Les tourments du combat contre les complotistes
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt explique à quoi expose l’établissement de la vérité face aux fake news. Inquiétant.
Le site Conspiracy Watch fut créé en 2007 pour «être utile, faire gagner du temps aux internautes, leur montrer d’où viennent les théories du complot, par quels circuits elles sont passées, les conséquences qu’elles ont eues et les bonnes raisons d’en douter». Son directeur et cofondateur, Rudy Reichstadt, détaille dans Au cœur du complot (1) ce que la gestion de ce service d’utilité publique lui a valu, ainsi qu’à ses collègues, comme campagnes de calomnies et de haine.
Sa «première menace de mort caractérisée», reçue dès 2010, n’est qu’une parmi les nombreuses intimidations proférées à son encontre par les milieux complotistes. Suivront les insultes régulières sur les réseaux sociaux, les reproches de servir tel lobby ou de tel cénacle créé pour dominer le monde, les accusations récurrentes de «pédocriminalité élitiste», les éructations menaçantes jusque devant son bureau… Autant de réactions qui sont somme toute pour l’auteur «la confirmation que nous visons juste et que nous perturbons le tranquille ronron de l’entreprise de réécriture de la réalité». Bref, «les risques du métier». Auxquels Rudy Reichstadt fixe tout de même une limite. «C’est l’inquiétude pour les proches, la perspective qu’ils puissent être éclaboussés eux aussi par la fange et, par-dessus tout, qu’il puisse leur arriver quelque chose.»
Plus que l’intimidation ou la terreur, ce qui est recherché, c’est la paralysie de notre action.
Ces campagnes en disent en fait beaucoup sur ceux qui les orchestrent. Les complotistes ont peu d’imagination ; leurs accusations sont toujours les mêmes. Leurs réactions sont disproportionnées «aussi bien par la fantaisie des accusations que par la violence des commentaires […] qui contrastent avec la placidité de nos interventions», insiste le directeur de Conspiracy Watch. Car le site d’information a pour règle de documenter scrupuleusement ses enquêtes pour ne pas donner prise à la polémique.
Ce qui n’empêche pas les complotistes de l’alimenter. Rudy Reichstadt et ses collègues sont alors confrontés à un dilemme entre deux mauvais choix: leur répondre les légitime, ne pas leur répondre les conforte dans leur fantasme du complot... «Plus que l’intimidation ou la terreur, ce qui est recherché [par les théoriciens du complot] est la paralysie de notre action, la congestion», analyse Rudy Reichstadt qui cite, entre autres exemples, des figures d’extrême droite – tant le complotisme rime souvent avec l’antisémitisme –, des gilets jaunes, mais aussi des personnalités des milieux politiques et universitaires… Au cœur du complot rappelle combien la pression des conspirationnistes peut être dangereuse et combien il importe de soutenir ceux qui les confondent.
(1) Au cœur du complot, par Rudy Reichstadt, Grasset, 120 p.
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