Le modèle Tesla: l’influence d’un jeune constructeur sur son secteur
Beaucoup de constructeurs automobiles, du groupe VW à Volvo-Geely, sont tentés de s’inspirer de Tesla. Pour mieux le contrer, absorber ses idées intéressantes, puis espérer séduire les investisseurs, visiblement hypnotisés par le constructeur américain.
Tesla, la nouvelle référence du marché automobile? Cela paraît assez clair. La plupart des constructeurs sont incités à s’inspirer de ce jeune concurrent remuant, né en 2003, centré sur sur la voiture électrique, qui a pris une place encombrante, atteignant les 500.000 voitures produites en 2020, contre 367.550 l’année précédente.
Avec ses ventes en croissance forte, sa rentabilité enfin atteinte et une valorisation géante autour des 800 milliards de dollars, la firme d’Elon Musk est devenue incontournable, davantage que les huit premiers fabricants mondiaux. De quoi faire oublier quelques erreurs de jeunesse.
L’industrie automobile a doublé de valeur
Horace Dediu, dirigeant du cabinet d’analyse Asymco, a résumé dans son blog le paradoxe produit par cette valorisation: « Tesla a simplement doublé la valeur de l’industrie automobile dans une année où le volume total et les ventes ont reculé. Cela signifie soit que les ventes de voitures vont doubler, soit qu’elles seront deux fois plus chères, soit qu’elles seront deux fois plus rentables. Rapidement ». La réponse de nombreux constructeurs a été de suivre la voie Tesla, d’électrifier à marche forcée, d’adopter certaines apparences comme le grand écran au milieu du tableau de bord (notamment la nouvelle Ford Mustang Mach-E) qui avait surpris au lancement du Model S en 2012.
VW a donné un nom à la stratégie adoptée pour contrer Tesla: Mission T.
Tesla n’a pas inventé l’électrification, elle a été poussée par la pression des réglementations environnementales qui obligent les constructeurs à réduire leurs émissions de CO2. Mais la marque a aussi surpris via des approches nouvelles dans le secteur, comme la vente directe par le net avec un réseau réduit de showrooms (lire l’encadré »La tentation de la vente directe » ci-dessous).
La tentation de la vente directe
L’influence de Tesla sur les constructeurs ne porte pas seulement sur l’électrification des voitures. Elle concerne aussi la manière de les distribuer. Jusqu’ici, dans le secteur, l’habitude était de passer par un réseau de concessionnaires, généralement indépendants. Tesla vend, lui, en direct, par le web, montrant les voitures dans de petits showrooms situés dans des centres commerciaux. Cette approche directe tente les constructeurs. « C’est une tendance lourde », indique Philippe Houchois (Jefferies). De là à causer des soucis aux concessionnaires? « Oui, même s’ils gagnent peu d’argent sur la vente des voitures neuves. Ils font surtout des recettes sur les réparations, l’occasion. Mais il faudra redéfinir les règles du jeu, sinon ils vont s’inquiéter. »
« Le groupe Volkswagen est celui qui a suivi de la manière la plus cohérente et systématique la voie Tesla », estime Ferdinand Duddenhöffer, professeur à l’Université de Saint-Gall (Suisse), expert du secteur automobile. VW a même donné un nom à cette stratégie adoptée pour contrer Tesla: Mission T. « VW est très bien positionné avec ses plateformes MEB et PPE, de même que Ford, qui va utiliser la plateforme MEB », ajoute-t-il. Ces plateformes modulaires électriques sont les bases qui permettent de construire des automobiles, sur lesquelles on greffe ensuite diverses carrosseries. Cela donne une VW ID3 aujourd’hui, un SUV ID3 ou une Audi Q4 E-tron bientôt, via la MEB. La PPE est, elle, une plateforme haut de gamme pour des Audi et des Porsche électriques, dont la Taycan.
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Les premiers résultats sont encourageants. Après avoir laissé Tesla moissonner le marché naissant de l’électrique, le groupe VW a doublé Tesla en Europe en 2020, avec 172.000 véhicules, contre 96.000 pour Tesla. L’alliance Renault- Nissan-Mitsubishi a aussi dépassé Tesla, avec la Renault Zoe, la voiture électrique la plus vendue l’an passé.
Ces chiffres et les investissements massifs des constructeurs « traditionnels » dans l’électrification donnent le sentiment qu’ils vont récupérer le terrain perdu sur Tesla. Le groupe VW espère vendre 3 millions de voitures électriques en 2025, soit 20% du total, et 30% du volume en 2030. Renault et son nouveau CEO, Luca de Meo, a aussi promis d’accélérer sa conversion électrique et de sortir en 2022 une future Mégane électrique sur une nouvelle plateforme. Quant à Mercedes, il vient de lancer un beau petit SUV électrique, l’EQA.
