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Lutte contre les dérives sectaires: les moyens manquent en Belgique

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Tant pour l’analyse des phénomènes sectaires que pour l’accompagnement des victimes, les moyens manquent en Belgique. Mais quelques signaux encourageants apparaissent.

En forçant à peine le trait, c’est avec des bouts de ficelle qu’œuvrent les protagonistes en Belgique, qu’il s’agisse du travail d’analyse fourni par le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) ou de l’accompagnement des victimes.

Le temps des grandes préoccupations du public et des politiques semble lointain. Il remonte aux années 1990, essentiellement. A l’époque, plusieurs événements marquaient les esprits. On songe, entre autres, aux suicides collectifs de l’Ordre du temple solaire, au milieu de cette décennie. Ils faisaient 74 victimes au Canada, en Suisse et en France. Un lien existait avec notre pays, à travers un des gourous, l’homéopathe belge Luc Jouret.

Un autre fait marquant fut, en 1995, l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, qui causa une douzaine de morts et plus de cinq mille blessés. A la manœuvre, la secte Aum Shinrikyo et son gourou Shoko Asahara, qui prévoyait des actes bien plus dévastateurs encore.

C’est à l’aune de ces événements que les autorités belges mirent sur pied une commission d’enquête parlementaire «sectes», en 1996. Le résultat le plus tangible fut la création, en 1998, du CIAOSN, attaché au SPF Justice mais foncièrement indépendant.

Un quart de siècle plus tard, il doit composer avec les moyens du bord. Un conseil d’administration de seize personnes pour une équipe de huit collaborateurs, qui ne comporte même plus d’analyste néerlandophone (ce vide sera bientôt comblé), ce n’est pas pléthorique. «Malgré le sous-financement et le sous-effectif, le CIAOSN fonctionne», assure sa directrice, Kerstine Vanderput, en grande partie grâce à la pugnacité du personnel et du conseil d’administration, présidé par l’ancien président du Comité R, Guy Rapaille.

En théorie, le centre remplit des missions d’information, d’avis et de recommandation. Avec les effectifs à disposition, c’est essentiellement la première qui l’occupe: fournir des informations aux citoyens ou aux autorités qui le demandent, sur tel mouvement ou telle tendance, sur le phénomène sectaire, etc. Lorsqu’un sujet de préoccupation émerge, le CIAOSN réalise des fiches d’information, très factuelles. Parmi les dernières notes, on en retrouve consacrées au collectif Yes Now, à l’organisation ManKind Project, au mouvement des Citoyens souverains, au réseau Solaris, à l’institut Ordo Iuris.

«Il n’y a ni jugement ni positionnement. Nous sommes un centre d’information, il ne nous appartient pas de déterminer si un mouvement est sectaire ou non», précise Kerstine Vanderput. Il s’agit encore moins d’établir une liste illusoire de sectes.

Il n’y a ni jugement ni positionnement. Nous sommes un centre d’information.

Kerstine Vanderput

Le politique moins préoccupé par les dérives sectaires

Côté politique, l’ex-député fédéral André Frédéric (PS) a longtemps été associé à la lutte contre les dérives sectaires. Désormais président du parlement de Wallonie, il reste actif à travers l’asbl Aviso, qui vient en aide aux victimes de sectes, et préside la Fecris (Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme). C’est à ce titre qu’il participera, ce 25 mars à Marseille, à un colloque sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé.

André Frédéric ne siège plus à la Chambre depuis 2019. Et il faut bien constater que la problématique ne fait pas l’objet d’un intérêt politique de premier plan, sauf auprès de quelques rares élus, parmi lesquels les députés André Flahaut (PS) et Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen).

«J’espère que cela n’arrivera pas, mais le jour où surviendra un gros accident, il y aura un regain d’attention. Les médias et la population se tourneront vers le politique, en lui demandant ce qu’il a fait pendant tout ce temps», commente Stefaan Van Hecke, qui interpelle à l’occasion le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), compétent en la matière.

Le jour où surviendra un gros accident, il y aura un regain d’attention.

Stefaan Van Hecke

Une explication de ce relatif désintérêt remonte au contexte des attentats terroristes de 2015 et 2016, qui ont reconfiguré les priorités. C’est en particulier le cas de la Sûreté de l’Etat. En 2015, le Conseil national de sécurité approuvait une réorientation des moyens vers le terrorisme. Conséquence: les renseignements n’étaient plus appelés à mener un suivi actif des organisations sectaires nuisibles, qui ne se sont pas évaporées pour autant.

«Un vent nouveau»

La donne a quelque peu changé ces derniers mois. «C’est un vent nouveau», note d’ailleurs Kerstine Vanderput. Francisca Bostyn a pris les rênes de la Sûreté de l’Etat l’an dernier. Dans son récent rapport 2021-2022, le service de renseignement cite les organisations sectaires nuisibles comme une des matières dont elle pourra désormais assurer un suivi plus poussé. Avec le CIAOSN comme interlocuteur privilégié.

Surtout, le gouvernement fédéral a confirmé, en 2021, un quasi doublement des effectifs, passant de 583 agents à mille en 2024 (ils étaient 810 fin 2022). Grâce à ces nouveaux moyens, «la Sûreté de l’Etat pourra faire preuve d’une attention renouvelée en ce qui concerne les organisations sectaires nuisibles», confirme-t-on au service de renseignement. L’an dernier, un «single point of contact» a été désigné pour se charger de la concertation avec le CIAOSN. Ce qui n’est jamais qu’un retour à la normale, note Kerstine Vanderput.

Une meilleure courroie de transmission s’est instaurée entre les deux services. La communication, Kerstine Vanderput s’efforce d’ailleurs de l’entretenir, toujours avec les moyens du bord, avec l’ensemble des services de sécurité.

Désormais, indique la Sûreté de l’Etat, «toute information entrante relative aux organisations sectaires est priorisée de la même manière que toute autre information. Cette priorisation est notamment basée sur l’existence d’un lien entre les activités de l’organisation sectaire nuisible et une des autres menaces pour lesquelles la Sûreté de l’Etat est compétente, comme la lutte contre l’espionnage, le terrorisme, l’extrémisme et l’ingérence.»

Enfin, un domaine pour lequel les moyens font cruellement défaut en Belgique est celui de l’aide aux victimes. Elles présentent des profils variés, qu’elles soient les premières concernées ou, plus souvent, des proches.

Il existe bien l’une ou l’autre association, l’asbl Aviso en premier lieu, qui assurent écoute, conseils et orientation. En Flandre, SAS Sekten propose une aide aux victimes, mène des recherches et sensibilise. En Région de Bruxelles-Capitale, le Savecs (Service d’aide aux victimes d’emprise et de comportement sectaire) assure des consultations psychologiques même s’il a fait face au départ de deux psychologues.

Concernant l’aide aux victimes, à vrai dire, le tour du propriétaire est rapidement effectué.

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