Dix questions (et réponses) sur la fin des voitures thermiques en Europe
Dès 2035, les voitures thermiques neuves ne pourront plus être vendues dans l’Union européenne. Les voitures électriques sont amenées à les remplacer, mais ce changement pose plusieurs questions. Tour d’horizon.
Nous sommes en 2050. Les voitures électriques se sont multipliées à une vitesse grand V. Sur les autoroutes en Europe, il est devenu rare de croiser des voitures thermiques. Les émissions de gaz à effet de serre liées au transport ont diminué drastiquement. Un rêve: celui de l’Union européenne, qu’elle espère concrétiser via l’interdiction de la vente de voitures thermiques dès 2035. En 2023, se frotter les yeux permet de réaliser que ce songe est encore lointain.
1. Pourquoi avoir choisi 2035 comme date butoir ?
L’interdiction de la vente de voitures thermiques en Europe concerne les voitures neuves. Le conducteur qui achete une voiture à essence en 2034 pourra continuer à rouler avec après 2035. L’Union européenne a choisi cette année-là pour arrêter les ventes de véhicules neufs pour une raison précise. En moyenne, la durée de vie d’une voiture est de 15 ans. L’objectif est donc qu’en 2050, plus aucune (ou beaucoup moins) de voitures thermiques soient en circulation.
2. Encore des voitures thermiques après 2035 ?
Oui, car l’interdiction ne concerne que les Etats-membres de l’Union européenne. « Il y a fort à parier que les véhicules encore utilisables seront revendus dans le monde. Ils ne seront pas remplacés mais finiront en Afrique, par exemple, dans des pays où on regarde moins aux émissions de gaz à effet de serre », indique Adel El Gammal, chercheur à l’École polytechnique de Bruxelles et spécialiste de la géopolitique de l’énergie. Par ailleurs, certains bolides de luxe font l’objet d’une dérogation (lire ci-dessous).
3. Quels sont les véhicules concernés par l’interdiction ?
Sont concernés par cette interdiction de vente les véhicules thermiques légers, c’est-à-dire les voitures et camionnettes. Les camions et autres poids lourds pourront continuer à être vendus dans certains cas. Ainsi il en va des voitures sportives vendues à moins de 1000 exemplaires. Une exception connue sous le nom de ‘clause Ferrari’ a été créée pour les supercars, à la demande soutenue de l’Allemagne et de l’Italie. De même, l’utilisation de la technologie thermique a été prolongée au-delà de 2035 pour les véhicules utilisant du carburant de synthèse (e-fuel).
4. C’est quoi, le carburant de synthèse ?
En une phrase, le carburant de synthèse est un combustible produit de manière vertueuse en laboratoire. « Vous acheminez une molécule de pétrole en laboratoire pour en faire du diesel. Sur l’ensemble du processus, vous ne pouvez pas produire de gaz à effet de serre. Les camions ou les bateaux qui acheminent ce pétrole ne doivent pas émettre de CO2. Pour produire le carburant de synthèse, vous utilisez de l’électricité verte. Ou alors, vous compensez vos émissions en plantant des arbres », décortique Olivier Duquesne, journaliste au Moniteur Automobile. L’e-fuel, encore très cher pour le moment, n’est pas destiné à alimenter les voitures des particuliers. Il devrait plutôt servir aux véhicules lourds comme les camions, pour qui l’utilisation de batteries électriques est compliqué.
5. Combien de voitures (électriques) en Belgique ?
D’après les chiffres de Statbel, il y avait un peu moins de 6 millions de voitures particulières en Belgique en 2022. Dans cette flotte automobile, seuls 71.651 véhicules étaient électriques au 1er août de la même année. Soit à peine 1,2% du total du parc automobile. Depuis, la 100.000ème voiture électrique a débarqué sur le sol belge. Du progrès… mais encore du pain sur la planche. « On ne pourra pas remplacer tous les véhicules thermiques par des voitures électriques », indique Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain.
