Surtaxer les voitures électriques chinoises: un «trophée électoral», mais à quel prix? (analyse)
La Commission européenne envisage des taxes supplémentaires sur l’importation des voitures électriques chinoises. De quoi augmenter le prix des quatre roues électrifiées?
Hasard du calendrier? Trois jours après un scrutin qui a vu l’Union prendre un nouveau virage à droite, la Commission annonçait vouloir augmenter les droits de douane sur les importations des voitures électriques chinoises. Objectif: relancer le secteur dans une Europe qui s’est donné pour objectif de mettre fin aux moteurs thermiques en 2035. Aux 10% qui s’appliquaient déjà, s’ajouteront des taux de 17,4% à 38,1%, selon les constructeurs.
L’exécutif européen prévient: ces «droits compensateurs provisoires» entreront en vigueur le 4 juillet, si d’aventure Pékin faisait la sourde oreille. Justification de la Commission? Les cylindrées chinoises –une voiture électrique sur cinq en Europe en 2023– bénéficieraient de «subventions illégales» venant de l’Etat, occasionnant une concurrence déloyale avec les véhicules produits dans l’Union européenne, selon les conclusions de neuf mois d’enquête. «Cette enquête est un acte typique de protectionnisme qui ignore les faits et les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)», juge la Chine, qui demande aux Vingt-Sept de revenir sur cette décision et «de cesser de transformer le commerce en questions politiques». L’Allemagne, dont Pékin est un partenaire commercial de taille dans le secteur automobile, a également critiqué la manœuvre, agitant le spectre d’une guerre commerciale à venir.
«Un vent de protectionnisme souffle aux quatre coins du monde, on ne peut y résister indéfiniment.»
Voitures électriques chinoises et protectionnisme européen
«Contrairement à la Chine et aux Etats-Unis, l’Europe respectait encore les règles commerciales de l’OMC, commente Adel El Gammal, expert en géopolitique de l’énergie (ULB). Mais un vent de protectionnisme souffle aux quatre coins du monde, on ne peut y résister indéfiniment.»
Dans le viseur européen: l’entreprise d’Etat SAIC (MG et Maxus), qui se verrait appliquer une taxe de 38%. Les constructeurs BYD et Geely (Volvo, Polestar, Lotus et smart) seraient moins entravés, avec des droits d’entrée de respectivement 17% et 20 %. Ces deux constructeurs reçoivent moins de subsides chinois, et ont (re)déployé une partie de leur chaîne de valeur en Europe.
Selon les premières estimations, l’instauration d’un droit de douane supplémentaire de 20% sur les modèles chinois réduirait d’un quart les importations de l’UE. Cela représente 125.000 unités de moins, soit une valeur de 3,7 milliards d’euros. Selon l’institut de recherche économique Kiel, ce manque à gagner serait compensé par une augmentation de la production au sein de l’Union et une diminution des exportations de véhicules électriques.
«Nous nous opposons à ces taxes qui entravent le libre-échange.»
BMW Belgique
L’impact sur le prix des voitures électriques
Près de 60% des voitures électriques dans le monde sont chinoises. Dont 437.699 en 2023 sur le marché européen. Suite à l’annonce de la Comission, la Febiac, le représentant du secteur automobile belge, s’attend à une hausse des prix des voitures électriques chinoises. L’effet domino sur les modèles européen dépendra de la réaction du marché. Quoi qu’il en soit, impossible de chiffrer ces augmentations pour le moment.
Du côté des constructeurs, BMW Belgique a réagi: «Nous nous opposons à ces taxes qui entravent le libre-échange.» Et les experts? «La part de véhicules chinois dans l’UE va baisser, et le coût moyen des autres modèles augmentera, le temps que le marché s’adapte, prévoit Adel El Gammal. Les mécanismes d’accompagnement seront réduits, puisque le Green Deal passera au second plan.» L’expert note encore que l’ampleur de la hausse des prix dépendra d’autres facteurs, parmi lesquels l’évolution du prix du baril de pétrole, qui peut rendre la voiture thermique plus ou moins attrayante que sa cousine électrique.
«Plusieurs constructeurs européens ont déjà sorti des modèles à moins de 25.000 euros.»
Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain
«Plusieurs constructeurs européens ont déjà commercialisé des modèles à moins de 25.000 euros, plus accessibles. Et les autorités soutiennent l’achat grâce à des politiques publiques», tempère Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain. Il est rejoint par Olivier Duquesne, journaliste automobile: «Très peu de particuliers ont fait l’acquisition d’une voiture électrique. Le marché est uniquement porté par les politiques fiscales des Etats, comme les voitures salaires en Belgique.» Ou les baisses de taxes accordées aux véhicules électrifiés en Norvège et aux Pays-Bas. En Allemagne, la suppression des primes a stoppé net les ventes de véhicules électriques.
Une mesure efficace?
Au-delà de l’effet d’annonce, surtaxer les voitures électriques chinoises permettra-t-il vraiment de multiplier le nombre de véhicules électrifiés sur le sol européen? La Commission veut forcer les constructeurs à relocaliser leur chaine de production sur le Vieux Continent. Olivier Duquesne perçoit cette mesure comme «un trophée électoral», qui ne prend pas assez en compte la réalité du secteur. Francesco Contino, pour sa part, prévient: «Les matériaux nécessaires à la fabrication de ces voitures proviennent majoritairement d’Asie. De ce point de vue, remobiliser la chaîne logistique sur le territoire européen m’apparait risqué.»
Voitures électriques: la contre-attaque de Pékin
Si ces droits de douane supplémentaires devaient entrer en vigueur, nul doute, Pékin répliquera. Les autorités chinoises ont déjà agité la menace de mesures de rétorsion sur le parc européen. La Commission, elle, a annoncé qu’aucune surtaxe ne sera appliquée «si les subventions identifiées sont supprimées ou si les entreprises n’en bénéficient plus». Le dialogue avant les sanctions: dans un premier temps, les Vingt-Sept souhaitent tendre la main à la Chine. Avant l’Union européenne, d’autres ont déjà opté pour un rehaussement des taxes à l’importation des voitures électriques chinoises. En mai, Joe Biden a porté de 25% à 100% les droits de douane sur ces quatre-roues aux Etats-Unis. L’Inde, le Brésil et la Turquie ont suivi la même voie, avec des taux divers.
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