet managers déjà aux prises, avant la crise sanitaire, avec une panoplie d’autres défis: fiscalité automobile, environnement, mobilité multimodale.
Nouvelles habitudes de travail
Et depuis mars, les nouvelles habitudes de travail, comme le télétravail, et l’économie en crise rebattent encore plus les cartes des voitures de société, au renouvellement fort ralenti et aux leasings allongés.
« La crise sanitaire est porteuse de bouleversements majeurs qui rappellent que l’automobile reste un moyen et pas une fin, estime Jean-Marc Ponteville, PR manager de D’Ieteren Auto, premier fournisseur de flotte automobile du pays. Son usage dépend des évolutions structurelles dans les sociétés, sur le marché de l’emploi et dans notre vie quotidienne. C’est là que réside le défi majeur, pour les fleet managers avec qui nous traitons, autant que pour les importateurs que nous sommes. Une nouvelle normalité en matière d’habitudes de vie – parfois volontaires, parfois contraintes -, bouscule notre activité. L’automobile, tellement liée à notre modus vivendi, doit forcément évoluer et refléter le fonctionnement de la société. »
Ce n’est pas en éjectant toutes les voitures de société qu’on résoudra le casse-tête de la mobilité.
Vers une transition
Les fleet managers du royaume en savent quelque chose. Ou plutôt les mobility managers. « En effet, ce titre est devenu plus adéquat, embraie Frits Loos, celui de l’assureur Ethias (1.500 employés et 950 véhicules de société). Il ne suffit plus à un responsable fleet de maîtriser la dimension automobile mais bien d’avoir une vue d’ensemble des spécificités de mobilité liées à l’implantation de sa société. Dans mon cas, Hasselt et Liège. Le mobility doit être un pro capable de guider les gens dans la transition en s’appuyant sur une palette de moyens de transport, dont l’auto, pour installer une mobilité plus agile, plus douce, plus verte. » Le CEO d’Ethias a d’ailleurs fixé à ses troupes un objectif carbone neutre pour 2030.
Courant électrique
Dans cette optique, largement répandue dans les entreprises, une première tendance se dégage. Celle de l’électrification croissante du parc de voitures de société. « Depuis un an, nous vendons de plus en plus de contrats leasing société pour des voitures électriques ou hybrides, tant de fonction que utilitaire », témoigne Tony Peetermans, chef com et marketing d’Arval, gros fournisseur automobile indépendant et multimarque. Si le courant électrique passe mieux et plus vite que les LPG, CNG et autre hydrogène vert dans les flottes automobiles des sociétés, c’est simplement parce qu’il est fortement soutenu par les mesures fiscales gouvernementales. « L’aspect fiscal est central, confirme Jean-Marc Ponteville de D’Ieteren Auto. Cela fait sensiblement pencher le choix des sociétés vers des hybrides et des 100% électriques. S’ajoute aussi une dimension « image » à s’inscrire dans le combat écologique pour limiter l’empreinte carbone. Sans oublier les avantages d’une longévité supérieure et d’un réel confort de conduite très apprécié par les employés. »
Un engouement vérifié par Frédéric Bastien, fleet/mobility manager de la société de construction BAM-Galère installée à Chaudfontaine (1.700 employés pour 1.000 véhicules de sociétés – 50% d’utilitaires et 50% de voitures de fonction). « Dans la gamme de voitures de fonction, la demande du personnel est croissante pour des véhicules hybrides et alternatifs. Nous avons ouvert à 20% de nos employés la possibilité d’obtenir ce type de véhicules mais en leur imposant un usage vraiment optimal raisonnable et raisonné. Mais toute voiture de société s’intègre désormais dans un mix mobilité. »
L’automobile, tellement liée à notre modus vivendi, doit forcément évoluer et refléter le fonctionnement de la société.
