Les dossiers de violences sexistes et sexuelles déconsidèrent un peu plus encore les politiques. © getty images

MeToo a-t-il instauré un « tribunal des tweets »?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’avocat Emmanuel Pierrat met en garde contre les «dérives» du combat néoféministe. Ce qui ne remet pas en question son utilité.

La révolution MeToo fait progresser la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elle irrite aussi certains par des méthodes qui, à l’occasion, feraient peu de cas de la présomption d’innocence et substitueraient une justice sur la place publique à une justice à charge et à décharge. Avocat de personnalités politiques accusées de différents méfaits, parmi lesquelles l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale Denis Baupin, mis en cause pour agressions sexuelles contre huit élues et collaboratrices, Emmanuel Pierrat, dans La Prison de verre, met en garde contre ces «dérives» .

«Le tribunal des tweets (celui qui juge avec les plateaux de la jalousie et de la suspicion permanente), la dissection du comportement privé préférée à la lecture d’un programme politique, cette tyrannie de la transparence, le jugement rendu à la vitesse d’un tweet au nom de la morale, tous ces fléaux ont pris le dessus, souvent pour le pire car les victoires sont nombreuses, à commencer par les hommes et les femmes politiques qui, même blanchis, sortent de ces affaires crucifiés à jamais par la rumeur. Malgré le droit à l’oubli, on retrouvera éternellement sur Internet un casier pseudo-judiciaire bien souvent imaginaire», soutient l’auteur, en évoquant des dossiers qui n’ont pas uniquement trait à des violences sexistes ou sexuelles.

(1) La Prison de verre. Sexe, argent et politique, par Emmanuel Pierrat, Gallimard, 220 p.
(1) La Prison de verre. Sexe, argent et politique, par Emmanuel Pierrat, Gallimard, 220 p. © National

Alors que Christophe Dubois, coauteur de Sexus diabolicus, reconnaît une certaine légitimité à la forme du combat néoféministe en raison du traitement insatisfaisant des affaires d’agressions sexuelles par la justice (lire en page 40), Emmanuel Pierrat n’hésite pas à la remettre en question. «Les moyens mis en œuvre pour la défense de cette cause sont-ils pertinents? L’activisme est-il, au XXIe siècle, le bon moyen pour défendre une cause légitime, et ne tend-il pas au contraire à braquer celles et ceux que ladite cause aurait pu motiver. Le tribunal ultraexpéditif mis en place par les réseaux sociaux […] pourrait inspirer quelque prudence et appeler à la mesure. Il est aussi à craindre que l’audace des esprits libres, même (et surtout) excessifs, ne se résume plus qu’à un buzz et à un nombre de “j’aime”.»

Emmanuel Pierrat en vient à se poser la question de la politique et de la morale: couple fusionnel ou incestueux? «Désormais, la morale triomphante est aux commandes, ce qui n’est pas sans conséquences et instaure un lien de cause à effet entre l’irréprochable vertu exigée du politique et son talent à mettre en œuvre de bonnes réformes pour les citoyens», explique l’auteur de La Prison de verre. Cela accroîtra, selon lui, la désaffection à l’égard des politiques, déjà bien déconsidérés. Il n’empêche, cette préoccupation supposée ne doit pas masquer le caractère essentiel du combat contre les violences sexistes et sexuelles.

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