L'environnement numérique n'est pas une évidence pour certains jeunes.
L'environnement numérique n'est pas une évidence pour certains jeunes.

Les jeunes, à l’aise avec les outils numériques ? Ces chiffres qui cassent l’image des « digital natives »

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

La dernière enquête de Statbel sur les compétences numériques des Belges montre une progression sensible ces dernières années, mais certains chiffres interpellent. Notamment chez les jeunes adultes, baignés dans un monde digital depuis toujours, mais pas forcément tous capables de nager habilement dans cet environnement mouvant.

Avoir sa banque au creux de la main, via le smartphone. Prendre rendez-vous chez le médecin en quelques clics sur son site internet. Remplir sa déclaration d’impôts qui rime avec taxonweb pour beaucoup. Le numérique s’est imposé dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. Mais reste loin d’être une évidence pour tous.

Dans sa dernière enquête, Statbel, l’office statistique belge, pointe les progrès des compétences numériques des Belges. Ils sont désormais 59%, en 2023, à avoir des compétences de base ou avancées dans ce domaine. C’est plus que lors de l’enquête de 2021 (54%).

Une fracture numérique se marque pourtant et de nombreux Belges restent à quai face au train lancé à pleine vitesse de la digitalisation. Le public plus âgé en tête, mais pas uniquement.

Certains chiffres plus détaillés dévoilent notamment ces franges de jeunes pour qui le digital n’est pas une évidence. Chez les 16-24 ans, 10% déclarent n’avoir aucune compétence en création de contenu numérique, soit l’utilisation d’outils comme le traitement de texte.

Plus globalement, 30% de ces jeunes adultes ont des compétences « faibles » en matière digitale. C’est plus que les 25-34 ans et que les 35-44 ans. De quoi se poser des questions sur ceux décrits parfois comme des « digital natives », des « natifs du numérique ».

La suite de l’article en dessous de l’infographie

De nombreuses inégalités entre les jeunes

« Ces chiffres ne m’étonnent pas du tout », commente Périne Brotcorne, chercheuse et chargée de cours à l’UCLouvain. Elle a notamment participé à la rédaction du baromètre de l’inclusion numérique, basé sur l’enquête de Statbel en 2021, qui posait déjà les mêmes constats. « Ces chiffres cassent une idée reçue sur cette population de jeunes, beaucoup plus hétérogène qu’on ne le pense. De nombreuses inégalités persistent entre eux. Leurs besoins de formation sont donc potentiellement fort variables ».

Les compétences numériques des 16-24 ans varient en effet énormément selon leur situation. Ceux qui n’ont terminé que leur secondaire inférieur sont 45% à avoir des compétences faibles, contre 27% chez les diplômés du secondaire supérieur et 22% pour ceux de l’enseignement supérieur, détaillait le baromètre de l’inclusion numérique.

Le numérique n’est pas inné

« Certes, les plus jeunes vivent dans un environnement numérique et utilisent énormément leur smartphone par exemple. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils sont incités à développer des usages plus complexes. Utiliser certains outils, comme le traitement de texte, n’est pas inné et ils ne vont pas faire ça dans leurs loisirs. Cela demande un apprentissage », complète la spécialiste des inégalités sociales numériques.

Si les jeunes adultes gèrent parfaitement les outils sous le label « communication et collaboration » (messagerie instantanée, réseaux sociaux, emails, etc.), d’autres domaines posent plus de problèmes. Les questions de sécurité numérique autour de nos données personnelles notamment : 41% seulement disent maîtriser ces aspects de façon « avancée » et 22% déclarent n’avoir aucune compétence dans ce domaine.

« C’est une thématique complexe. Cela témoigne aussi peut-être d’une préoccupation moindre des jeunes par rapport à la protection de leurs données personnelles », explique la chercheuse.

Se former pour devenir « citoyen numérique »

Celle-ci plaide pour une réflexion plus large autour de la citoyenneté numérique, poussant à mieux comprendre les outils. « Si les formations que l’on veut pousser se limitent au fonctionnel, où j’apprends à être un utilisateur, je n’aurai pas de capacité critique et de réflexion critique sur le numérique. Par exemple, par rapport à l’utilisation de mes données personnelles. Ce sont des formations qui ne se feront pas en quelques heures, c’est un travail de plus longue haleine ».

Dans le baromètre de l’inclusion numérique, un point particulier taclait également le mythe des natifs du digital. « Les données tendent à montrer que cette catégorie de personnes ne s’affranchit pas des inégalités sociales intragénérationnelles qui la traversent », écrivaient les chercheurs.

Ceux-ci demandaient dès lors un renversement de perspective, « plutôt que d’imputer aux jeunes générations des compétences qui leur seraient naturelles ou inhérentes » en matière numérique. Parmi les préoccupations majeures, la nécessité de dépasser la seule compétence d’usage du numérique et la nécessité de prendre en compte les défis spécifiques liés aux jeunes, « tels que le cyberharcèlement ou le regard critique sur les informations en ligne », concluaient les rédacteurs.

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