Les femmes sont-elles malades différemment des hommes?
Les stéréotypes de genre peuvent, dans certains cas, peser sur la prise en charge des patientes et nuire au bon diagnotic, estime la Mutualité chrétienne, qui publie un rapport sur la place des femmes dans les soins de santé.
Les patients sont-ils considérés ou écoutés différemment par les médecins selon qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme? Une étude menée par la Mutualité chrétienne (MC) répond par l’affirmative. Dans une certaine mesure, du moins. On sait en effet que des inégalités existent en matière de santé mais celles-ci sont souvent attribuées à des réalités socio-économiques ou environnementales différentes. Or, ces différences peuvent également résulter de discriminations basées sur l’origine du patient ou de la patiente, de son genre ou de son orientation sexuelle.
L’étude que publie la MC tente de répondre à l’épineuse question du biais de genre: la pratique médicale de la prévention, du diagnostic et du traitement en Belgique est-elle imprégnée des valeurs et des représentations sur les sexes. Si c’est le cas, cette situation crée-t-elle des inégalités en santé entre les femmes et les hommes?
Pas que biologiques
Premier constat: si les hommes souffrent davantage de maladies chroniques potentiellement mortelles à un âge plus jeune (maladie coronarienne, cancer, maladie cérébro-vasculaire, emphysème pulmonaire, cirrhose du foie, maladie rénale et athérosclérose), les femmes, elles, présentent des taux plus élevés de troubles handicapants chroniques (maladies auto-immunes et troubles rhumatologiques), ainsi que des maladies gênantes, mais moins dangereuses (anémie, troubles de la thyroïde, troubles de la vésicule biliaire, migraines, arthrite et eczéma). Une enquête de Sciensano publiée en 2021 confirme par ailleurs que les femmes déclarent plus souvent des maladies de longue durée que les hommes et qu’elles se sentent plus limitées dans leurs activités. Une tendance confirmée par les données de la MC qui, parmi ses membres, a recencé en 2021 15,4% de femmes souffrant de maladies chroniques, pour 11,3% d’hommes.
Comment expliquer ces différences qui s’accentuent? « Il est démontré que la longévité des femmes peut être partiellement expliquée par les différences hormonales, les femmes étant plus protégées des maladies cardiovasculaires que les hommes grâce à un niveau plus élevé d’oestrogène. En même temps, avec l’âge et le début de la ménopause, le niveau d’oestrogène baisse ce qui expose les femmes à un risque accru d’ostéoporose, responsable de nombreuses fractures de la hanche, des vertèbres ou du poignet, et à des maladies cardiovasculaires ». Une différence qui doit être prise en compte mais qui ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des différences de santé observables, nuance le rapport. Quant aux variables socio-économiques, elles sont connues et ont déjà été pointées dans de précédentes études. En substance: les femmes étant plus à risque de tomber dans une situation de précarité, l’accès aux soins de santé peut s’avérer plus difficile pour elles.
Sous-représentées
A ce jour, il n’existe pas d’analyse quantitative ou qualitative sur la question du biais de genre. Mais certains travaux permettent de répondre partiellement à la question. Ainsi, une étude publiée en 2022 constate une sous-représentation systématique des femmes dans les essais contrôlés randomisés dans des domaines tels que les maladies cardiovasculaires, les néoplasmes, les maladies du système endocrinien, les maladies des voies respiratoires, les infections bactériennes et fongiques, les maladies virales, les maladies du système digestif et les maladies du système immunitaire. Sur les 300 études analysées par les auteurs, le taux d’inscription médian global des femmes était seulement de 41% et diminue avec l’âge des participants aux essais. Les femmes de moins de 45 ans constituent 47% des participantes aux études et celles âgées de plus de 63 ans seulement 33% des participantes. Or, ce sont ces femmes plus âgées qui présentent le plus de soucis de santé.
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Plus plaintives?
Qu’est-ce qui justifie cette sous-représentation? « Le corps des femmes serait trop
complexe, trop variable, notamment à cause des fluctuations hormonales associées au cycle menstruel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y femmes risquent d’être testées dans cadre des études au moment où leur cycle est dans la première phase folliculaire, c’est-à-dire où elles ressemblent le plus aux
hommes, l’idée étant justement de minimiser l’impact éventuel de l’estradiol et de la progestérone sur les résultats de l’étude. Or, dans la vie réelle les femmes prennent des médicaments et subissent
des traitements tout au long de leur cycle menstruel et cela veut dire qu’elles sont exposées à des impacts qui n’ont pas fait l’objet d’investigations », appuye le rapport de la MC.
Le rapport paternaliste et sexiste de la science en général ferait également partie du problème. Les femmes étant encore trop souvent considérées comme plus fragiles et émotionnelles, elles auraient tendance à se plaindre à la moindre douleur. Ce sont pourtant elles qui se montrent le moins disponibles pour se faire soigner, étant souvent trop accaparées par les tâches familiales ou d’autres impératifs.
Un stéréotype de genre qui amèneraient les professionnels à niveler le ploint de vue des femmes, « avec pour conséquence un risque accru de mauvais diagnostic ou de ne pas avoir de diagnostic du tout alors qu’une maladie est bien présente ». Cela peut être le cas pour les pathologies spécifiquement féminines, comme l’endométriose, mais aussi les maladies cardiovaculaires. « Les femmes souffrant de cardiopathie ischémique sont souvent sous-diagnostiquées parce que leurs symptômes s’écartent des symptômes masculins pris comme référence ». La prise en charge peut elle aussi varier: selon les chiffres du KCE, au cours de l’année 2021, les femmes ont eu trois fois moins de reperfusions myocardiques que les hommes.
Enfin, le rapport des MC attire l’attention sur une autre réalité: la sous-représentation des femmes dans les fonctions dirigeantes des soins de santé. » Selon nos calculs, au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins seulement cinq membres parmi les 38 sont des femmes, soit 13% des membres et suppléants confondus. De même, l’Académie royale de médecine de Belgique compte 16 femmes parmi ses 86 membres titulaires, soit à peine 1 membre sur 517. Ou encore, parmi les 159 directeur et directrices des hôpitaux belges seulement 33 sont des femmes, soit à peine 21% ». Par contre, parmi les 17.914 généralistes exerçant en Belgique, 46% sont des femmes. Chez les médecins spécialistes, 45% sont des femmes et 55% sont des hommes. Dans ces deux groupes, la même tendance va même vers la féminisation de la profession grâce aux jeunes générations.
Pour équilibrer toutes ces tendances, les MC recommandent, entre autres, de développer davantage d’analyses spécifiques sur le genre, de mettre en place un monitoring des discriminations de genre en santé et d’adapter les protocoles médicaux afin de mieux prendre en compte les spécificités des patients.
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