© MELINA S./CHÂTEAU DE BOUILLON

Les fauconniers, aussi décriés qu’admirés: «En Belgique, on est moins de dix à en faire notre métier»

Estelle Spoto Journaliste

L’essentiel

• La pratique de la fauconnerie est remise en question par des associations de protection des animaux.

• Cette tradition millénaire est pratiquée par 300 à 400 fauconniers en Belgique mais moins de dix en ont fait leur métier.

• Il faut distinguer la volerie (le vol libre) de la fauconnerie (l’art de la chasse).

• La fauconnerie en tant que pratique de chasse est reconnue depuis 2021 comme patrimoine culturel immatériel par l’Unesco.

• La fauconnerie remonte à la sédentarisation de l’homme.

Les fauconniers perpétuent une tradition vieille de plusieurs millénaires. Les débats autour de cette pratique s’ancrent dans une remise en question des liens qui unissent l’humain et l’animal.

Un dimanche ensoleillé d’été. Dressé sur ses pitons rocheux au-dessus de la Semois, le château de Bouillon fait le plein de visiteurs. A l’entrée, on les informe: le billet donne droit à assister au spectacle de fauconnerie, présenté quatre fois par jour dans la grande cour. C’est là qu’on retrouve Ivan de Gier, en tenue d’inspiration médiévale, pendant sa pause de midi.

Il le dit lui-même: avec un nom de famille pareil –«gier» signifie vautour en néerlandais–, il était prédestiné à s’intéresser aux rapaces. A 16 ans, il rencontre un fauconnier, s’initie aux technique d’affaitage (on ne parle pas de dressage en fauconnerie) et à 20 ans, en 1998, crée son entreprise Falcon’s Residence. Aujourd’hui, Ivan de Gier est l’un des rares fauconniers belges à vivre de sa passion. «En Belgique, on est entre 300 et 400 à pratiquer la fauconnerie. Mais moins de dix à en faire notre métier», précise-t-il. Les sources de revenus de son entreprise? D’une part l’effarouchement, qui consiste à effrayer avec des rapaces les pigeons ou mouettes installés en masse sur un site, industriel ou autre. D’autre part, soit environ 55% de son chiffre d’affaires, les démonstrations de fauconnerie, de février à novembre au château de Bouillon, mais aussi au Domaine de Palogne (Ferrières).

«On est entre 300 et 400 à pratiquer la fauconnerie. Mais moins de dix à en faire notre métier.»

Cependant, le volet principal des activités de Falcon’s Residence se trouve dans le viseur de certaines associations de protection de l’environnement. Dont la Ligue royale belge pour la protection des oiseaux (LRBPO). En mai dernier, en pleine campagne électorale, elle publiait sur son site un mémorandum reprenant treize «mesures essentielles destinées à préserver la faune sauvage» soumises aux différents partis politiques. Mesure numéro 5: «Mettre fin aux exhibitions publiques d’oiseaux de proie.» Les Engagés s’y montraient favorables –«oui, les démonstrations de rapaces représentent un problème qui touche au bien-être animal.» Le MR était défavorable –«non, la fauconnerie est une tradition millénaire. Ces démonstrations peuvent avoir un objectif pédagogique et les oiseaux ne sont pas toujours en captivité.»

Le 18 juillet, en réaction à la Déclaration de politique régionale (DPR) wallonne présentée par les deux partis, la LRBPO regrettait sur son site que sa demande d’interdiction de démonstrations de rapaces n’y soit pas reprise. Ivan de Gier pourra donc encore faire voler pendant cinq ans au moins ses chouettes, buses et vautours urubu à Bouillon.

Chasse et volerie

En réalité, les prises de position du MR et des Engagés mêlent deux pratiques qui, bien que très liées, ne se recouvrent pas totalement. «La fauconnerie est l’art de la chasse avec un rapace, souligne Evy Mouraux, qui gère depuis 2019, avec son compagnon Thibaut Dubois, la fauconnerie Neverland, récemment installée à Isières (Ath). Faire voler des rapaces en vol libre dans une démonstration, ce n’est pas de la chasse, c’est de la volerie. Mais je dis toujours que l’un ne va pas sans l’autre, parce que, avant de chasser, il faut apprendre à son oiseau à revenir au vol

La volerie, en quelque sorte l’étape une de la fauconnerie, ne manque pas d’impressionner les spectateurs, à Bouillon ou ailleurs. Car l’oiseau, libre pourtant de prendre la poudre d’escampette, revient. Après un court ou un long moment, mais il revient. La clé de ce lien invisible? Le principe d’économie d’énergie pratiqué par les prédateurs. «Un prédateur bougera le moins possible, pour garder son énergie pour la chasse, développe Ivan de Gier. Quand on voit une buse perchée au bord de l’autoroute, elle ne bouge pas, elle regarde et elle attend. Elle attend qu’une souris se fasse écraser ou blesser par une voiture. Les prédateurs sont des « fainéants » et les rapaces affaités ont compris qu’avec les humains, ils pouvaient « chasser » sans trop se fatiguer. Parce que chaque fois qu’ils reviennent sur le gant, ils reçoivent une récompense. Chaque fois, c’est une chasse réussie.»

Ivan de Gier (ici au château de Bouillon) est l’un des rares fauconniers belges à vivre de sa passion. © FALCONS RESIDENCE
«Les rapaces affaités ont compris qu’avec les humains, ils pouvaient “chasser” sans trop se fatiguer.»

L’affaitage pour la volerie procède par étapes: «Le premier pas, c’est de garder l’oiseau sur la main, poursuit Ivan de Gier. Ensuite, on se promène avec l’oiseau, pour lui enseigner le mouvement sur le gant. Quand il a mangé pendant quelques jours sur le gant, on lui apprend à sauter sur le gant et on s’éloigne petit à petit. D’abord 30 centimètres, puis 50, puis un mètre… En général, au bout de trois semaines, il revient vers nous sans réfléchir sur une distance entre 25 et 30 mètres, en ligne droite.»

«La fauconnerie est un pacte, affirme de son côté Evy Mouraux. Je te protège, je te soigne, je te nourris et on collabore. Beaucoup de fauconniers forment une vraie équipe avec leur oiseau. Ce sont des partenaires. Un peu comme une relation de couple: je suis là pour toi jusqu’au bout. C’est peut-être un peu fleur bleue dit comme ça, mais nous, c’est comme cela qu’on voit la chose.»

La tapisserie de Bayeux (XIe siècle) témoigne de l’essor de la fauconnerie au Moyen Age en Europe. © Getty Images

Sauvage vs domestiqué

La fauconnerie en tant que pratique de chasse est reconnue depuis 2021 comme patrimoine culturel immatériel par l’Unesco –la Belgique faisait partie des 24 pays qui ont porté la candidature. On distingue la fauconnerie de bas vol, pratiquée avec des buses, des éperviers, des aigles ou des vautours, et la fauconnerie de haut vol, plus impressionnante encore, avec les faucons. Ici, la complicité entre faucon et fauconnier est encore plus importante qu’en volerie. Il s’agit vraiment de faire équipe, comme le souligne Geroen De Smet, fauconnier professionnel depuis les années 1990, initiateur des spectacles de fauconnerie à Pairi Daiza (lire par ailleurs) et au château de Bouillon (avant Ivan de Gier), effaroucheur et éleveur de faucons primés (une deuxième place au Fazza Championship for Falconry de Dubaï en 2020, notamment): «Souvent, depuis mon jardin à Sint-Niklaas, je vois deux faucons pèlerins qui chassent ensemble. Le mâle vole très haut. La femelle, plus grande, vole plus bas et effraie les pigeons, qui s’envolent au-dessus des arbres. A ce moment-là, le mâle, 300 mètres plus haut, effectue un piqué et attrape le pigeon. Quand je chasse, en compagnie de mon chien d’arrêt, je suis en quelque sorte la femelle. Une fois que le chien d’arrêt a pris position, qu’il indique où se trouve la perdrix ou le faisan, on fait monter le faucon, qui a tout compris et qui commence à tournoyer. Quand je demande au chien de sortir le gibier, celui-ci s’envole, et le faucon plonge, comme dans la nature.»

«La fauconnerie est un pacte. Beaucoup de fauconniers forment une vraie équipe avec leur oiseau.»

Tous les animaux étant par essence «sauvages» avant d’avoir été domestiqués par l’homme, on peut se demander pourquoi l’utilisation de faucons pour la chasse est si critiquée comparé à l’utilisation de chiens, ou de chevaux pour la chasse à courre. Pour Geroen De Smet, l’explication est limpide: «Quand l’homme est devenu sédentaire 3.000 ans avant notre ère, il a commencé à domestiquer des animaux –vaches, chevaux, poules, chiens, chats, etc. Ces animaux ont été isolés de la population sauvage pendant des milliers d’années. Leur morphologie et leur comportement ont évolué au fur et à mesure qu’on sélectionnait pour l’élevage les individus qui servaient le mieux l’être humain.»

Dans le cas des faucons, même si la pratique de la fauconnerie coïncide elle aussi avec le début de la sédentarisation, c’est différent. «On attrapait les jeunes faucons, plus faciles à entraîner mais déjà capables de voler. On chassait avec eux pendant la saison de chasse et, en février ou en mars, on les relâchait dans la nature pour qu’ils puissent se reproduire. D’autant qu’à cette période de l’année, ils changent de plumes et ne volent plus de la même manière. La fauconnerie a ainsi utilisé des faucons sauvages pendant des milliers d’années. Ce n’est que dans les années 1970 et 1980 qu’on a commencé la reproduction en captivité. Mais en seulement 40 ans, ces oiseaux élevés en captivité ont pu être domestiqués, parce que génétiquement, ils sont déjà différents de leurs cousins nés dans la nature. Le fait qu’ils arrivent à se reproduire en captivité prouve qu’ils sont heureux, c’est une expression de confort.»

De quoi tacler, en partie au moins, les arguments d’atteinte au bien-être animal. Mais sans doute pas suffisant pour enterrer le débat entre opposants et partisans de la fauconnerie.


A l’ouverture de Pairi Daiza, les spectacles de fauconnerie constituaient une attraction phare. Aujourd’hui, ils ont été remplacés par des «rencontres» avec les animaux et des vols libres sur l’esplanade principale.
PAIRI DAIZA

Le cas Pairi Daiza

Ceux qui ont fréquenté Pairi Daiza dans les premières années suivant son ouverture en 1994, s’en souviennent: les attractions phares étaient alors la grande volière cathédrale et les spectacles de rapaces donnés dans l’amphithéâtre au pied de la tour de l’ancienne église abbatiale. C’est le fauconnier Geroen De Smet qui les a lancés.

Aujourd’hui, les choses ont évolué. L’amphithéâtre n’accueille plus un spectacle de fauconnerie en tant que tel, mais une rencontre avec les animaux: rapaces et autres oiseaux, mais aussi poules, chèvres, chevaux… Et une fois par jour, une dizaine d’oiseaux, rapaces et autres, évoluent en vol libre pendant une demi-heure au-dessus de l’esplanade de l’entrée. «Ces échanges constituent des moments de pédagogie permettant d’observer les oiseaux en plein vol et de découvrir leurs comportements naturels. Voir les animaux de près sensibilise les visiteurs à la nécessité de les protéger», souligne Claire Gilissen, porte-parole du parc.

«S’agissant des questions fondamentales liées au bien-être animal, Pairi Daiza estime que, plutôt que de chercher à vouloir interdire des moments d’amour et de confiance entre des soigneurs professionnels et attentionnés et leurs protégés, il conviendrait prioritairement d’avoir le courage de s’attaquer aux vrais problèmes comme les conditions d’élevage de certains animaux destinés à l’alimentation et l’abattage sans étourdissement validé par le parlement bruxellois. Dans ces deux cas, on continue d’infliger une souffrance inutile et profonde à des êtres sensibles et innocents.»

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