Les notations pervertissent-elles les êtres humains?
Dans Tous notés!, l’économiste Pierre Bentata estime que la prolifération des commentaires instille la peur de l’autre et la crainte de l’échec.
Après celle des restaurants et des appartements, après celle des livreurs et des chauffeurs, l’évaluation des professeurs, qui est à l’étude en Belgique et se développe tout en continuant à susciter des questions dans les universités en France, tendrait à montrer que l’on est face à un mouvement inéluctable, symbole de progrès. Economiste et essayiste, Pierre Bentata veut réfréner cette tendance en mettant en exergue ses possibles dérives dans Tous notés! (1).
L’analyse qu’il fait du phénomène n’est pas passéiste et nostalgique d’un temps glorieux révolu. Les «notes, commentaires, pouces, likes, étoiles…», rentrés depuis quelques années dans les usages courants, ont des effets positifs, estime-t-il. «Bons serviteurs, ils équilibrent les relations entre consommateurs et entreprises, synthétisent une information toujours plus abondante et facilitent l’expression des opinions.» Pour illustrer le premier avantage de cette liste, le système Uber s’est imposé à l’auteur. «Quiconque a utilisé un taxi parisien avant et après l’arrivée d’Uber sait parfaitement que cette mécanique concurrentielle a eu des effets miraculeux: parce que les chauffeurs Uber étaient notés par les clients, ils devaient être courtois et attentifs, ce qui a attiré les voyageurs et plongé les taxis dans la crise, contraignant ces derniers à se mettre à niveau.»
Mais il y a aussi le revers de la médaille, les effets négatifs sur lesquels se penche principalement Pierre Bentata. «Mauvais maîtres, [les notes, commentaires…] imposent un climat de compétition permanente, réduisent l’humain à l’état de chiffres et dévalorisent ce qui échappe à leur joug.» La peur de l’autre, parce qu’«autrui n’est plus une altérité, mais un juge», la peur de l’échec, parce qu’il sera aussitôt stigmatisé publiquement sur les réseaux sociaux, ou l’idée que «ce qui ne peut être noté est sans valeur» sont des conséquences de cette démocratisation des systèmes d’évaluation.
Comme on peut difficilement s’y soustraire, peut-on au moins en atténuer les effets délétères? A la dictature des notations, Pierre Bentata oppose un sursaut des citoyens. «Prenant conscience qu’à chaque jugement, nous en disons davantage sur nos vicissitudes que sur les autres, peut-être comprendrons-nous que mieux vivre, c’est moins juger. Et toutes ces notes n’auront pas été sans valeur.» Tous notés! a de la valeur. Ce n’est pas pour cela qu’il sera noté.
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