Les dépôts clandestins, véritable fléau pour les villes et les communes: voici où ils sont les plus répandus
La lutte contre les déchets sauvages et les dépôts clandestins est devenue une priorité pour de nombreuses communes. L’utilisation de caméras de surveillance permettrait de réduire de moitié le phénomène, qui représente un coût non négligeable pour la collectivité.
C’est un enjeu majeur des élections communales. A côté de l’insécurité, de la participation citoyenne ou de l’état des finances locales, la propreté publique s’est invitée dans de nombreux débats de campagne. Avec une priorité: lutter contre les dépôts clandestins.
Ce phénomène, largement répandu, consiste à se débarrasser de ses ordures sans respecter les dispositions règlementaires. Un fauteuil eventré déposé à l’angle d’un boulevard, une boîte de vieilles piles laissée à l’abandon en lisière de forêt, voire un sac poubelle sorti en dehors des heures de collecte: tous ces déchets sauvages nuisent à la propreté des villes et des communes et, surtout, dégradent sérieusement l’environnement.
Bien qu’elles soient passibles de lourdes sanctions (jusqu’à 62.000 euros d’amende), ces infractions sont de plus en plus fréquentes. Notamment dans la capitale. En 2023, quelque 4.290 tonnes de déchets clandestins ont été collectées par Bruxelles-Propreté, contre 3.285 en 2018. Soit près d’une tonne de plus en cinq ans. Ramené à l’échelle de la population, cela représente environ 3,4 kilos de déchets sauvages par habitant. Un chiffre sous-estimé, auquel il faut ajouter les immondices ramassées par les 19 communes, compétentes en la matière sur les voiries communales, précise Adel Lassouli, porte-parole de Bruxelles-Propreté.
En Wallonie, les données sont moins récentes (NDLR: une nouvelle enquête devrait sortir début 2025) mais font état de quantités d’autant plus colossales. Selon un rapport de 2019 du bureau d’étude Comase, commandé par le SPW Environnement, 30.623 tonnes de déchets sauvages et dépôts clandestins sont collectées annuellement. Soit environ 8,2 kilos par habitant. La gestion de ces ordures (collecte, traitement, répression…) se chiffre annuellement à plus de 84 millions d’euros, estime le rapport.
«Impossible à contrôler»
Davantage encore qu’à Bruxelles, le recensement de ces déchets à l’échelle wallonne s’avère extrêmement complexe. Si les communes sont compétentes pour leur nettoyage sur les voiries communales, d’autres acteurs (la SOFICO, les sociétés de logements de service public ou encore la SNCB) en sont responsables sur leurs espaces. Tout dépend donc de la localisation du déchet. De plus, les modes de recensement varient: certaines entités les dénombrent en masse (kilos, tonnes), d’autres en volume (nombre de sacs ou de containers), alors que d’autres encore se basent sur le nombre de signalements ou de PV dressés. Bref, le diagnostic est difficile à poser.
Les raisons de cette augmentation sont également complexes à déterminer. A part la croissance démographique, facilement mesurable, les autres causes relèvent davantage du sociologique. «La question des déchets clandestins est au carrefour de plusieurs problématiques, comme la paupérisation de la population, l’errance, la marginalisation ou les violences urbaines, ose Adel Lassouli. Mais les liens de causalité sont difficiles à établir.»
«La question des déchets clandestins est au carrefour de plusieurs problématiques, comme la paupérisation de la population, l’errance, la marginalisation ou les violences urbaines. Mais les liens de causalité sont difficiles à établir.»