Le dilemme de la valeur
Hélas, les cours de Bourse de ces constructeurs ne connaissent pas, loin s’en faut, la frénésie du cours de Tesla. Sur les marchés, l’impact reste encore modéré. Ce qui ne surprend pas Philippe Houchois, analyste réputé du secteur automobile à la banque d’investissement Jefferies à Londres. « C’est logique, assure-t-il. L’électrique est pour ces constructeurs un jeu à somme nulle. Quand ils vendent des électriques, ils ne vendent pas de voitures thermiques. Pourquoi le marché vous récompenserait-il s’il n’y a pas d’amélioration de la rentabilité? »
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Surtout que pour le moment, personne ou presque ne gagne d’argent avec les voitures électriques. Philippe Houchois doute même que Renault soit rentable sur ce terrain. « Si l’on déduit les coûts fixes, les amortissements, ce n’est pas très clair. » Même chose pour le groupe VW. En fait, l’un des seuls à gagner de l’argent est Tesla, grâce au volume atteint. « Le constructeur a une rentabilité de 9% au troisième trimestre 2020, poursuit l’analyste. Si Tesla était en Europe, traduit en normes IFRS ( International financial reporting standards, Ndlr), il pourrait arriver à 11%, une marge impressionnante. » Malgré la pandémie. Le groupe VW frôlait, lui, les 7% de marge opérationnelle en 2019.
Toutefois, quand la transition vers l’électrique sera terminée, VW, GM, Renault et les autres grands noms du marché devraient sans doute voir leur valorisation s’accroître. « On peut imaginer qu’il y aura une phase où la rentabilité s’améliorera, confirme Philippe Hauchois, mais ce n’est pas pour tout de suite. » Tout l’inverse des acteurs qui ne produisent que de l’électrique et ont pu attirer du capital: ceux-là sont à la fête. Outre Tesla, citons les chinois Nio ou Xpeng. Nio a dépassé les 90 milliards de dollars de valorisation contre 80 milliards pour General Motors. Xpeng tourne lui autour des 50 milliards de dollars.
La question de l’accès aux capitaux
Le nombre de ces nouveaux entrants significatifs influencera évidemment le marché automobile. « Tant qu’il n’y a qu’un Tesla, ça peut aller. S’il y en a cinq ou six, c’est un autre problème », continue Philippe Houchois. Et il débouchera sur un jeu à somme négative. La question centrale est en effet l’accès aux capitaux. Quelques vedettes de l’électrique peuvent certes attirer des montants importants, et sont poussés par une capitalisation élevée, mais les constructeurs traditionnels ne sont pas du tout dans cette position.
Même l’alliance Renault-Nissan, pionnière dans l’électrification avec la Renault Zoe (2013) et la Nissan Leaf (2010), n’a pu bénéficier des moyens d’un Tesla pour percer dans le marché de l’électrique et n’a pas atteint ses objectifs de vente. Les véhicules n’avaient pas une autonomie assez attractive pour toucher le grand public. « La Zoe, c’était un changement d’énergie, pas de voiture, estime Philippe Houchois. Quand la Tesla est arrivée, elle était jolie et elle vous parlait. Elle s’améliore tous les jours (par les mises à jour de logiciels à distance, Ndlr). C’est une voiture culte. »
Le groupe Geely-Volvo a créé une marque, Polestar, qui suit pas à pas l’approche Tesla.
Les réponses actuelles des constructeurs vont jusqu’à la décalque assumée. Le groupe Geely-Volvo a créé une marque, Polestar, qui suit pas à pas l’approche Tesla: des automobiles premium très performantes, vendues en direct sur internet (et même smartphone), sans concessionnaires, mises à jour à distance. Les véhicules sont montrés dans quelques petits showrooms, dont un à Bruxelles, près de Tour & Taxis. Le service est assuré par des personnes envoyées par Polestar là où le client souhaite, et l’automobile y est ramenée après l’entretien ou la réparation. En fait, les services sont fournis par des concessionnaires Volvo, qui participent donc à cette évolution en troquant leur rôle de revendeur pour celui de prestataire de service pour Polestar, l’interlocuteur du client. Les véhicules, la Polestar 2 et bientôt la berline Precept, sont construits sur des plateformes partagées dans le groupe Geely-Volvo.
Pour gagner du temps et de la vitesse, certains constructeurs sont même prêts à s’allier avec le diable – entendez Google – pour améliorer leurs véhicules. Polestar l’a fait et Renault l’a annoncé. Android va être installé dans les futures Renault, via un système d’ infotainement, appelé My Link, développé avec Google et ses applications, dont Google Maps. Jusqu’ici, les constructeurs tenaient Google et Apple à distance de peur d’être marginalisés dans leur relation avec les clients.
L’avertissement de Carlos Tavares
Une autre manière consiste à gagner du volume pour espérer rentabiliser les développements de l’électrification. C’est l’objectif du rapprochement de PSA (Peugeot-Citroën-DS-Opel) et de FCA (Fiat Chrysler), lancé le 19 janvier sous le nom de Stellantis. Son CEO, Carlos Tavares, ne le cache pas, promettant comme tous ses concurrents des salves d’autos électriques. Il a toutefois lancé, mezza-voce, un avertissement en direction des autorités publiques sur les réglementations qui poussent à l’électrification à marche forcée: elles pourraient avoir un impact négatif sur l’emploi.
« L’électrification n’est pas une technologie bon marché ; elle est complexe, coûteuse, a-t-il prévenu lors de la conférence de presse de lancement de Stellantis. Les prix diminueront avec les volumes mais, à l’heure actuelle, ce n’est pas une technologie que vous pouvez déployer partout. » Soit il faut raboter les marges pour proposer des prix attractifs et les constructeurs généralistes auront un problème. Soit les marges sont maintenues et les ventes pourraient s’en ressentir. Tout le monde ne pourra s’offrir une voiture électrique aux tarifs actuels. Aujourd’hui encore, un modèle arrivant à 400 km d’autonomie coûte largement plus que 30.000 euros.
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