bornes de recharge publiques
Borne pour recharger les voitures électriques, panneau interdit aux voitures sauf les voitures electriques, 2 mai 2018, Vannes, Morbihan, France. (Photo by Michel GILE/Gamma-Rapho via Getty Images)

Les bornes de recharge publiques, indispensables au développement de la voiture électrique ou «24 millions d’économies cash»?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Alors que l’électrification du parc automobile reste un défi relié à l’accès aux bornes de recharge, la Wallonie doit faire un choix. Continuer à investir, environ 15.000 euros par borne, ou confier la mission au privé.

77.443 prises (semi-)publiques installées sur le territoire belge fin du troisième trimestre 2024, contre 44.000 en 2023: ce n’est plus une hausse, c’est une flambée. Le réseau des bornes de recharge suit la même courbe ascendante que les voitures électriques (voir graphiques ci-dessous), poussé par des mesures publiques favorables en Flandre et le sérieux coup de pouce des voitures de société.

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Dans les villes telles que Bruxelles, la densité du tissu urbain justifie politiquement et économiquement le déploiement de bornes de recharge partagées sur l’espace public ou sur des sites privés accessibles au public. En Wallonie, l’équation est plus complexe: selon la commune concernée, il n’est pas toujours rentable pour un opérateur d’en installer. Son calcul doit intégrer les solutions concurrentes à proximité (à domicile, en entreprise, dans des stations-service, des parkings publics ou des magasins), la fréquentation et le coût du raccordement. «Toutes dépenses confondues, l’installation d’une borne publique classique coûte environ 15.000 euros», estime Olivier Bontems, directeur du département «Energie et solutions durables» d’Ideta, l’agence de développement territorial (ADT) de la Wallonie picarde.

En 2021, cette intercommunale se voit chargée de coordonner un vaste travail d’inventaire visant à déployer au moins 2.000 points de recharge sur l’ensemble du territoire wallon. Cette composante du plan de relance de la Wallonie, portée par l’ex-ministre de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo), ambitionne d’identifier les zones techniquement opportunes, en concertation avec les communes et les huit ADT du sud du pays. La démarche s’apparente à une logique de service public minimal de la recharge. «La Région avait envisagé un budget de 24 millions d’euros, permettant de compenser la plus faible rentabilité des points de recharge que le privé installerait dans les zones plus reculées», rappelle Olivier Bontems.

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Financé à hauteur de 1,8 million d’euros, le titanesque travail d’inventaire aboutit à une cartographie du potentiel en mars 2022, soumis pour validation à l’ensemble des 262 communes wallonnes dans les mois qui suivent. Ces échanges aboutissent à l’identification, au mètre près, des futurs emplacements de bornes. Mais en janvier 2023, coup de théâtre: le cabinet Henry annonce que ses services n’ont pas pu produire le cahier des charges. Il subsisterait d’importants risques juridiques, potentiellement préjudiciables pour les communes. Il faut de ce fait attendre plus d’un an, jusqu’en mars 2024, avant que l’administration concrétise ce cahier des charges. Le gouvernement régional est censé le valider mais décide, à trois mois des élections de juin, de ne pas le faire. La suite est connue: l’attelage MR-Les Engagés prend la main, Ecolo est renvoyé dans l’opposition. Le plan du ministre Henry est enterré.

Plus de bornes de recharge publiques = 24 millions d’économie?

C’est qu’entre 2021 et 2024, le privé a multiplié les solutions de recharge, y compris en Wallonie. A côté des bornes à domicile, en entreprise, dans les stations-service ou les parkings, est-il encore opportun que les pouvoirs publics passent à la caisse pour en financer davantage? Non, estime la nouvelle majorité wallonne. En octobre dernier, le nouveau ministre de la Mobilité, François Desquesnes (Les Engagés), avait même associé le plan de son prédécesseur à un gaspillage d’argent public. «En Flandre, en France, en Allemagne, qu’a-t-on fait pour déployer les bornes de recharge publiques? Les autorités ont lancé des concessions. Et il n’a pas fallu dépenser un seul euro pour que les distributeurs d’électricité y installent leurs bornes. Ce sont 24 millions d’euros que l’on va économiser cash», critiquait-il sur le plateau de QR (RTBF). L’heure n’est donc plus à un soutien financier wallon au bénéfice des opérateurs privés.

Ce qui n’exclut pas que la Région orchestre, comme au nord du pays, leur déploiement via des concessions. «Avoir l’exclusivité sur un ensemble de sites pendant une période déterminée nous permet d’investir, acquiesce Tom Claerbout, directeur des affaires publiques et de la communication chez TotalEnergies Belgium. Les autorités ne nous paient pas pour installer des bornes. En revanche, elles ont bien un rôle à jouer pour faciliter et structurer l’installation de bornes par le privé. Dans ces conditions, il y a bien un avenir pour la recharge publique, y compris en Wallonie.» Sans un soutien financier public, il sera toutefois plus compliqué d’installer des bornes de recharge dans les recoins où la densité de passage ne rencontre pas les besoins de rentabilité du privé, en particulier au sud du sillon Sambre-et-Meuse.

Il existe aussi des initiatives communales. En 2023, la Ville de Braine-l’Alleud, dans le Brabant wallon, concluait la première concession de recharge publique de Wallonie avec TotalEnergies, déboursant 150.000 euros sur fonds communal pour faciliter (coûts de génie civil et marquage) l’équipement de 50 places de stationnement publiques de points de recharge. «La Région n’avait prévu que deux bornes pour Braine-l’Alleud dans son plan, et on n’en a jamais vu la couleur, égratigne le bourgmestre, Vincent Scourneau (MR). Si on avait dû attendre un financement de sa part, on n’avançait pas. D’où cette initiative sur fonds propres, qui fonctionne terriblement bien. En un an, ces bornes ont déjà procuré des dizaines de milliers de recharges sur le territoire public.»

Par le passé, 42 communes ont, elles, pu bénéficier des programmations «Pollec» de la Région (2,4 millions en 2020, 265.000 euros en 2021) pour installer des bornes de recharge publiques. Parmi elles, Fleurus, une commune du Hainaut logée au bord de la E42 et du ring de Charleroi. Dès 2020, elle se rêvait ville-étape pour les carburants alternatifs, tels que l’électricité mais aussi le CNG. Les pouvoirs locaux espéraient ainsi attirer, vers le centre-ville, de nombreux automobilistes en quête d’un cadre de recharge plus agréable qu’une aire d’autoroute. «Mais entre-temps, la guerre en Ukraine a évincé le CNG en tant que carburant de transition, tandis que la Wallonie n’a pu faire aboutir son plan pour les bornes électriques, concède le bourgmestre, Loïc d’Haeyer (PS). Nous sommes de ce fait restés avec les quelques bornes installées dans le cadre de Pollec, ce qui n’est pas suffisant pour générer une attractivité conséquente. Nous attendons à présent la nouvelle stratégie wallonne pour poursuivre le développement.» Une stratégie que François Desquesnes annonce pour «les prochains mois», mais sans en dire davantage à ce stade.

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