Adel Lassouli
Porte-parole de Bruxelles-Propreté
En Wallonie comme à Bruxelles, la majorité des délits s’opèrent dans des zones peu fréquentées, à l’abri des regards. «Les déchets clandestins sont généralement déposés dans des quartiers où le contrôle social est moindre, où il y a peu d’habitations et de passage», confirme le porte-parole de Bruxelles-Propreté. Une pratique facilitée dans les zones rurales. «Dans nos campagnes, c’est malheureusement très vite arrivé, déplore André Samray (Les Engagés), bourgmestre de Lierneux, petite commune 3.600 habitants. Les délictueux se rendent sur des chemins agricoles ou à l’orée du bois, et puis l’affaire est faite. C’est impossible à contrôler.» Les abords des bulles à verre ou des boîtes à vêtements sont également très prisés, ajoute Sophie Thémont (PS), bourgmestre de Flémalle. Enfin, les bas-côtés des grands axes sont également le théâtre de nombreuses infractions.
Un dilemme moral
Une cartographie des dépôts clandestins signalés sur le territoire bruxellois, réalisée par l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA) entre 2017 et 2020, confirme cette dernière tendance: la chaussée de Mons ou la chaussée de Ninove, à l’ouest de la ville (Anderlecht – Molenbeek), semblent particulièrement concernées. «De manière générale, l’Ouest et le Nord du Pentagone font l’objet de nombreux signalements, tout comme les communes de Saint-Gilles et d’Etterbeek, observe Roger Pongi Nyuba, expert en Évaluation des politiques publiques à l’IBSA. Mais ces tendances sont à nuancer: elles peuvent simplement traduire une utilisation plus intensive d’outils de signalements (comme FixMyStreet) dans ces communes, plutôt qu’une quantité réellement plus importante de déchets laissés à l’abandon.» D’autant que les dépôts clandestins ne sont pas exclusivement le fait des habitants de la capitale. «Nous avons observé qu’une partie d’entre eux étaient importés des régions environnantes, de Wallonie et de Flandre. La responsabilité ne peut pas être entièrement imputée aux Bruxellois.»
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Lutter contre ce phénomène est extrêmement complexe, tant il relève d’un dilemme presque moral. «Si vous continuez à collecter ces déchets, vous octroyez en quelque sorte une « prime au dépôt ». Cela encourage le délictueux, qui se dira: « J’ai déposé mon canapé troué dans la rue, il a disparu, donc je peux y jeter autre chose », illustre le porte-parole de Bruxelles Propreté. Si vous ne les ramassez pas, ils s’accumulent et les citoyens sont tentés d’alimenter le dépôt en y ajoutant autre chose. La spirale négative est dans les deux cas entretenue et les autorités sont perdantes-perdantes.»
733 caméras en Wallonie
Pour enrayer ce cercle vicieux, l’utilisation de caméras de surveillance est de plus en plus répandue dans les communes. Sans identifier le visage des auteurs (une pratique interdite), elles permettent toutefois de déchiffrer les plaques d’immatriculation et d’ainsi retrouver la trace des pollueurs. En région bruxelloise, une petite vingtaine de dispositifs sont actuellement répartis sur le territoire. En Wallonie, deux appels à projets ont été lancés par le SPW pour aider les communes à s’équiper en matériel. La bourgmestre de Flémalle, qui a fait l’acquisition d’une première caméra en 2021, ne regrette pas son choix: «L’expérience a été rapidement concluante, se réjouit Sophie Thémont. Après deux années d’utilisation, on a observé une réduction de 50% du phénomène. 132 dépôts avaient été recensés en 2022, contre 62 en 2023. Comme le projet était prometteur, on a mis en place deux nouveaux dispositifs cette année.»
Si la commune de Flémalle a opté pour des caméras mobiles, pour «continuer à surprendre les auteurs», des caméras fixes existent également, tout comme des dispositifs factices destinés à la dissuasion. Au total, 733 caméras et 181 leurres étaient installés sur le territoire wallon fin septembre. «Ces outils ont eu un effet significatif sur la réduction des dépôts sauvages et l’amélioration de la propreté publique», assure l’ex-ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo). Selon les chiffres transmis par les communes lauréates de l’appel à projet, les infractions environnementales auraient chuté entre 2022 et 2023, passant de 5.055 à 2.952.
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