LinkedIn, ce nouveau lieu de drague: «C’est compliqué de rencontrer l’amour quand on passe huit heures au boulot»
Le réseau social professionnel est de plus en plus utilisé à des fins de séduction. Un phénomène qui s’explique par le déclin des applications de rencontre traditionnelles, et une «facebookisation» de LinkedIn, qui tend à devenir un réseau personnel.
Exit Tinder, place à LinkedIn ? Le réseau social professionnel au milliard d’utilisateurs dans le monde serait devenu un terrain privilégié de séduction.
Draguer sur LinkedIn est devenu une pratique courante. Aux Etats-Unis, 54 % des célibataires de 20 à 40 ans présents sur la plateforme ont confié y avoir recours pour rencontrer un ou une partenaire, ressort-il d’une enquête de DatingNews.com. 45 % des Etats-uniens le préfèrent aux sites et applications de rencontre traditionnels, tels que Tinder ou Bumble.
En France, 47 % des inscrits ont déjà été abordés à des fins de séduction, dont 15 % fréquemment, révèle également une enquête l’entreprise de conseil numérique Digitiz. La Belgique ne semble pas échapper au phénomène. «En cinq ans sur LinkedIn, j’ai dû recevoir une dizaine de messages de drague, raconte Lobke Van den Wijngaert, cheffe en gastro-ingénierie. Ce sont très souvent des personnes que je ne connais pas, qui se connectent à mon profil par intérêt professionnel. La conversation démarre toujours dans un but professionnel, puis ils finissent par glisser un compliment sur mon physique ou un sous-entendu pour aller boire un verre.»
«Statistiquement, il y aurait plus de rencontres qui se créent sur LinkedIn que sur une application de rencontre», confirme Aurélie Jean, scientifique numéricienne spécialiste des algorithmes dans un entretien à paraître sur Le Vif. «Ce qui confirme qu’à chaque fois qu’on met entre les mains de personnes un outil social, ils l’utilisent aussi à des fins sentimentales, ce qui n’est pas étonnant car l’amour est certainement le plus vieux sujet de l’humanité».
Cela est dû à la nature intrinsèque d’un réseau social, qu’il soit virtuel ou réel. Soit «amener la conversation. Qui dit conversation, dit séduction», confirme Xavier Degraux, expert en marketing digital et réseaux sociaux.
LinkedIn, un réseau fiable
Dans son ouvrage, Aurélie Jean défend également le fait que LinkedIn donnerait des indications qu’aucune application de rencontre ne fournit, «comme la sensibilité intellectuelle, émotionnelle et politique de chacun à travers les contenus qu’il partage, et ses commentaires.»
Contrairement aux applications de rencontre, «il y a une forme de fiabilité des données sur les profils. Il est possible de voir les relations des autres, il y a un niveau de connaissance sur la personne plus important», renchérit Xavier Degraux. Une exigence informationnelle qui reflète le déclin des applications de rencontre traditionnelles. Depuis quelques années, ces dernières ont moins la cote. Elles ont atteint un pic en 2019 avec 287,4 millions de téléchargements, mais sont tombées à 237 millions en 2023.
«Cette usure globale», est liée à un phénomène de «dating fatigue», observé en particulier chez les plus jeunes utilisateurs, qui estiment la pratique du swipe and match chronophage, anxiogène et finalement décevante car incapable de provoquer des rencontres ou relations intéressantes. A contrario des sites et applications, qui proposent «de plus en plus d’offres payantes et limitantes», LinkedIn est totalement gratuit, note Xavier Degraux.
«L’utilisation croissante de LinkedIn pour des fins amoureuses reflète une évolution sociétale vers des interactions plus authentiques et significatives. Cela soulève des questions intéressantes sur l’avenir du réseau et son positionnement entre le professionnel et le personnel», pose Serge Dielens, consultant et professeur en communication.
«Facebookisation»
LinkedIn tend-t-il à se «déprofessionnaliser» ? La plateforme fait face a un phénomène de « »facebookisation » depuis qu’elle a explosé en popularité il y a 4 ou 5 ans», explique Xavier Degraux. Vu le nombre grandissant du réseau (1,8 million de profils actifs en Belgique), «les usages s’élargissent et des comportements plus à la marge prennent place».
«Depuis le début du Covid, on observe un élargissement des thématiques abordées, avec des messages plus personnels, de type « les six leçons à tirer pour mon business de mon divorce »», raille l’expert digital. Ce genre de publications, qui ont statistiquement plus de succès, ont tendance à être favorisées par l’algorithme.
Cette personnalisation sur LinkedIn reflète une tendance sociétale plus large, analyse Serges Dielens. La sphère professionnelle et personnelle sont de plus en plus imbriquées. «C’est compliqué de rencontrer l’amour ailleurs quand on passe huit à dix heures par jour dans un environnement professionnel», appuie Xavier Degraux.
Allure de harcèlement
Si certains trouvent l’amour sur la plateforme, d’autres peuvent subir des messages déplacés ou des comportements qui s’apparentent à du harcèlement. Chose qui concerne surtout les femmes évidemment. Une étude de 2023 estimait que 91 % des utilisatrices de LinkedIn aux Etats-Unis, auraient déjà reçu au moins une fois des avances ou messages inappropriés. «Je n’ai jamais rien vécu de vraiment déplacé mais j’ai déjà reçu un message tard dans la soirée de quelqu’un que j’avais déjà éconduit quelques temps plus tôt. En général, je reste toujours polie car c’est un espace professionnel, mais c’est lourd, ce n’est pas le lieu pour», râle Lobke Van den Wijngaert.
Qu’en pense l’entreprise ? «Nous sommes avant tout une communauté professionnelle et nous encourageons nos membres à s’engager dans des conversations significatives et authentiques. Bien entendu, cela peut également inclure des discussions plus légères, tant qu’elles restent respectueuses et n’enfreignent pas nos politiques communautaires. Les avances romantiques non désirées et le harcèlement ne sont pas autorisés. Nous encourageons nos membres à le signaler», répond Lara van Horssen, porte-parole de Linkedin Europe. En volume, les plaintes pour messages inappropriés sur la plateforme ne sont pas les plus fréquentes, avance toutefois Xavier Degraux.
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