Les leçons de la neurolinguistique pour l’apprentissage des langues: pourquoi le par cœur ne sert pas à grand-chose
Les études neurolinguistiques se multiplient et insistent sur l’importance de la communication orale pour apprendre des langues étrangères. Des indications précieuses pour réimaginer la façon de les enseigner.
Pendant les grandes vacances, les stages linguistiques pullulent. Séjours à l’étranger, immersions pour jeunes et adultes… Chaque offre explore sa propre technique. Mais quelle est la plus efficace? La neurolinguistique – branche des neurosciences – s’est saisie de cette question, en se penchant sur les mécanismes neurologiques à l’œuvre lors de l’acquisition du langage.
Premier constat: l’importance du contexte. Lorsque le cerveau apprend une langue, il faut qu’il «fasse des liens», sans quoi il n’enregistre pas sur le long terme. «C’est ce qui fait qu’une matière apprise par cœur pour un examen est vite oubliée, ou est difficilement récupérable», indique Annick Comblain, professeure à l’ULiège et spécialiste du bilinguisme.
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Ces liens débutent grâce au bagage linguistique, qui peut favoriser la mémorisation, tant du vocabulaire que des structures grammaticales. «Il n’existe pas une aire du cerveau pour la langue A et une autre pour la B. Il y a une interdépendance», souligne la spécialiste. Autrement dit, un francophone pourra par exemple plus facilement apprendre l’italien que le russe, grâce à la proximité des deux idiomes.
Les listes de vocabulaire: mauvaise idée
Mais rien ne servirait de gaver son cerveau de listes de vocabulaire apprises par cœur qui, sans contexte dans lequel les ancrer, seront vite oubliées. «En anglais, « mouton » se dit « sheep ». Mais au restaurant, on peut dire « mutton ». D’où l’intérêt d’être en accord avec son environnement.»
Se rassasier de films sous-titrés ou de jeux vidéo en langue étrangère ne constituerait pas davantage une solution miracle. «Regarder une émission permet d’avoir la mélodie dans l’oreille, pas de parler», tranche-t-elle.
De même, selon les enseignements de la neurolinguistique, la réalisation de traductions n’aide pas vraiment à apprendre une langue. Car le cerveau opère la distinction entre la traduction d’une idée et son expression. A l’inverse, les exercices d’expression fonctionnent bien, tant à l’oral qu’à l’écrit : le cerveau formule des idées afin de rendre possible une véritable interaction.
Mais l’expression n’est rien sans la correction. «Enfant, par exemple, on apprend qu’il ne faut pas dire « des chevals » mais « des chevaux », compare Annick Comblain. La règle de grammaire est apprise beaucoup plus tard à l’école pour avoir une bonne orthographe, mais elle est déjà intégrée à l’oral.»
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Corriger les erreurs des apprenants sur base de phrases contextualisées, c’est notamment ce que proposent certaines applications, comme Duolingo, qui compte un demi milliard d’utilisateurs à travers le monde et qui fut sacrée «meilleure façon d’apprendre une langue» par le Wall street journal. «Cela pourrait fonctionner chez l’adulte, chez qui les capacités cognitives sont supérieures et la motivation plus présente, estime la professeure de l’ULiège. Mais un enfant aurait du mal à apprendre avec cette application, qui ne permet pas la spontanéité. Ou il faudrait alors qu’il soit accompagné.»
Plusieurs sites et applications commencent à intégrer l’intelligence artificielle pour reproduire des discussions réalistes tout en corrigeant les fautes. Mais rien ne remplacerait une véritable interaction dans la vie réelle, selon les enseignements de la neurolinguistique. Soit via des tables de conversation, soit lors de cours portant une attention particulière à l’expression orale ou écrite. Ou via l’immersion, dont de nombreuses études ont démontré l’efficacité.
«Mais malheureusement, conclut Annick Comblain, les enseignements de la neurolinguistique sont peu pris en compte dans l’enseignement traditionnel. La plupart des cours consistent en la récitation de règles de grammaire apprises par cœur, sans un entraînement quotidien pour les appliquer. On ne passe pas au stade de la communication.»
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