Les motos électriques, rapides mais lentes à percer le marché: les raisons d’un difficile démarrage
Sur le demi million de motos recensées en Belgique, seules 2.788 roulent à l’électricité. Une part de marché qui augmente, mais lentement
Ils sont un peu plus d’un demi million, en Belgique, 517.668 exactement à la mi-2024, à sillonner les routes des villes et des campagnes en deux roues motorisés, vélos électriques non compris. Généralement, on les entend venir de loin… Mais ce n’est plus tout à fait vrai. Depuis quelques années, les motos électriques ont fait leur apparition en Belgique. Sur ces 517.668 motos à moteur recensées par le SPF Mobilité aujourd’hui, 2.788 fonctionnent sans essence, uniquement à l’électricité. Soit quelque 0,5% du parc.
La tendance est toutefois à la hausse: on comptait 1.050 motos silencieuses en 2019, 1.635 en 2021 et 2.636 l’an dernier. Selon les données de la Febiac (Fédération belge de l’automobile et du cycle), 534 motos électriques ont été immatriculées en 2023, sur un total de 23.740. Soit 2,25% de l’ensemble. Elles se répartissent entre 34 marques différentes, dont l’américaine Zero motorcycles, leader du marché, et Energica, actuellement les deux seuls fabricants 100% électrique de motos en Belgique.
Si cette part de marché progresse, elle le fait donc à une allure de sénateur. Le phénomène est identique en France: sur les 128.203 motos vendues en 2022, 1,3% seulement étaient électrifiées (contre 2,1% un an plus tôt). Les scooters électriques ont bien davantage le vent en poupe que les motos puisque leurs ventes représentaient 17,93 % des ventes totales de scooters, contre 6% un an auparavant, en France toujours.
En Belgique, on observe le même phénomène: à la fin de l’année 2023, la Belgique comptait 106.543 scooters thermiques (avec une vitesse maximale de 45 km/h) et 91.664 électriques, également en classe B. Pour les scooters de moindre puissance (moins de 25 km/h), dits de classe A, on comptait, l’an dernier toujours, 79.709 scooters thermiques et 10.015 scooters électriques. Un ordre de grandeur, entre ces deux catégories, bien plus important que ce qu’on observe pour les motos.
Se faufiler dans le trafic
«Je reste étonné de voir si peu de motos sur les routes en Belgique alors que le réseau est si souvent embouteillé, relève Benoit Monseu, concessionnaire motos (électriques et thermiques) à Braine-le-Château. C’est d’ailleurs le premier motif pour lequel des automobilistes abandonnent leur voiture au profit du deux-roues.»
Pour passer à l’électrique ? L’achat d’un deux-roues non thermique ne fait pas l’objet d’une grande incitation par les pouvoirs publics, en tout cas. Une réduction d’impôt représentant 15% de la valeur d’achat de la bécane, avec un maximum de 3.140 euros, existe. Mais l’acheteur doit avancer la somme lui-même et ne sera remboursé qu’à la fin de l’exercice fiscal. La Flandre, par contre, ne prévoit pas de taxe de mise en circulation pour ce mode de déplacement. Dans les pays voisins, comme la France ou les Pays-Bas, des incitants fiscaux plus intéressants sont proposés à ceux qui optent pour une moto électrique.
Autre frein à ce type d’achat, et non le moindre: le prix. Une moto électrique se paie entre 30 et 40% plus cher qu’un modèle à moteur thermique. En fonction des modèles – et de leur autonomie – il faudra compter entre 8.000 et 20.000 euros pour en acquérir une. En revanche, son utilisation coûte trois à quatre fois moins cher que celle d’une moto classique. «Le coût des recharges représente environ un tiers de la consommation de carburant d’une moto thermique», précise-t-on à la Febiac. Pas de plein d’essence à prévoir, en effet, mais une recharge qui peut s’opérer sur une simple prise électrique. Et quasi pas de frais d’entretien mécanique: les motos électriques n’ont ni filtre, ni bougie, ni boîte de vitesse… En roulant environ 15.000 kilomètres par an, l’achat est vite rentabilisé.
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Les acheteurs qui hésitent calent parfois aussi, comme pour les voitures électriques, sur la question de l’autonomie. Même si des motards parcourent rarement 250 kilomètres d’une traite. Et s’ils sont encore plus rares à partir en vacances à moto. Chez BMW, qui commercialise deux scooters électriques (entre 6.500 et 13.000 euros) mais pas de motos, on considère que l’électrification de la mobilité concerne surtout les déplacements en ville, précisément parce que les batteries actuelles ne permettent pas une autonomie suffisante et/ou rassurante. «On vise une clientèle d’indépendants et de chefs d’entreprise qui ont besoin de circuler en ville et qui peuvent déduire le montant de cet investissement», détaille Jeroen Lissens, porte-parole de BMW Moto. «Certains de nos modèles affichent tout de même une autonomie de 300 km», tient à rectifier Benoit Monseu.
Ce drôle de ronronnement
Outre leur vitesse de réaction et la puissance qu’elles développent en quelques secondes, les motos électriques ont pour autre caractéristique de ne pas faire de bruit. Or les motards indécrottables éprouvent des difficultés à l’idée de s’en passer. L’iconique marque Harley Davidson a d’ailleurs décidé de créer une marque à part pour ses engins électriques à deux roues, LiveWire, et non pas, comme elle l’avait pensé au départ, d’en faire une sous-marque de Harley. Histoire de ne pas troubler l’image, ni des motards à longue barbe bardés de cuir, ni des adeptes d’une mobilité silencieuse et plus verte. «Les motards aguerris ont peur de s’ennuyer en passant à l’électrique, sans le bruit du moteur et sans boite de vitesse, relate Benoit Monseu. Dans la majorité des cas, ils changent d’avis après un essai: ils se rendent compte qu’ils entendent tout, la nature et les autres usagers de la route, et qu’ils sont ainsi beaucoup plus en contact avec leur environnement.»
Une autre crainte tenaille les éventuels candidats: celle de se faire chambrer par des motards restés fidèles au moteur thermique. Jusqu’il y a deux ou trois ans, le design austère et basique des motos électriques était en effet sans comparaison avec celui de leurs prédécesseures à essence. Désormais, les fabricants tentent de rattraper leur retard et imaginent des bécanes nettement plus séduisantes sur le plan esthétique. Mais il reste une sorte d’a priori culturel dans le milieu des motards traditionnels.
«Le Belge est frileux face au changement, y compris dans ses modes de déplacement»
Benoit Monseu (Green Bikes)
«C’est sûr qu’il y a un marché à prendre, affirme Jeroen Lissens. Pour l’instant, même s’il est en croissance, il reste limité. Dans quelques années, la gamme sera plus diversifiée. Les « early adopters » sont en quelque sorte des missionnaires.» «Le Belge a la réputation d’être assez conservateur, embraie Benoit Monseu. Il est frileux face au changement, y compris dans les modes de déplacement.»
Il se pourrait que des règlements locaux le poussent peu à peu à modifier ses habitudes ou incitent les motards à enfourcher des engins plus silencieux à l’avenir. A Madrid, il est désormais interdit aux deux-roues à moteur thermique de circuler dans le centre durant la nuit. Seuls les résidents peuvent y rouler à moto, à condition de se garer dans un parking. Ainsi que les très discrets deux-roues électriques…
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