Mix mobilité
La deuxième tendance montant dans les tours depuis deux ans est le mix mobilité. La crise corona l’a consacrée et amplifiée. Chaque société modèle sa proposition fleet/mobility selon sa situation géographique (urbaine ou excentrée), les moyens de transports praticables dans sa zone, et sa réalité de travail. « Nous ne sommes pas une société IT en plein Bruxelles mais une entreprise de construction avec des ouvriers sur des chantiers à l’échelle nationale et un siège en Wallonie, signale Frédéric Bastin, de BAM. Nous avons surtout développé un mix mobilité pour nos employés plus sédentaires. Des voitures classiques, des voitures vertes essentiellement électriques ou hybrides mais également des vélos de pool pour les déplacements proches. L’employé peut aussi opter pour une formule auto + vélo simple ou électrique, voire un défraiement des transports en commun, et nous poussons aussi le covoiturage. »
Cet engagement dans la mobilité multimodale percole aujourd’hui partout dans le monde entrepreneurial. Les sociétés de leasing voitures ont elles-mêmes embrayé commercialement sur la tendance mix dans l’air du temps. Tony Peetermans évoque même un changement de stratégie 2020-2024. « On bascule aujourd’hui d’un positionnement de société leasing essentiellement focalisée sur la voiture vers celui de pool service mobility provider. Même si la voiture gardera une place de choix, nous ajoutons à notre expertise les aspects de bike leasing et autres alternatives. Notre plus-value, c’est le conseil aux sociétés. On analyse avec elles leur fleet, leur car policy et, pour affiner nos recommandations, notre département consulting a élaboré deux méthodologies: l’une pour opérer une électrification de toute flotte de véhicules; l’autre pour envisager toutes solutions de multimobilité sur mesure. »
Services alternatifs
Chez D’Ieteren Auto, on investit même dans des services alternatifs. Dans trois directions, toutes remettant en question la possession d’une voiture salaire classique. « La première c’est l’autopartage, pour lequel nous avons lancé Poppy, service de voitures et scooters partagés, à Bruxelles et Anvers. La deuxième c’est Skipr, une application guidant les employés vers une mobilité intelligente et multimodale. Cette app donne accès à différents modes de transport et est incluse dans certains packages de société. La troisième consiste en l’organisation de pools d’entreprise reposant sur une mutualisation des voitures de service. A réserver par l’employé selon ses besoins », précise Jean-Marc Ponteville. D’Ieteren a aussi lancé la plateforme Lizy concentrée sur le leasing de voitures de société d’occasion. Son concurrent ALD Automotive lui a emboîté le pas dans ce créneau d’avenir.
Deux inconnues
Décidément, l’avenir multimodal et le reprofilage de la fleet attitude mobilisent. Subsistent néanmoins deux solides inconnues sur la route des mobility managers. D’une part, les intentions du (futur) gouvernement quant aux mesures en vigueur pour leur secteur (lire ci-dessous). D’autre part, le réel impact des nouvelles habitudes de travail accélérées par la crise corona, dont celle du télétravail, sur les choix de mobilité. En gros, la place que conservera ou pas la voiture de société.
Je n’aurais jamais cru qu’un jour les écrans mobilisés par le télétravail deviendraient des concurrents de l’automobile au même titre que les transports en commun
« Je n’aurais jamais cru qu’un jour les écrans mobilisés par le télétravail deviendraient des concurrents de l’automobile au même titre que les transports en commun », lâche en boutade Jean-Marc Ponteville. Les écrans abolissent la distance physique entre employés et entreprises. Cela complexifie encore la réflexion déjà amorcée sur la mobilité et l’environnement par les fleet managers. Forcément, cela signifiera moins de voitures de société. »
Pragmatique, Frits Loos relativise: « La volonté d’Ethias était déjà, avant la crise, d’atteindre 50% de télétravail. La crise corona nous y a amenés avec, comme potentiel effet positif, la diminution du nombre de kilomètres parcourus, et donc la réduction sensible des coûts de leasing. Cela peut nous mener plus vite à notre objectif carbone neutre pour 2030. Tout en privilégiant la voiture de société « verte », car l’auto restera un élément de tout bon mix. »
Coups de klaxon
A quelle sauce politico-législative sera mise la voiture de société de demain? Mystère. L’avantage salarial, cultivé par les employeurs pour alléger le poids de taxes sur le travail fort élevées en Belgique, slalome depuis longtemps entre les sautes d’humeur politiques. Une versatilité sur laquelle les fleet managers klaxonnent volontiers. « Il y a un changement constant des règles et mesures législatives, grince Frédéric Bastin, le mobility de BAM. Nous aspirons à une vision claire et stable à moyen terme sur la mobilité en Belgique et la place des voitures de société. On en a marre d’être ballottés sans arrêt de modifications de régimes fiscaux en révisions de normes de référence sur les rejets de CO2. Cela empêche de construire une politique fleet solide et cohérente ou des plans de mobilité efficaces dans la durée. » Une dernière pour la route? « Et ce n’est pas en éjectant toutes les voitures de société qu’on résoudra le casse-tête de la mobilité. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici