Que dissimule l’inondation de voitures électriques chinoises dans les ports belges? «Main invisible», «early adopters» et «surcapacité»
Les voitures électriques chinoises arrivent par milliers dans les ports d’Anvers et de Zeebruges. Les parkings prévus pour leur stockage sont proches de l’explosion. Dans sa volonté de devenir une nouvelle plaque tournante en Europe, la Belgique fait face à un sérieux blocage. «Les prévisions du marché ont été supérieures à la demande réelle», explique un économiste.
Elles arrivent par dizaine de milliers. Aux ports d’Anvers et de Zeebruges, les voitures électriques chinoises sont stockées sans fin. Au point que les immenses parkings prévus à cet effet sont tous saturés. Un récent article du Monde chiffre le phénomène: en 2024, entre 600.000 et 1 million de véhicules fabriqués en Chine auront comme destination les ports flamands. Ces données stratosphériques font d’Anvers le plus grand terminal automobile du monde. Rien que ça.
Sans faire de bruit, les deux villes au nord du pays se hissent ainsi au sommet de la logistique pour le marché de l’électrique. Elles sont devenues une véritable plaque tournante pour le dispatching des véhicules aux quatre coins de l’Europe. De Calloo, près de Zeebruges, des camions polonais, italiens ou espagnols chargent des voitures électriques chinoises. Pas à un rythme suffisant, cependant, pour écouler l’impressionnant stock qui s’est formé au cours des dernières années.
Voitures électriques chinoises amassées: plusieurs causes
Le quotidien français épingle plusieurs causes à cet embouteillage. Une industrie chinoise en surcapacité, l’émergence de nouveaux constructeurs, la volonté de conquérir le marché européen, ou encore la crise du Covid, qui a ralenti les ventes et gonflé les stocks. Autant de raisons qui expliquent l’inondation ‘sino-électrique’.
Les bateaux, aussi, ont vu leur capacité s’élargir. Ainsi, explique Le Monde, les transporteurs sont actuellement capables de déplacer jusqu’à 7.000 véhicules, au lieu de 1.000 à 2.000 auparavant. La Belgique est même devenue leur destination principale, alors qu’ils avaient pour habitude de décharger une partie de leur cargaison dans des ports du sud de l’Europe. Le manque de main d’œuvre criant chez les opérateurs en charge du stockage et une insuffisance de bateaux pour la navigation courte (le transport vers d’autres ports européens) sont deux autres ingrédients qui garantissent un amas massif de véhicules électriques.
Voitures électriques chinoises: les prévisions supérieures à la demande
Chaque année, ce sont 3,9 millions de nouvelles voitures qui transitent (arrivée/départ) par le port de Zeebruges. «Cet entassement n’est pas si extrême, comparé à d’autres années, nuance Romain Denayer, porte-parole d’EV Belgium, fédération pour le développement de la mobilité zéro émission en Belgique. Mais les marques utilisent de plus en plus fréquemment les parkings des ports, plutôt que leurs propres garages, poursuit-il. Ce procédé s’inscrit dans le nouveau modèle automobile: la voiture est souvent achetée en ligne, sans passer par la case garage. Les ports adoptent alors ce rôle de stockage.»
«Le prix du lithium, composant majeur des batteries, a beaucoup baissé, explique Rudy Aernoudt, économiste (UGent). Car tout le marché a spéculé sur une explosion de la demande pour les voitures électriques. Or, on observe que ce n’est pas le cas».
En Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple, les subventions à l’achat d’une voiture électrique ont été diminuées, ce qui rebute bon nombre d’acheteurs potentiels. «Désormais, les gens optent davantage pour de l’hybride. Et plus pour du 100% électrique. Les prévisions du marché ont été supérieures à la demande réelle», déduit l’économiste.
Early adopters et surproduction
Les dernières estimations se sont basées sur la logique des early adopters, c’est-à-dire les individus les plus prompts à utiliser une nouvelle technologie. «Or, en général, on estime que les primo adoptants représentent environ 15% du marché. Maintenant, les constructeurs doivent donc convaincre une autre tranche d’acheteurs potentiels, ceux qui ne sont pas les plus prédisposés à opter directement pour l’électrique. Résultat des courses: le marché va beaucoup moins vite qu’on le pensait», analyse Rudy Aernoudt.
En Belgique, contrairement à l’Allemagne, le marché se porte plutôt bien car la déduction fiscale qui s’applique à l’électrique s’élève à 120%. Mais la production disponible dépasse toujours la consommation «car on a surestimé l’intérêt réel de la population», estime le professeur de l’UGent.
La Chine à l’assaut du marché européen
Cette surproduction chinoise s’inscrit aussi dans la guerre avec Tesla et les voitures européennes. La Chine veut s’assurer que ses voitures soient directement disponibles sur le marché européen, afin que le consommateur ne doive pas patienter après sa commande. «Les constructeurs chinois veulent tenter ‘d’effacer’ autant que possible les marques européennes. Il leur importe peu que du stock s’amasse en Europe: cela fait même partie de leur stratégie.»
Il serait cependant faux d’affirmer que les parkings proches d’Anvers n’abritent que des voitures chinoises. «On y constate une diversité de constructeurs: coréens, japonais, ou même américains, nuance Romain Denayer. La crainte liée à l’arrivée de l’électrique chinois doit être relativisée, estime-t-il. Auparavant, ces mêmes doutes étaient présents lors de l’arrivée de Toyota, Suzuki ou Hyundai sur le marché du thermique en Europe. Avec le temps, ces marques sont rentrées dans le paysage».
Quel déblocage ?
Face à la saturation actuelle, un déblocage pourrait survenir de deux manières. Soit via une connexion par le marché. «C’est ‘la main invisible’, qui signifie que les prix vont diminuer pour favoriser la demande». Une option «très probable», selon Rudy Aernoudt. «Des incitations gouvernementales, via l’octroi de primes à l’achat d’un véhicule électrique et/ou de nouvelles taxes sur les véhicules thermiques», sont la deuxième option. Romain Denayer ajoute que ce blocage «n’est pas qu’un ralentissement de l’électrique, mais du secteur automobile de façon générale.»
Pour Rudy Aernoudt, «on va devenir beaucoup plus réaliste face à l’électrique dans le futur. Une entreprise comme Toyota pense d’ailleurs que l’automobile électrique représentera maximum 30% du marché. L’idée que tout le monde roule à l’électrique en 2035 est utopique», juge-t-il.
Pour lui, le fait que la Belgique devienne une nouvelle plaque tournante de l’électrique s’inscrit dans une volonté politique claire de développer la logistique. «Beaucoup de voitures passent également par Gand (Honda). C’est une bonne chose, cela crée de l’emploi. Mais le fait que les voitures soient importées d’Asie ternit l’objectif environnemental initial de l’électrique.»
Pour rivaliser avec l’afflux de l’électrique chinois, le défi s’annonce donc ardu pour le marché automobile européen, qui a sous-investi dans son électrification. «Il est surmontable, mais il va croître dans les années à venir, avertit Romain Denayer. Car le nombre de marques chinoises se développe de façon assez impressionnante. Il appartient désormais aux Européens de réagir adéquatement».
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