Wallonie et Flandre veulent instaurer une vignette autoroutière pour faire contribuer les automobilistes étrangers à l’entretien, comme c’est déjà le cas pour les poids lourds. © BELGAIMAGE

Une vignette autoroutière fiscalement neutre pour les Belges? «Ce sera plus difficile qu’on aurait pu le penser»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La Wallonie et la Flandre ne pourront sans doute pas compenser leur future vignette autoroutière par une réduction de la taxe de circulation. Pour honorer leur promesse d’une mesure neutre sur le plan fiscal, elles devront se montrer plus créatives.

Environ 490 francs belges, soit une douzaine d’euros pour les voitures, et le double pour les camions. Tel est le montant de la vignette autoroutière que la Belgique envisageait d’imposer aux véhicules étrangers à la fin des années 1980, avant d’abandonner la mesure. Ce n’était pas le premier échec. En 1979, Guy Spitaels (PS), alors ministre du Budget, annonçait déjà une «décision de principe» à cet égard, ajoutant que les modalités seraient pour «plus tard». S’ensuivit une multitude d’initiatives du même ordre. Or, 45 ans plus tard, les Belges offrent toujours l’investissement dans le réseau autoroutier aux dizaines de milliers de véhicules étrangers qui le sillonnent –à l’exception des camions, déjà soumis à une redevance kilométrique.

Mais voilà que le monstre du loch Ness ressort du bitume, appâté par un étrange mets servi en deux temps: d’abord la Déclaration de politique régionale de la Wallonie, en juillet dernier, puis celle de la Flandre, fin septembre. La première lui promet une recette basée sur la «mise en œuvre d’un droit d’usage (vignette) dans le respect des règles européennes», appliquée «d’ici la fin de la législature» et allégée de toute pression fiscale supplémentaire pour les automobilistes wallons. La seconde lui suggère «un système numérique pour faire contribuer les véhicules étrangers» à l’utilisation de nos routes. Tout en précisant elle aussi que dans la pratique, cela ne signifiera pas une «augmentation des tarifs actuels pour les Flamands». Si les intitulés diffèrent, le menu est en tout point identique, au nord comme au sud: une redevance pour tous les automobilistes empruntant le réseau autoroutier, belges comme étrangers, mais fiscalement compensée pour les nationaux.

Vignette autoroutière: le holà de l’Europe

Comment? «En déduction de la taxe de circulation», annonçait le président du MR, Georges-Louis Bouchez, en juillet dernier. Ce que la Wallonie prendrait d’une part, elle le rendrait de l’autre, confirmaient Les Engagés. C’était avant que l’affaire «C-591/17» de la Cour de justice de l’Union européenne se rappelle au mauvais souvenir du gouvernement régional. En 2019, celle-ci avait contraint l’Allemagne à abandonner son propre ungeheuer von loch Ness, ainsi renvoyé à la sieste malgré de nombreux arguments. L’Autriche avait en effet décidé d’attaquer la vignette allemande, invoquant une enfreinte au principe de non-discrimination entre les citoyens de l’UE, mentionné notamment dans l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Verdict tout en longues phrases de la Cour: «Les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne peuvent bénéficier d’un allègement de la taxe sur les véhicules à moteur d’un montant au moins équivalent au montant de la taxe qu’ils ont dû payer, de sorte que la charge économique de cette taxe repose, de facto, uniquement sur les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans un Etat membre autre que l’Allemagne.» En bref, la Cour a estimé que l’Allemagne privilégiait ses propres ressortissants en prévoyant une compensation sur la taxe de circulation parallèlement à sa vignette.

«Cet arrêt très sévère avait surpris à l’époque, décode Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal et européen à l’UCLouvain. D’abord, cette action de l’Autriche était assez hypocrite, sachant qu’elle dispose déjà d’une telle vignette. Ensuite, des discussions avaient eu lieu au préalable entre le gouvernement allemand et la Commission, précisément pour éviter que la mesure soit discriminatoire. Avec tout le respect que j’ai pour la Cour, il me semble faux de conclure qu’en instaurant une redevance, la charge du financement des routes allemandes allait reposer uniquement sur les conducteurs étrangers; les Allemands y contribuent déjà avec leurs impôts.» La Cour n’a effectivement pas retenu l’argument selon lequel l’absence d’une contribution des automobilistes étrangers pouvait s’avérer, au contraire, discriminatoire pour les Allemands.

«Il serait inimaginable que cette jurisprudence empêche désormais tout Etat d’instaurer une redevance à l’usage.»

Quels que soient ses fondements, cette jurisprudence plane bien dans les cieux wallons, flamands –et peut-être bientôt bruxellois– telle une épée de Damoclès. Jusqu’à les contraindre à abandonner la vignette? «Il serait inimaginable que cette jurisprudence empêche désormais tout Etat d’instaurer une redevance à l’usage, poursuit Edoardo Traversa. Une telle issue serait fondamentalement contradictoire avec le principe du pollueur-payeur que l’Europe elle-même entend accentuer. Mais il est vrai qu’avec cet arrêt, ce sera plus difficile qu’on aurait pu le penser.» L’expert entrevoit toutefois une porte de sortie. D’après la Cour, l’Allemagne n’avait visiblement pas établi un lien suffisamment clair entre l’instauration d’une vignette et le financement des autoroutes. «Or, la Wallonie verse déjà le produit de la redevance sur les poids lourds à la Sofico (NDLR: en charge de l’entretien des autoroutes et des routes régionales). Elle ne part donc pas d’une page blanche. En revanche, cela risque d’être plus complexe en Flandre, où les montants sont versés au budget général.»

D’autres leviers, mais lesquels?

De son côté, le ministre wallon de la Mobilité, François Desquesnes (Les Engagés), reste optimiste. «Nous avons suffisamment d’autres leviers que la taxe de circulation pour garantir que la charge fiscale globale des Wallons n’augmentera pas», indique-t-il, sans toutefois préciser lesquels. Ce n’est effectivement pas si simple: en octroyant une compensation fiscale sur un tout autre terrain, la Wallonie créerait inévitablement une distorsion entre ceux qui disposent d’une voiture et ceux qui n’en ont pas. «Une autre compensation, je n’y crois pas, assène Edoardo Traversa. La Cour pourrait même en conclure que la Région crée une compensation par un moyen détourné.»

Si la Wallonie et la Flandre ne parvenaient pas à convaincre l’Europe du caractère non discriminatoire de leur future redevance annuelle, elles devront alors œuvrer à un glissement bien plus conséquent d’une fiscalité qui ne porterait plus sur la détention d’un véhicule (taxe de circulation), mais sur son utilisation. «Il s’agirait, par exemple, de fixer un montant annuel de droit d’utilisation de toutes les routes belges et un montant mensuel ou journalier pour les autoroutes», suggère le professeur de l’UCLouvain.

Promise dès 2027 par la Flandre, la vignette n’est pour le moment qu’au début d’une route parsemée d’obstacles politiques et juridiques. Mais deux ou trois années d’attente supplémentaires n’offusquent plus le vieux briscard du loch Ness. Il en a vu bien d’autres.

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