6. Combien de bornes de recharge en Belgique ?
Au niveau des bornes de recharge électrique, la Belgique accuse du retard sur ses voisins européens. Sur les 23.000 bornes présentes dans notre pays, à peine 3.300 sont situées en Wallonie, pour 2.700 à Bruxelles et 17.000 en Flandre. A titre de comparaison, les Pays-Bas comptent plus de 100.000 bornes sur leur territoire. C’est cinq fois plus que la Belgique, alors que la population hollandaise est à peine 1,5 fois plus élevée. On comprend alors que l’installation des bornes est une problématique typiquement belge. Pourtant, indique le professeur en ingénierie, mécanique et aérospatial Pierre Duysinx (ULiège), « pour une voiture, il faut 1,4 borne disponible. La plupart des consommateurs qui habitent en périphérie urbaine disposent d’une borne à domicile. Les pouvoirs publics et entreprises ne doivent donc s’occuper que des 0,4 restant ».
7. Manquerons-nous d’électricité avec l’arrivée de la voiture électrique ?
Il y a en tout cas un déficit à combler avec la fin des voitures thermiques en Europe, selon les experts interrogés dans le cadre de ce dossier. « On devra produire 2 à 3 fois plus qu’actuellement, présage Francesco Contino. Cela correspond à 20 TWh, soit l’équivalent de la production annuelle d’énergie renouvelable ». « On rajoute une charge sur un système qui n’est pas prêt », clame Damien Ernst, professeur à l’ULiège et spécialiste des questions énergétiques. « On risque de manquer d’électricité à l’hiver 2025-2026. Aucun réacteur nucléaire ne fonctionnera, et ne parlons pas des centrales au gaz ». Georges Gilkinet (Ecolo), ministre fédéral de la Mobilité, compte sur le renouvelable belge et étranger pour couvrir le surplus d’électricité à produire.
8. Pourrai-je recharger ma voiture électrique quand je le souhaite ?
C’est l’un des points noirs du passage à la voiture électrique qui reste à éclaircir. « Si tout le monde se met à recharger en rentrant du boulot, ça va doubler la charge électrique sur le réseau basse tension » , explique le spécialiste des questions énergétiques Damien Ernst. La recharge devra s’étaler sur la journée, pour éviter que le réseau ne plante. Ainsi, Pierre Duysinx pense que « les gens vont devoir s’habituer à recharger leur véhicule pendant la nuit ». A noter que le gouvernement, en concertation avec le gestionnaire du réseau de distribution électrique Ores, prépare des plans stratégiques à ce propos.
9. Pourquoi la décision européenne pourrait profiter à la Chine ?
Pour construire les batteries des voitures électriques, il faut du lithium. Et ce métal est largement possédé par la Chine, qui pourrait profiter de la fin de la voiture thermique en Europe au niveau géopolitique. « Avec la fin des voitures thermiques, l’Europe va se retrouver dans une situation de dépendance stratégique, explique Adel El Gammal, expert en géopolitique de l’énergie. Notre approvisionnement en lithium dépend largement des Chinois, avec qui, on le sait, les relations ne sont pas au mieux. Cela alors que la demande en lithium devrait être multipliée par un facteur 20 à 50 entre 2020 et 2040. Il y aura une tension énorme sur ce marché ».
10. L’interdiction des voitures thermiques en Europe est-elle irréversible ?
Non, car la France a ouvert la porte à un retour aux voitures thermiques en Europe, si tout ne se passe pas comme prévu pour la voiture électrique. « La France a placé une clause de revoyure qui permet de revenir sur la décision dans les années à venir, en fonction de l’évolution technologique et de la faisabilité du passage à l’électrique », explique Olivier Duquesne, journaliste au Moniteur Automobile. L’activation de cette clause dépendra de la faculté des constructeurs à rendre la voiture électrique accessible au plus grand nombre.
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